C’est le syndrome Pisani qui, avec sa loi d’orientation de 1960 suivi de lois complémentaires :
tout ministre de l’Agriculture rêve d’accoler son nom à une grande LOI. C’est plus gratifiant pour la postérité que d’avoir son portrait affiché dans la galerie Sully.
Signalons tout de même aux gens de gôche, qui révèrent le grand Edgar Pisani parce que celui-ci, à la fin de sa vie, est devenu le chantre d’une autre agriculture, que ces grandes lois ont ouvert grands les portes de l’agriculture productiviste, cette Révolution silencieuse chère à Michel Debatisse, qui a bouté hors des campagnes des bras en surplus.
Emmanuel Macron a recadré ses ministres lors du conseil des ministres du 12 juillet sur les notes que ces derniers lui font parvenir :
C’est du pipi de chat, ce qui me remonte actuellement de certaines de vos notes.
Et le Président de poursuivre, prévenant qu’en suivant un tel chemin, certains des membres du gouvernement allaient "disparaître" dans les six mois :
Ne vous laissez pas enfermer dans le confort des documents rédigés par vos administrations. Certes, cela peut vous paraître sympathique et confortable de vous placer entre leurs mains. Mais vous verrez, dans six mois, si vous continuez, vous aurez disparu.
Un bon coup de pression présidentiel pour remotiver les troupes ou tout du moins les garder sous tension alors qu’une partie du gouvernement est issu de la société civile et n’a pas l’expérience politique pour s’imposer face aux administrations centrales.
En vieux routier du marigot des administrations centrales je me marre grave, mais le phénomène n'est pas nouveau, pour preuve :
Dernier souvenir en date au 78 rue de Varenne, dans l’ex-grande salle jaune, l’arrivée flamboyante du grand Stéphane Le Foll tout juste nommé Ministre de plein exercice. S’adressant à la fine fleur de sa maison, le Conseil Général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, dit en langage codé le gagatorium, dont j’étais une branche rapportée.
Comme tous les cancres je m’étais blotti tout au fond de la salle. « Tout feu tout flamme » notre Stéphane de la Sarthe, déclara qu’il voulait sa grande loi pour graver dans la glaise les nouvelles orientations agricoles et agro-alimentaire du nouveau Président normal. Sauf que, tout à la fin, sans sourciller, le big boss nous réclama de plancher sur les grandes orientations de sa grande LOI.
Mon sang ne fit qu’un tour mais prenant sur moi je décidai de fermer ma gueule pour ne pas décoiffer Stéphane. Hélas, s’ensuivit la litanie des « oui monsieur le Ministre nous sommes prêt à éclairer votre chemin… » débouchant sur tous les nanars poussiéreux que mes collègues gardaient au chaud dans leurs dossiers.
C’est la spécialité de tous les Ministères de la République, le fameux musée des horreurs, cher à Christian Eckert. « Liste de mesures généralement refusées par les prédécesseurs et qu'elle essaye de replacer ».
Y’avait les très à gauche contrôleurs forcenés des structures, les très à droite libérateurs des entraves de la PAC, les très centristes très majoritaires vendeurs de mesures molles, ni chèvre, ni chou.
Je laissai se disperser les volutes d’encens avant de me lever en levant la main droite et en saisissant le micro de la gauche. Même si j’étais assez loin je vis passer dans le regard de Stéphane comme un voile d’appréhension. Il me connaît si bien qu’il sentait que j’allais casser l’ambiance.
Ce que je fis en peu de mots « Monsieur le Ministre, à mon grand regret, je n’en serai pas, je ne participerai pas à la réflexion sur les grandes orientations de votre loi. Ce n’est pas notre job mais le vôtre. Désolé, cher Stéphane, mais tu vas recueillir tous les regatons de cette maison »
Stéphane enregistra sans commenter, mes chers collègues se dirent que moi seul je pouvais me permettre vu mon grade d’ex-Directeur de cabinet du Ministre, alors qu’eux devaient courber l’échine, le directeur de cabinet de Stéphane se contenta de sourire, je ne risquais pas de contaminer le troupeau.
