- Pull !
Le ball-trap, le « tir aux pigeons d'argile » des kermesses de ma jeunesse, le plateau d’argile fusait, le tireur épaulait, visait, le coup partait et le pigeon d’argile s’éparpillait dans les airs.
Les as rataient rarement leur cible, leur vista m’épatait, moi qui n’est jamais touché une arme à feu, leur hécatombe d’argile me donnait bonne conscience.
Les primaires m’ont procuré la même sensation, ce fut un festival de casse-pipes, les têtes couronnées roulaient, une à une, dans la poussière sous les hourras du peuple en folie…
J’exagère à peine.
Bilan du jeu de massacre :
- La première tête à tomber fut celle de Sarkozy le honni,
- Très vite suivi par celle de Juppé le banni,
- La main passa de droite à gauche pour voir Hollande jeter le gant,
- Valls se précipita puis gicla ;
- Et puis ce fut le tour de Fillon se vautrer salement ;
- L’Emmanuel devint roi et Bruno Le Maire et NKM se rallièrent ;
- Au fond du panier : Hamon et Montebourg à gauche et Copé à droite, ça fait pas bézef !
Enfin, dernier acte : « La nomination d’Edouard Philippe est l’amère victoire d’Alain Juppé »
La nomination à Matignon, lundi 15 mai, du maire (Les Républicains, LR) du Havre (Seine-Maritime) Edouard Philippe, c’est l’amère victoire d’Alain Juppé qui s’était trompé sur la nature de la primaire de la droite et du centre mais qui avait vu juste sur la recomposition politique.
C’est l’histoire d’un homme battu par son propre camp et qui avait pourtant eu la vision gagnante. Celle d’un ancien premier ministre qui ne sera jamais chef de l’Etat mais qui a la consolation de voir l’un de ses anciens conseillers – « un homme de grand talent » – devenir chef du gouvernement et être ainsi l’artisan de la recomposition politique menée par Emmanuel Macron.
Edouard Philippe a sauvé l’honneur du maire de Bordeaux. Il a réhabilité le camp des juppéistes. Cette revanche ne va cependant pas sans un pincement de cœur ni une certaine gêne car Alain Juppé n’oublie pas qu’il a été, en 2002, le principal artisan de la création de l’UMP qui se voulait, face au Front national de Jean-Marie Le Pen, l’indestructible parti de la droite et du centre.
Implacable logique
Aujourd’hui, il peut difficilement assumer de voir l’un de ses lieutenants être nommé premier ministre pour dynamiter son camp. « Pendant cette campagne, je soutiendrai les candidats investis par LR et l’UDI [Union des démocrates et indépendants] », a-t-il précisé.
Et pourtant, tout ce qui arrive aujourd’hui est d’une implacable logique : pendant des mois, le maire de Bordeaux, au faîte de sa popularité, a préparé l’avènement d’un nouveau rassemblement.
Défenseur de l’« identité heureuse » là où une partie de son camp s’employait à exacerber les passions tristes, Alain Juppé avait promis, s’il était élu président de la République de faire ce à quoi s’attelle aujourd’hui M. Macron : « couper les deux morceaux de l’omelette pour que les gens raisonnables gouvernent ensemble et laissent de côté les deux extrêmes, de droite comme de gauche, qui n’ont rien compris au monde ».
Son rêve d’une recomposition politique, après deux quinquennats marqués par un échec cuisant sur le front du chômage et de la cohésion sociale, s’opposait à la vision très droitière de Nicolas Sarkozy et de François Fillon qui avaient scellé une alliance efficace entre les deux tours de la primaire de la droite et du centre pour l’éliminer.
Aspiration de l’opinion au rassemblement
Il reflétait cependant une aspiration si profonde de l’opinion au rassemblement que lorsque le maire du Havre a été nommé premier ministre, lundi, la transgression n’en était – presque – plus une : après avoir investi d’anciens candidats socialistes tout acquis à sa cause, le chef de l’Etat a pu tranquillement choisir un premier ministre de droite au demeurant tellement consensuel que son prédécesseur n’a rien trouvé à redire. Au contraire : la passation des pouvoirs entre Bernard Cazeneuve et Edouard Philippe a été inédite : deux Normands au caractère bien tempéré, l’un se revendiquant « de gauche », l’autre « de droite » et finissant par s’embrasser en souhaitant le meilleur pour le pays.
Alain Juppé était passé par là. Pendant des mois il avait préparé le terrain, labouré la terre du rassemblement, aidé par le centriste François Bayrou qui l’avait d’abord soutenu, sous les quolibets de la droite, avant de rejoindre, à la fin février, le président d’En marche !
Sur le fond, le choc n’en est pas moins considérable. Après avoir pulvérisé la gauche, Emmanuel Macron exploite avec une facilité déconcertante les divisions de la droite dans l’espoir de construire une majorité à sa main aux législatives. Les juppéistes ont servi d’avant-garde, le reste de la droite modérée est tout près de suivre.
