Je suis levé ce samedi et j’écoute sur France Inter la revue de presse d’Hélène Jouan
On commence par une île, hantée par ses fantômes
«La Corse est hantée par ses fantômes », l’article fait la Une de M, le magazine du Monde. Antoine Albertini, journaliste à Corse Matin et correspondant du Monde raconte ce qui fait la singularité de son île, plus de 700 personnes assassinées depuis 1988, la violence qui fait partie de la culture commune. Mais plus intéressant encore comment lui, corse, et journaliste en Corse est imprégné de cette violence qu’il n’arrive pas à renier totalement.
Ça commence par une balade dans les rues et ruelles de Bastia. N’importe quel itinéraire mène sur les traces invisibles de ces spectres, Multeddo, Montigny, Baldi, Lucciani foudroyés par une balle, abattus d’une rafale. Depuis son ordination il y a 20 ans, un diacre à Bastia a assisté à plus de 200 enterrements de victimes d’assassinats. Quand on l’appelle en pleine nuit, il sait, et se dit « on l’a tué ».
« On » est incontestablement le meurtrier le plus doué de l’ile écrit le journaliste, car ce pronom indéfini se transforme rarement en une identité bien établie. Ce qui ne fait qu’alimenter explique-t-il la défiance de la population envers des institutions, police et justice, incapables de suturer les plaies de la société insulaire. Se perpétue ainsi le cycle de la vengeance privée, tuer pour réparer, spirale infernale.
Le journaliste pointe la responsabilité de l’Etat qui pendant des décennies a consacré beaucoup de ses ses moyens à la lutte anti-terroriste, ouvrant un boulevard au crime organisé ; les habitudes du milieu ont imprégné en profondeur le corps social, imposant une vision cyclique et brutale de recours à la violence, désormais considérée comme un mode de régulation des conflits parfaitement acceptable. Chaque Corse connait une victime d’assassinat, chaque intérieur corse est hanté par des portraits jaunis, la mort violente nous environne dit Albertini.
Pour autant, la violence fait-elle partie intégrante de la culture corse s’interroge-t-il ? L’opinion dominante dans l’île, si prompte à se sentir stigmatisée, refuse, dit il d’admettre l’évidence. Albertini, alors, se raconte. Ses tout jeunes enfants, qui comme tous ont intériorisé la banalisation de la violence, lui-même qui reconnait être de cette génération grandie non seulement dans une atmosphère de violence éruptive, mais aussi dans le culte de son absolue nécessité. En dépit de l’horreur qu’elle m’inspire ose-t-il écrire, je considère que la violence peut être libératrice, que son apprentissage précoce permet d’en éprouver les limites. Je mesure ce que mon propos peut avoir de choquant.
Alors les générations futures trouveront elles la force de rompre avec de tels comportements se demande-t-il. Albertini est plutôt pessimiste, face à une jeunesse confrontée à d’autres formes d’agressions, comme le choc du déclassement et l’insécurité sociale. Récit courageux, gênant voire choquant, d’un corse face à ses fantômes. »
L’exception culturelle corse
Fait-elle pour autant partie intégrante de la “culture corse” ? L’opinion dominante dans l’île, si prompte à se sentir stigmatisée – parfois à juste titre – refuse sur ce point d’admettre l’évidence. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, en a fait les frais le 6 mai 2013 en répondant sur les ondes de France Inter à une question posée par une auditrice à propos de la Corse : « C’est la région de France où il y a le plus d’assassinats et de violence et vous voudriez que le ministre de l’intérieur nie cette réalité enracinée dans la culture corse ? » « Scandale », « population montrée du doigt » : tout ce que l’île compte de professionnels de l’indignation sélective, personnel politique en tête, s’est aussitôt enflammé.
« Si les tueurs occupent une place dans la société corse, c’est que la société corse leur en a laissé une. » Le diacre Pierre-Jean Franceschi
Mais au-delà de ces réactions épidermiques, comment expliquer autrement que par la permanence de certains traits culturels l’effroyable vertige né de la statistique ? Ceux qui refusent de regarder cette réalité en face ont-ils conscience de l’impasse où les conduit ce déni ? Affirmer que cette pratique de la violence ne relève pas de l’acquis revient à prétendre qu’elle procéderait de l’inné, de l’existence d’un « gène du crime » corse – une absurdité sans nom.
Le diacre Pierre-Jean Franceschi a sa petite idée sur le sujet, formulée entre deux poignées de main aux passants qui demandent quand il « montera » dire la messe au village : « Si les tueurs occupent une place dans la société corse, avance-t-il, c’est que la société corse leur en a laissé une. »
Cette banalisation intériorisée de la violence s’est imposée à moi à l’occasion d’un épisode anodin du quotidien. Mes fils étaient alors âgés de 8 et 10 ans. Nous dînions tous trois lorsque mon téléphone portable s’est mis à sonner. « Qui est-ce ? » a demandé l’aîné. Sans lever les yeux de son steak haché, le cadet a répondu avec un naturel glaçant : « À cette heure-ci, c’est la rédaction. Un type a dû se faire fumer. » Puis il a continué à mâcher comme s’il venait d’énoncer une sorte d’évidence – ce qui était le cas, d’une certaine façon.