Je m’en retournai donc à mes quotas laitiers et la Loi d’avenir fut accouchée sans moi. J’avoue ne pas savoir ce qu’elle contient mais ce que je sais c’est que la nouvelle orientation de notre agriculture, elle, n’a pas été actée et préparée. On s’est contenté de cosmétique.
Vous allez me dire que c’est facile de critiquer sauf que, j’ai passé beaucoup trop de temps à m’échiner, à prêcher dans le désert, et qu’étant sur une voie de garage ce que j’écris nos nouveaux gouvernants n’en ont rien à péter.
Je l’écris tout de même au vue de l’ouverture des Etats généraux de l’alimentation qu’a séchée Macron.
Je ne crois pas aux vertus de ces grandes messes, et là j’y crois encore moins car il n’y a pas de pilote dans l’avion. Le nouveau Ministre de l’Agriculture est un second couteau, le Premier Ministre n’est pas très vaches, cochons, couvées et le bel Emmanuel est à 100 lieux des préoccupations des gens de la terre.
Bref, lorsque je lis que Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, pointant du doigt la baisse constante du nombre d’agriculteurs, réclame une grande LOI, «Il faut une grande loi sur le droit au revenu des paysans. Il faut aussi donner des éléments de réflexion pour négocier la prochaine politique agricole commune, afin que les paysans puissent produire en fonction de la demande des consommateurs », je me dis que tout cela débouchera sur de l’eau de boudin, de l’eau tiède.
Soit une bonne cogestion avec la FNSEA de Christiane Lambert, formatée dans le moule d’un complexe tenu en laisse par les grandes entreprises agro-alimentaire, essoré par les pratiques des prix bas de la GD, pour mettre des rustines au gré des crises. Virer de bord n’est pas simple, ça ne se fera pas d’un claquement de doigts, ni du fait d’une grande loi, mais par la reconstruction d’une économie de création valeur ajoutée loin du minerai cher à ceux précédemment cité.
La vraie modernité, la vraie innovation, sont dans ce choix prioritaire de la valeur, qui n’a rien de passéiste, bien au contraire il permettrait de renforcer nos points forts loin des illusions du quintal de plus, de l’hectolitre de plus… exportables… Que cette agriculture continua d’exister, pourquoi pas, mais elle se devra de faire le bilan des fondements de sa compétitivité.
Mais, et j’en resterai là, ce choix de la valeur a un corollaire indispensable : que les consommateurs prennent eux aussi le grand virage d’un budget alimentaire privilégiant les circuits courts, le brut cuisinable au détriment du tout préparé, la rémunération des bonnes pratiques environnementales, une forme de commerce équitable… Ni petisme, ni gigantisme, des structures adaptées à une nouvelle forme de consommation. Et ce modèle est exportable et profitable dans le grand barnum de la mondialisation.
Et qu’on ne vienne pas me dire que je suis un doux rêveur, un écolo en manque, un vieux bobo à gros revenus, l’observation des évolutions récentes, de la GD, de la consommation, sont des indicateurs fiables des tendances à moyen terme…
Ne rien faire, attendre le mur, est un sport national que nous pratiquons depuis des décennies et ce n’est pas la potion de Macron pour l’agriculture et l’agro-alimentaire qui tirera le secteur de l’immobilisme.
Comme je suis bon camarade, et que je pense, n’en déplaise à ses supporters, que ce n’est pas non plus la contribution de Périco Légasse : «La malbouffe ? L'humanité en crève !» publiée dans le Figaro du 23/07/2017 qui fera avancer la réflexion.
Tonitruer n’est pas ma tasse de thé mais moi je n’ai rien à vendre alors que le couple infernal Légasse-Polony fait des ménages dans les fêtes locales pour le Pouilly-Fumé ICI