Françoise Fressoz (éditorialiste au Monde)
Un peu d’humour pour alléger l’atmosphère :
Le dernier chef de gouvernement français à avoir arboré une pilosité faciale comparable était Paul Ramadier, c'est en 1947. Après lui, seuls des mentons imberbes ou impeccablement rasés sont entrés à Matignon.
La Voix du Nord écrit :
« Révolution pileuse à la tête du gouvernement: Edouard Philippe a fait entrer la barbe à Matignon, une première sous la Cinquième République, très remarquée, qui illustre la popularité de ce look auprès de toute une génération.
Si barbes, barbiches et rouflaquettes étaient de mise chez les dirigeants sous les Troisième voire Quatrième Républiques, le glabre l'avait depuis largement emporté.
Et le monde politique restait jusqu'ici relativement hermétique à la tendance qui a fleuri depuis une dizaine d'années, sous diverses versions, sur les joues des hipsters, artistes, sportifs et cadres dynamiques.
Quand Emmanuel Macron, alors ministre, avait brièvement arboré une barbe naissante en janvier 2016, l'initiative avait créé le buzz sur les réseaux sociaux. En septembre, c'est en se faisant raser par un barbier devant les caméras, au salon de la coiffure, qu'il avait assuré le spectacle.
La barbe de trois jours de Nicolas Sarkozy en 2012, elle, avait fait dire à l'ex-ministre Roselyne Bachelot qu'il avait renoncé à revenir en politique, car « ce n'est pas avec un look pareil qu'on reconquiert le coeur d'un électorat hanté par la respectabilité ».
Lors de l'arrivée lundi à Matignon d'Edouard Philippe, 46 ans, considéré comme le premier chef de gouvernement à arborer une barbe depuis la barbiche de Paul Ramadier en 1947, le détail pileux n'est pas non plus passé inaperçu. Un autre barbu, Christophe Castaner, a été nommé porte-parole du gouvernement.
La barbe, fournie et taillée, que le maire du Havre porte depuis quelques années, est un signe de changement de génération à la tête du pouvoir, commente Samir Hammal, enseignant à Sciences Po spécialiste de l'apparence en politique.
Indice de jeunesse
« Édouard Philippe correspond bien au sociotype du quadragénaire à barbe convoqué dans de nombreuses campagnes de publicité », relève-t-il. Un détail qui par ailleurs « lui enlève son côté technocrate en l'humanisant ».
Ce phénomène de mode « a inversé les codes », souligne également le professeur d'ethnologie Christian Bromberger: « auparavant la barbe, c'était plutôt les personnes âgées, elle était blanche, maintenant c'est plutôt un indice de jeunesse. Une jeunesse non pas adolescente mais plus +start up+ ».
Nulle subversion dans ce type de barbe, domestiquée: « ce n'est pas la barbe des prophètes, des ermites, des hippies, des anarchistes ou de Che Guevara. Ce n'est pas celle de la gauche républicaine voire révolutionnaire », souligne Christian Bromberger, auteur de l'ouvrage Les sens du poil. Une anthropologie de la pilosité.
La vogue de la barbe, née du mouvement hipster aux Etats-Unis et inspirée par les « bears » homosexuels poilus, a pris le contre-pied de celle du métrosexuel imberbe des années 1990-2000.
Elle correspondait alors à une tendance à « l'ensauvagement » et au « lâcher-prise », même si cette barbe est aujourd'hui très travaillée, explique Pierre-Emmanuel Bisseuil, directeur de recherches au cabinet de tendances Peclers.
« C'est un signe d'affirmation de la virilité face à une féminité qui revendique certaines marques de pouvoir », juge l'expert, qui « voit donc encore pas mal d'avenir dans cette mode ».
Debray et les débrayeurs in Le temps
« L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron est peut-être en train de ringardiser une intelligentsia vieillissante, qui tourne en rond dans l’Hexagone morose plutôt que d’affronter le monde avec un peu d’esprit de conquête, écrit notre chroniqueur Alain Campiotti
La main sur le cœur? Il est cuit ! Régis Debray l’avait repéré avant même qu’il ne fût élu. Emmanuel Macron chante La Marseillaise en portant la main au cœur, comme n’importe quel Etats-unien devant sa bannière étoilée. C’est la preuve: l’Amérique imprégnante, comme de nous tous, s’est emparée de l’esprit du jeune président. Mais après tout, qu’est-ce que ça change? La France, comme l’Europe dans l’ombre de l’empire, est de toute manière sortie de l’Histoire. Il n’y a plus rien à sauver, sinon danser joyeusement dans notre décadence subjuguée qui a de beaux restes.
