Ma dernière mission de médiation m’a mis en contact avec des producteurs laitiers, dans le Grand Sud-Ouest, la région Rhône-Alpes, la Normandie. Avant de poser définitivement ma valise j’ai tenté d’alerter aussi bien le Ministre de l’Agriculture que les éleveurs des risques que faisaient courir à l’équilibre du marché la fin des quotas laitiers.
En pure perte, la conjoncture mondiale était excellente, l’administration du Ministère enfumait le dossier avec ses habituelles barrières de papier communautaires, le Ministre avait d’autres chats à fouetter, comme d’habitude il serait toujours temps de trouver des rustines pour juguler la future crise.
Elle vint, elle dure même si la conjoncture s’est retournée. Le mal est fait et la lettre de Jérôme Caillerez, 44 ans, installé à Humbercourt, un village de la Somme situé à la frontière du Pas-de-Calais, entre Doullens et Pas-en-Artois où il élève des vaches laitières et cultive 120 hectares de terres, notamment à Authie, le village où l’arrière-grand-père d’Emmanuel Macron a été maire de 1953 à 1964 et où sa famille côté paternel est enterrée.
Dans sa lettre ouverte au vainqueur de l’élection présidentielle, il exprime son espoir de le voir relancer l’agriculture française en la protégeant de la dérégulation des marchés mondiaux.
« Il y a une colère sourde du monde paysan. C’est un message en mémoire de ceux qui ont fait ce geste fatal de se suicider. »
« Je veux lancer un cri d’alarme et en même temps faire profession de foi pour l’avenir, explique l’agriculteur picard. Il y a une colère sourde du monde paysan. C’est un message en mémoire de ceux qui ont fait ce geste fatal de se suicider. Ils seraient entre 500 et 600 dans ce cas chaque année. »
Lire ICI « Il n’y a qu’un problème philosophique sérieux : le suicide » Albert Camus et si vous vous intéressiez un peu à la vie quotidienne des «Fils de la Terre» ?
Au-delà du côté personnel de cette lettre ouverte ce qui est important c’est la question posée aux politiques de tous bords, aussi bien les tenants du « productivisme » purement technique que les partisans d’un virage à 180°, comment faire ?
S’accrocher au vieux modèle comme vouloir le jeter d’un revers de main aux orties, c’est insulter l’avenir.
Plus que des annonces, des coups de gueule, c’est une méthode qu’il faut élaborer pour permettre, plus particulièrement dans le secteur laitier, de changer la donne pour ceux qui sont confrontés à une situation de quasi-faillite.
Les citoyens consommateurs ne devront pas se contenter de rester des spectateurs compatissants, ils devront changer leurs habitudes d’achat.
Ce n’est pas simple, ça ne se fera pas par décret !
Je ne suis pas certain que l’équipe du nouveau Président aie prit la mesure de l’extrême difficulté de ce chantier.
La « Lettre ouverte d’un paysan à Emmanuel Macron »
« Comme je vous sais féru de belles lettres, je prends ma plume pour vous exhorter à sortir notre pays et son agriculture de l’ornière. Vous avez été perçu comme le candidat des villes et il est regrettable que vous n’ayez pas plus évoqué vos racines rurales : votre arrière-grand-père fut maire d’Authie et tous vos ancêtres étaient des artisans charpentiers. Loin de cette image de chantre du libéralisme, soyez à nouveau un Macron bâtisseur ! En soutenant nos investissements ; en demandant à nos chers fonctionnaires d’être les facilitateurs de nos initiatives. Pour redynamiser nos territoires ruraux, je vous invite à vous appuyer sur les paysans car ils ne sont «pas assez savants pour raisonner de travers».
Nous ne nous connaissons pas et pourtant, il y a cinq générations nous avions un aïeul en commun à Authie. Et c’est de par ce lien, mon lointain cousin, que je cultive encore aujourd’hui les quelques hectares ayant appartenu à votre famille. Une terre qui n’est plus guère rentable car «ça eût payé» : comment un jeune peut-il aujourd’hui envisager sereinement de s’installer ?
« Nos concitoyens devront-ils bientôt dire alors que le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée si l’État ne protège pas enfin mieux ses éleveurs ? »
J’ai repris en 2004 la ferme familiale par passion pour le métier. Comme je n’ai pas voulu à la fin des quotas laitiers me résoudre à envoyer mes vaches laitières à l’abattoir et ma salariée chez Pôle emploi, aujourd’hui je dois puiser dans les économies de vingt ans de travail pour maintenir à flot ma trésorerie. Après deux ans de crise, la plupart des agriculteurs sont en grande difficulté et se retrouve en petite culotte (il vaut mieux être «Sans» pour mener la Révolution rue de Varennes, me direz-vous !)… Se claquemurant dans le silence, comme honteux de ce qu’ils subissent, certains se sont réfugiés dans un vote contestataire alors que tout bon éleveur sait que pour lutter contre le parasite, il suffit d’un bon vermifuge !
Nos concitoyens devront-ils bientôt dire alors que «le lait tombe : adieu veau, vache, cochon, couvée» si l’État ne protège pas enfin mieux ses éleveurs ?
Ce n’est pas un sang impur qui abreuve désormais nos sillons, mais celui de nos frères et sœurs paysans qui, désespérés, usés ou ruinés, sont allés jusqu’à commettre l’irréparable…
De grâce, soyez aussi un Macron protecteur ! Nous avons besoin que les pouvoirs publics français garantissent la répartition des marges pour avoir une juste rémunération de notre labeur et nous aident à restaurer notre compétitivité. Et dans le même temps, nous avons besoin d’une Europe qui nous aide à traverser les soubresauts de cette économie casino qui nous broie.
Depuis la réforme de 1992, nos prix agricoles sont tirés vers le moins-disant mondial et la valeur ajoutée de nos efforts en termes de qualité et traçabilité ainsi que les subsides de la PAC (la politique agricole commune) sont captés par l’aval et la grande distribution. Finissons-en avec cette hypocrisie institutionnalisée : sous prétexte de faire profiter le consommateur du meilleur prix, depuis trente ans nos dirigeants politiques, de droite comme de gauche, ont acheté la paix sociale sur le dos des agriculteurs. Réunissez l’ensemble des acteurs pour établir enfin un Pacte citoyen de l’alimentation.
Le 21 avril 2002, j’étais comme vous en stage à l’étranger, non pas au Nigeria, mais en Australie, et pour pouvoir encore écrire ton nom Liberté, j’ai écourté mon périple afin de voter à temps.
Face à la démagogie et l’ineptie économique du programme du FN, je n’ai eu aucune hésitation à voter pour vous. Pour couvrir le bruit des bottes qui s’éloignait dimanche soir, j’écoutais le Messie de Haendel. Sans triomphalisme ni naïveté, mais le cœur plein d’espoir car même si vous êtes né quatre jours trop tôt, je veux croire que, par votre avènement en politique, il nous a été donné un sauveur pour catalyser les énergies et redresser ensemble le pays. »