Le culte de la nécessité de la violence
Depuis ce repas, il m’est impossible de couvrir un homicide sans m’interroger sur les limites de l’exercice et celles de mes propres certitudes. Ai-je suffisamment préservé mes enfants ? En leur répétant de ne jamais se laisser marcher sur les pieds, n’ai-je pas imprimé dans leur esprit la légitimité du recours systématique à la force ?
J’ai 42 ans. Comme celles qui l’ont précédée, ma génération a grandi non seulement dans une atmosphère de violence éruptive, mais dans le culte de son absolue nécessité, une attitude que l’écrivain Marcu Biancarelli résume d’une formule lapidaire : « Le concours de bites permanent. » Au début des années 2000, avant de rejoindre l’écurie corse des éditions Actes Sud au côté de son ami Jérôme Ferrari, ce professeur de langue corse installé dans la région de Porto-Vecchio a publié chez Albiana, un éditeur insulaire, plusieurs recueils de nouvelles qui ont dynamité une production littéraire locale ronronnante, ancrée dans la mythification d’une Corse qui n’a jamais existé que dans nos propres fantasmes.
« Une société pourrie par l’envie, le fric, la violence des rapports sociaux et la recherche perpétuelle de passe-droits. » Marcu Biancarelli, écrivain
Filles légères et toxicos, voyous à l’homosexualité rentrée, racistes décomplexés, élus véreux, nationalistes veules, pinzuti (« Continentaux ») méprisants et stupides : les figures héroïques du temps jadis, les femmes vertueuses, les bandits « d’honneur » se retrouvaient subitement remplacés par les rejetons déphasés d’une société passée, en l’espace de quarante ans, d’un mode de vie traditionnel au postmodernisme le plus déprimant, à une consommation débridée, projetée dans une ère de désordres affectifs, de précarité économique et culturelle.
« Une société pourrie par l’envie, le fric, la violence des rapports sociaux et la recherche perpétuelle de passe-droits, explique Biancarelli d’une voix éraillée de fumeur impénitent. Une société, surtout, où le rapport de force est quotidien parce que la virilité exacerbée interdit de perdre la face, quoi qu’il en coûte. »
Libératrice, la violence ?
Bien entendu, la Corse n’est pas que ça, mais elle est aussi ça et, si le propos peut être choquant, je me reconnais en partie dans cette critique sans concession. En dépit de l’horreur qu’elle peut m’inspirer, je considère que la violence peut être libératrice, que son apprentissage précoce permet d’en éprouver les limites, de mieux se défendre, de mieux protéger les autres. Que refuser d’y avoir recours par principe revient à prendre le risque de se transformer un jour en victime.
Débarqué à Paris à l’âge de 17 ans pour y faire mes études, j’ai ressenti mon premier choc culturel – en dehors du fait que chacun y payait son propre café, une habitude inconnue en Corse où nous nous invitons à tour de rôle ! – en constatant que la violence y était perçue comme un Mal souverain, la manifestation d’une forme de barbarie primitive.
J’ai aussi pu constater – au cours des deux seules agressions physiques subies en dix années de vie parisienne – comment ceux qui ont l’habitude d’imposer leur loi sans craindre la réplique se montrent lâches lorsqu’ils reçoivent le premier coup, de quelle manière se dégonfle leur superbe et, finalement, comment leur petit commerce d’emprise mentale s’effondre sur lui-même lorsqu’ils sentent la première goutte de leur sang sur la pointe de leur langue.
La chronique ICI
J’aime la belle et rude franchise de Marc Biancarelli, l’auteur de Murtoriu, écrit en 2012 en langue corse, traduit et édité chez Actes Sud dans la catégorie « étranger».
Pour lui, écrire en corse n’est pas un acte « militant » car « la posture identitaire est un regard sur un moment précis, un instant. Mais elle ne dit rien de la culture dans son ensemble ou de la qualité littéraire d’une œuvre. »
« … sur la longue durée, l’acte militant ne construit rien, à moins d’être un ayatollah!»
