Ce samedi le ciel s’apaisait, entre les nuages de traîne le soleil pointait son nez je pédalais gaiement pour aller quérir mon pain de l’autre côté de la Seine. Comme la boulangerie est face à Giovanni Passerini je vais ensuite claquer des bises et boire un verre au bar.
Arrive un vieil habitué. Nous sommes présentés par Julie et nous décidons de partager un plat. Nous conversons. Aligre, le Faubourg St Antoine. C’est très agréable.
Je repars après avoir acquis 3 beaux flacons de Rietsch à Ici Même la cave d’en face.
Caramba, de retour à la maison, je m’aperçois que j’ai oublié mon livre : Une très légère oscillation de Sylvain Tesson sur le bord du bar.
Frustré je décide d’aller le rechercher en début de soirée…
Rien d’extraordinaire me direz-vous ?
Certes, mais pour moi les fenêtres du hasard sont de fidèles et discrètes alliées, elles s’ouvrent souvent à des moments où je ne m’y attends pas, me surprennent, offrent à mon regard des perspectives insoupçonnées.
Il en fut ainsi samedi, hors le monde, cerné de bruits, j’ai lu… j'ai bu, et…
Voici quelques-unes de mes glanes de nuit :
« Un jour en Corse, près de Figari. Sur la plage, nos hôtes ont organisé un spuntinu, comme on dit ici quand on prend du bon temps en même temps que le maquis. Autour du feu de bois, figatelle et vin de Sartène. Le ciel est une flanelle mitée de trouées solaires. La mer est en peau de taupe. Des blocs de granit rose encadrent la forêt d’arbousiers. Le genre de paysage que n’aiment pas les peintres : le travail est déjà fait. Une tour génoise veille, elle nous survivra. Soudain les invités lèvent la main dans un même mouvement. Ils prennent des photos, brandissent l’appareil à bout de bras. Ce geste, c’est le symbole de notre temps, la liturgie moderne. La société du spectacle a fait de nous des cameramen permanents. Quelle étrange chose, cette avidité de clichés chez des gens qui se pensent originaux. Quelle indigestion, cette boulimie d’images. Plus tard, ils regarderont les photos et regretteront que le moment consacré à les prendre leur a volé le temps où ils auraient pu s’incorporer au spectacle, en jouir de tous leurs sens et, le regard en haleine, célébrer l’union de l’œil avec le réel. »
Janvier 2014
« Le Ventoux coiffe le Comtat Venaissin. C’est un autel de 2000 mètre de haut au bout d’une plaine parfaite (…) En ce jour de l’an, la Provence est mauve, glacée. Un soleil russe rase les vignes. Un jour, elles nous rendront en vin ce qu’elles raflent en lumière.
« Encore de longues marches dans les plis du Comtat. Cette chance, en France, de disposer de la couverture cartographique de l’IGN, au 1/25 000. Et si nos malheurs venaient de ce que nous vivons à trop grande échelle ? La Terre se globalise, les frontière se dissolvent, les marchandises circulent. J’ai la subite envie de m’inventer une vie au 1 :25 000. C’était le rêve des anarchistes, des communards et des Grecs qui lisaient Xénophon : réduire l’espace de notre agitation, se replier dans un domaine, ne vouloir atteindre que ce qui est accessible. Accueillir des pensées universelles en cultivant un lopin. Ne côtoyer que les gens qu’on peut aller visiter à pied. Ne manger que les produits de sa proche région, en bref, vivre sur les chemins noirs, ces sentes secrètes qui strient les feuilles de l’IGB, échappant aux contrôles de l’État. Il est urgent de changer d’échelle. »
Janvier 2015