Juillet, mon mois, le 7e de l’année, bascule, territoire de mon identité, j’y entre pour ne rien y faire, vagabonder, tirer des bords, rader, me poser au bord de bars, laisser-aller, échappée belle, je ne suis pas pressé j’ai tiré l’essentiel de ma vie.
Ce sera donc, ici, un journal au jour le jour :
1ier juillet
1929, Joseph Kessel entre dans un restaurant où il rejoint des notables un peu guindés. Il est déjà célèbre : « L’Equipage ». Juif et Russe et Français et un peu Afghan, né d’occasion en Argentine, aventurier et voyageur, il a déjà traversé le monde : Clara en Argentine, Paris, la guerre, Vladivostok, l’Inde et la Chine. Dans le restaurant guindé, il est vis-à-vis d’une belle amie russe qui boit de l’eau. L’eau est une offense. Dans sa patte, il presse la main et le verre. Il brise le verre et blessa la main. Fille et garçon s’ennuient avec les notables. Ils s’en vont retrouver des Russes pour manger des blinis et du Tzigane… Mais toutes les histoires que l’on raconte sur Kessel ne sont que des légendes.
Kessel est une force, un appétit, un cœur… Une espèce de héros des temps biblique qui, quoi qu’on en dise, ne sera révolu dans aucune société.
Joseph Kessel ne comprend pas ou prétend ne rien comprendre aux luttes sociales, au communisme ou au socialisme, à ce mouvement des foules qui est le ressort de l’humanité Il n’y prête attention que dans un vaste appétit de générosité. Pourtant il n’est pas affligé par le monde moderne comme un Saint-Exupéry. Il sait que l’héroïsme peut-être un des aspects les plus contestables de l’homme. Il a vu des hommes par milliers. Il les approche un à un comme un frère. Mais il ne s’écarte pas pour saisir la forêt, l’espèce.
Joseph Kessel n’est pas un partisan. Il a un faible pour les mauvais garçons, les inadaptés, ceux qui restent en marge d’une société qu’il ne prétend pas changer lui-même, mais dont les règles et les faux cols lui font hausser les épaules.
Au physique, c’est un tronc de cône à l’envers dont les épaules et le torse puissant portent une crinière et des yeux qui sont un paysage. Il a un de ces visages burinés qui font éclater l’étrange lucarne du petit écran.
Emmanuel d’Astier de la Vigerie 1966
L’Alcool face à l’Ego
Le problème majeur de l’alcoolique, c’est qu’il se ment. C’est là la première étape de cette spirale infernale qu’est l’alcoolisme : le déni. Oui, on boit, plus que les autres et plus que de raison, mais cela n’a pas d’importance car l’on est différent de ceux qui sont tombés dans la gnôle. On est plus puissant qu’eux, plus brillant, au final on est simplement plus. Dans cette logique, l’alcool rempli une place étrange, à la fois désinhibant social et tyran, nous montrant soit sublimé, soit telle une épave. Les alcooliques anonymes nomment ces deux aspects de l’alcool, l’alcool festif ou l’alcool tyran. Or, ce que montre très bien le livre de Joseph Kessel, par les témoignages qu’il recueille c’est que l’élément conduisant à basculer d’un état à l’autre est généralement l’ego de l’individu. Il s’agit du dialogue que tient l’alcoolique avec lui-même et qui se construit autour de sa fierté. Ainsi, voici ce que déclare Robert N, patron de presse au Herald Tribune, à Kessel afin d’expliquer comment il est tombé dans l’alcool :
« J’étais encore très fier de moi, quand à l’Université je me suis mis à boire, à mon tour. Mais je n’étais pas un simple artisan de compagne, moi. J’étais un intellectuel. Je savais me contrôler, me diriger (…) Toujours plus d’alcool, toujours plus haut. Il n’avait personne d’aussi intelligent, doué, hardi, irrésistible que moi. Si quelque incident regrettable survenait, dans le domaine social ou professionnel, cela ne pouvait être le fait que des autres. On ne me comprenait pas. »