Durant l’été 1946, Vincent Schaefer, chercheur dans un laboratoire de la General Electric de New York, où il travaille sur les problèmes de physique du givre en haute altitude qui préoccupe l’aviation militaire américaine, ouvre son congélateur au cours d’une journée chaude et humide pour y déposer une boîte de neige carbonique (- 72°C) afin de le soulager.
Surprise : son haleine se charge immédiatement de millions de minuscules cristaux de glace. Les goulettes d’eau en surfusion – c’est-à-dire à l’état liquide en dessous de 0°C – qu’il exhalait viennent de se solidifier sous l’effet de l’abaissement rapide de la température.
C’est exactement le processus décrit une décennie plus tôt, par le météorologue suédois Tor Bergeron, pour expliquer la formation des précipitations au sein de nuages froids.
En soufflant dans son congélateur Schaefer vient d’inventer la pluie artificielle.
Il renouvelle inlassablement l’expérience avec le soutien enthousiaste de son directeur de laboratoire, le prix Nobel de chimie Irving Langmuir.
Le 14 novembre, se sent prêt pour un test grandeur nature. Il loue un petit avion, survole les montagnes du Berkshire dans les Massachusetts et disperse dans un nuage 6 livres de neige carbonique. Sous ses ailes, la neige tombe ! De la tour de contrôle d’où il suit l’expérience, Langmuir exulte. Au journaliste du NWT qu’il a au téléphone, il énumère ses projets grandioses : détourner les ouragans, transformer l’ride Texas en un vert Éden, supprimer les brouillards givrants au-dessus des aéroports.
Les météorologues se montrent cependant dubitatifs devant ces annonces fracassantes. Ils savent que le projet de manipuler le temps est aussi ancien que la science météorologique et que les avatars reflètent fidèlement l’histoire de ces avancées comme des déconvenues.
Les services juridiques de la GE, attentif à la jurisprudence Hatfield (celui-ci, au début du XXe siècle, en tant rain-maker, avait convaincu la ville de San Diego de garantir par contrat la pluie à volonté grâce à des tours en bois dans lesquelles il brûlait, à l’abri des curieux, une mystérieuse mixture de son invention. En janvier 1916 des pluies torrentielles ravagent la ville, causant des dizaines de morts et causant d’énormes dégâts. La municipalité accuse Hatfield d’en être responsable. Après deux décennies de procédure, en 1938 parvient à faire reconnaître par 2 tribunaux que « la pluie est un don de Dieu ») décident de ne pas financer les recherches sur la pluie artificielle.
Langmuir proche de la retraite se moque du veto, vend son projet à l’Administration américaine. Nous sommes au début de la guerre froide et la perspective de mener une guerre météorologique contre les Soviets enthousiasme les généraux américains. Pour eux ce serait un avantage stratégique inexploité puisque les vents dominants de l’hémisphère Nord vont d’est en ouest, il suffira de larguer au-dessus de l’Europe des bombes météorologiques à retardement qui exploseront au-dessus de l’URSS pour enfoncer dans la boue les chars soviétiques et noyer les plaines fertiles de l’Ukraine.
Le Pentagone entretient de judicieuses fuites pour laisser planer sur son adversaire soviétique la menace de cette guerre météorologique qu’Edgar P. Jacobs met spectaculairement en scène dans S.O.S. météores (1959), cinquième aventure de Blake et Mortimer.
Dans la France de Jour de fête de Jacques Tati, ces nouveaux exploits en provenance d’Amérique font forte impression. En 1950, le ministre des transports du président du Conseil d’Antoine Pinay, qui s’inquiète de la sécheresse qui s’abat sur sa bonne ville de Saint-Chamond, charge le général Ruby, officier d’aviation, de résoudre le problème.
Le général Ruby n’y va pas par 4 chemins : tout nuage survolant le barrage de La Valla, près de Saint-Chamond, est attaqué sans sommation à l’iodure d’argent. Un mois plus tard, le général se vante d’avoir quintuplé le volume d’eau dans le barrage.
Encouragé, il entreprend de s’attaquer à la prévention des orages de grêle, qui ravagent vergers et vignobles.
Il rencontre un certain scepticisme car dans les campagnes les plus âgés se souviennent de la vogue, avant la première guerre mondiale, des canons grêlifuges, in ventés par l’Autrichien Albert Stiger, ingénieur et maire de Windisch-Feistritz en Styrie.
Ces imposants canons en forme d’entonnoirs crachaient de superbes ronds de fumée noire qui s’élevaient en tourbillonnant jusqu’à plus de 600 mètres d’altitude. Les 30 canons que Stiger installe dans sa commune font merveille durant les étés 1896 et 1897 : les orages de grêle ravagent les localités environnantes mais évitent soigneusement Windisch-Feistritz.
On se presse alors d’Autriche, d’Italie et du sud de la France pour admirer ces canons, pour le plus grand bonheur des affaires de la firme Greinitz qui les produit. En 1901, un congrès international conclut à l’efficacité de ces engins. L’Italie compte alors 10 000 canons, dont les tirs protègent efficacement le vignoble de la grêle et tuent accidentellement 7 personnes et en blessent 78 autres.
Mais ces accidents ne sont pas le seul problème. Les physiciens soulignent qu’aucun mécanisme plausible ne peut expliquer l’efficacité supposée des canons. Et les échecs s’accumulent.
Le second congrès international, qui se tient à Gratz en 1902, se divise : 17 experts affirment que la méthode est certainement ou probablement efficace, 20 sont de l’opinion opposée, et 13 autres se disent incapables de conclure.
Pour sortir de l’impasse, deux essais sont organisés à Windisch-Feistritz et en Italie en 1904 : la grêle que l’on sait aujourd’hui suivre d’étonnants cycles qui alternent années « avec » et années « sans », s’abat sur les 2 régions. C’est la fin des canons grêlifuges, et la firme de Greinitz se reconvertit dans l’armement, alors que la guerre menace en Europe.
Deux générations plus tard, le souvenir des canons grêlifuges est encore vif dans les campagnes viticoles françaises, et le général Ruby a du mal à convaincre les agriculteurs des vertus de son arsenal antigrêle.
On y préfère donc des brûleurs à iodure, sorte de chaudrons dont s’échappe d’épaisses volutes de la substance. L’association nationale d’études et de lutte contre les fléaux atmosphériques, dirigée par quelques notables locaux et conseillée par Henri Dessens, directeur de l’Observatoire météorologique du Puy-de-Dôme, commence à en installer dans le Sud-Ouest, où ils sont toujours en action.
Les développements sur cette histoire sont à lire dans le livre de Nicolas Chevassus-au-Louis Un iceberg dans mon whisky, quand la technologie dérape, dont sont tirés ces extraits.
Dernier épisode en date « Et pourtant, il fait beau sur Pékin pour l’ouverture des Jeux Olympiques le 8 août 2008, comme le très officiel Bureau du modification du temps chinois l’avait annoncé un an auparavant. Malgré des décennies d’échec, l’ensemencement des nuages pour créer des précipitations ou pur empêcher la grêle de tomber a en effet de nouveau le vent en poupe.
L’explication est d’abord technique. Une nouvelle méthode d’ensemencement des nuages recourant à des sels hygroscopiques et non plus à la neige carbonique ou à l’iodure d’argent, a été mise au point en 1999 en Afrique du Sud.
Des essais statistiquement rigoureux, en aveugle et contre placebo comme lors des essais de nouveaux médicaments, ont montré une réelle amélioration de l’efficacité et de la reproductibilité par rapport aux méthodes antérieurs. L’explication est aussi, et peut-être surtout, politique.