Regard acéré sur son pays dont il dénonce les travers mais qu’il défend également sans aucune concession, ajoutant parfois naïvement « Que les choses soient claires, je peux me permettre, moi, de dire du mal de mon pays, mais moi seul. »
« L’île serait-elle à l’avant-garde du pire ? »
« La Corse a un problème avec le racisme et la xénophobie, il n’y a rien de neuf. On ne peut pas faire comme si l’on découvrait cela »
« La Corse est une société violente » ou « le vivre ensemble relève actuellement du vœu pieu. »
Corse : les villas de Pierre Ferracci, proche d’Emmanuel Macron, échappent à la démolition
LE MONDE | 06.07.2017 par Isabelle Rey-Lefebvre
La cour d’appel de Bastia a tranché, mercredi 5 juillet : Pierre Ferracci, propriétaire de deux villas en cours de construction, avec vue sur les eaux turquoises de la baie de Rondinara, en Corse-du-Sud, ne devra pas les démolir. Sa société civile immobilière Sponsaglia est bien, elle, déclarée coupable d’avoir exécuté des travaux non autorisés et d’infractions au plan local d’urbanisme. Elle devra payer l’amende d’un million d’euros, ce qui confirme en tout point le jugement du tribunal correctionnel d’Ajaccio du 8 février 2016.
« C’est vrai que ces maisons sont belles mais situées dans un site sauvage, vierge de construction, un espace protégé proche du rivage donc totalement inconstructible. La forêt méditerranéenne est désormais saignée de pistes pour accéder au chantier. Un parking, un réseau électrique, une adduction d’eau, une piscine… Tant pis pour la biodiversité ! », proteste un porte-parole de U Levante, association corse de protection de l’environnement.
« Nous envisageons un pourvoi en cassation car, selon nous, le préjudice que constitue l’atteinte à l’environnement doit être intégralement réparé, ce que seules la démolition et la remise en état permettent », insiste Benoist Busson, avocat de U Levante et de l’Association bonifacienne comprendre et défendre l’environnement (ABCDE), parties civiles à l’origine de cette procédure.
« Bien que l’amende soit très élevée, cette décision est raisonnable et équilibrée », estime de son côté Olivier Burtez-Doucède, l’avocat de M. Ferracci.
Permis de construire refusé
P-DG du Groupe Alpha de conseil aux comités d’entreprises et président du Paris Football Club, M. Ferracci, qui se dit homme de gauche, est un proche du nouveau président de la République, qu’il conseille sur les questions sociales. Son fils, Marc Ferracci, est un des meilleurs amis de M. Macron : ils ont préparé l’ENA ensemble et ont été témoins à leurs mariages respectifs, en 2005 et 2007. Sophie Ferracci, épouse de Marc Ferracci, a été chef de cabinet du candidat Macron et dirige aujourd’hui celui de la ministre de la santé, Agnès Buzyn. « La famille Ferracci, originaire de Suartone, près du chantier litigieux, est très respectée dans la région : le grand-père, Albert Ferracci, est une figure de la Résistance rappelle un membre de l’association partie civile.
Construire sa maison dans la baie de Rondinara est donc, selon Pierre Ferracci, cité par Corse Net Infos du 8 février 2016, « la réalisation d’un rêve d’enfance sur un terrain que je parcours depuis mon plus jeune âge et où j’allais à la pêche ». L’affaire est d’ailleurs ancienne, puisque c’est en 1990 qu’il achète ce bout de maquis au prix de 2,50 euros le mètre carré.
En 1996, il dépose une demande de permis de construire pour créer un hameau de huit maisons, ce qui lui permet de bénéficier d’une exception à la loi littoral. Le maire (PS) de Bonifacio, Jean-Charles Orsucci, lui aussi proche de M. Macron – et candidat malheureux de La République en marche aux législatives – le lui refuse, mais… hors délai ! Une faille dans laquelle s’engouffre M. Ferracci, qui va contester jusque devant la cour administrative d’appel ce refus trop tardif et obtient, de ce fait, le 12 janvier 2006, un permis tacite.
Des villas valant de 5 à 10 millions d’euros chacune
« Il n’aurait jamais dû l’obtenir, constate Me Busson. Le préfet de l’époque était d’ailleurs contre, mais la technique du permis refusé hors délai et devenant tacite est, en Corse, un procédé fréquent. » Il a aussi l’avantage de la discrétion vis-à-vis des défenseurs de l’environnement, puisqu’il n’est pas affiché en mairie et échappe à leur vigilance.
L’erreur de Pierre Ferracci est de ne pas avoir construit ce à quoi il était autorisé : il s’est contenté de deux maisons au lieu de cinq, implantées à 150 mètres du site initial, et donc construites sans aucune autorisation. « Le projet est moins ample, plus respectueux des lieux, et les juges en ont tenu compte », se félicite Me Burtez-Doucède, soutenu par le maire de Bonifacio qui lui a adressé une lettre dans laquelle il insiste sur « ces constructions partiellement masquées par la végétation, plus discrètes, mieux intégrées au paysage naturel, moins visibles depuis le rivage ».
Les deux villas valent aujourd’hui entre 5 et 10 millions d’euros chacune.