C’est ce qu’écrit Debray dans Civilisation, l’essai – paradoxalement roboratif et pétillant – qu’il vient de publier. Il n’est pas seul: toute l’intelligentsia française morose ou imprécatrice patauge dans la même eau. Michel Onfray, le bateleur multimédia de la décrépitude, explique que le «moloch totalitaire qui impose la religion du Veau d’or» a placé un de «ses desservants là où ils doivent se trouver pour bien faire fonctionner la machine». Emmanuel Todd, le démographe constamment furibard, avertissait par avance: voter Macron, c’est l’acceptation de la servitude. Le pompon revient à Alain Finkielkraut, l’académicien fébrile: il conseille au nouveau président de «vieillir vite». Il y en a d’autres, et bien pires…
Un pays occupé en douce
Pauvre France naguère jeune et vraiment rebelle ! Elle voit surgir un homme à l’air encore adolescent, formé dans la philosophie, la banque et l’Etat, qui prétend empoigner le réel pour, par exemple, sortir le pays de son chômage de masse et redonner à l’Europe du rayonnement, et tout ce que trouvent à dire ces penseurs fatigués, c’est de lui postillonner au nez.
Qu’arrive-t-il à cette intelligence – celle des intellectuels publics? La dernière fois qu’elle a essaimé au-dehors, on l’avait baptisée «French theory» (Derrida, Foucault, Lacan & Co) et son audience était dans les minuscules enclos des campus. Puis le reflux est venu, et le Paris bavard se retrouve avec GAFA à sa porte et un tiers-monde délibérément négligé dans ses banlieues.
Régis Debray s’est réveillé là et il a découvert, flânant dans les rues de la Rive gauche, un pullulement d’enseignes franglaises et américaines. Quand il a commandé un jambon-beurre, on lui a servi un hamburger. Un pays occupé en douce. Pour ce militant qui voulait, en commençant par la Bolivie, allumer «deux, trois, plusieurs Vietnam» afin d’ébranler l’empire, le choc fut rude.
Le désastre a eu lieu
Que faire? – comme dirait l’autre. «Conserver autant que se peut, répond-il dans un entretien, l’imparfait du subjonctif, la Sécurité sociale, les poulets de ferme…» Et avant de mettre en place cette modeste ligne Maginot, relire les livres oubliés qui annonçaient ce qu’on subit. Paul Valéry, par exemple, constatant il y a près d’un siècle que l’Europe aspirait «à être gouvernée par une commission américaine». Ou Simone Weill, prévoyant en 1943 que l’humanité allait perdre son passé par l’américanisation de l’Europe puis du globe.
Si Debray se replonge avec mélancolie dans ces écrits anciens, c’est qu’à ses yeux le désastre a eu lieu. Il y avait une civilisation, dit-il, définie par le temps, l’écrit, le drame de vivre, l’intérieur, l’être et la transmission. Elle s’est affaissée devant une autre, dominée par l’espace, l’image, le bonheur obligatoire, l’extérieur, l’avoir et la communication. Et c’est un grand malheur parce que nous y avons perdu «le sens de la durée et le goût des perspectives». La langue est le signe le plus visible de cette défaite. L’anglais est partout, et Régis Debray recense avec une cruelle jubilation maniaque son envahissement dans tous les domaines, jusqu’à repérer qu’Emmanuel Macron, de passage à Las Vegas dans une foire technologique, avait promis de faire de la France une smart nation. L’horreur.
Mais il faut s’y faire, dit l’ancien guérilléro. Les civilisations durent grosso modo cinq siècles, et l’américaine n’en est qu’à son deuxième. Ce fatalisme est d’autant plus étrange qu’il est avoué au moment où le pouvoir qui s’est installé au cœur de l’empire, à Washington, se décompose sous nos yeux dans une sorte de clownerie pathétique. Debray répondrait que ce cirque est sans importance: nos maîtres bienfaisants conservent leurs porte-avions, leurs missiles balistiques, Hollywood et la maîtrise du bœuf haché.
Un basculement géopolitique de retard
Il y a une autre objection plus sérieuse. Dans Civilisation, il n’est à aucun moment question, pour rendre compte de ce qui nous bouleverse, de la Chine et de l’Inde. Or comment ne pas le voir, la minorité de petits Blancs qui a mis Donald Trump au pouvoir est animée par les mêmes peurs et les mêmes frustrations que les électeurs du Front national et de ses cousins européens, affolés, même s’ils ne le savent pas, par le réveil des multitudes naguère dominées et soumises.
Régis Debray a sans doute un basculement géopolitique de retard, et le jeune Macron comprend mieux que lui nos nouveaux défis. C’est pour cela qu’il ne tient pas, lui, l’Europe pour un ectoplasme, mais pour notre chance et notre obligation.
Dans le fond, l’intelligentsia française vieillissante ne parvient pas à sortir des ornières dans lesquelles elle s’est enfermée en préférant toujours l’idéologie à la pensée pratique, le commentaire à l’action. La France est en train de changer et ses penseurs publics, comme cela arrive souvent dans le pays, ont débrayé.