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1 mai 2017 1 01 /05 /mai /2017 06:00
«Voter Blanc, c’est voter nul» la jeunesse est impatiente et sévère, mais il dépend de vous que votre critique ne demeure pas vaine et votre impatience stérile

Mon titre, volontairement provocateur, repose sur une anecdote datant du temps où j’arpentais le Languedoc-Roussillon au nom de mon Ministre, et que Jacques Blanc le Lozérien était président de la Région du fait de la désunion de la Gauche : c’était un slogan « Voter Blanc, c’est votre nul… »

 

Beaucoup plus sérieusement je vous propose en ce 1er mai très particulier, suspendu à nos craintes et aux petits calculs de certains, le Message à la jeunesse de Pierre Mendès France.

 

« Dans le cadre de la campagne pour les élections législatives du 2 janvier 1956, Pierre Mendès France prononce le 22 décembre 1955 à la télévision, puis le lendemain à la radio, des allocutions […].

 

Au cours de ces interventions, il adresse un Message à la jeunesse, réflexion sur les rapports entre la jeunesse et l’Etat. Un extrait de cet enregistrement sera rediffusé le 27 octobre 1982 lors de l’hommage officiel rendu à Pierre Mendès France par le Président de la République dans la cour d’honneur de l’Assemblée nationale ».

 

J’y étais.

 

La photo illustrant ma chronique est extraite du magnifique livret de cet hommage officiel. Je le garde précieusement, elle est dans mon bureau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En dehors de sa beauté formelle le texte que je vous propose ce matin reste, 57 ans après, d'une belle actualité, il a le charme des vieux films que l'on redécouvre, qui n'ont pas pris une ride, et qu'il faut savoir revisiter avec humilité et optimisme.

 

Sans doute nous faut-il vraiment toucher le fond pour redonner à notre système politique, à la manière dont nous sommes gouvernés, à notre propre responsabilité, de nouvelles couleurs, celles du vivre ensemble, du bien-vivre ensemble, par-delà nos différences, nos nécessaires oppositions, loin d’un aquoibonisme ravageur et destructeur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« La jeunesse est impatiente et sévère dans ses jugements, probablement plus en France qu’ailleurs, certainement aujourd’hui plus qu’avant. Ce n’est pas moi qui vous en blâmerais, vous les jeunes, car vous avez de fortes raisons d’être inquiets, d’être critiques. Je n’ignore pas ces raisons. Mais je sais aussi qu’il dépend de vous que votre critique demeure vaine et votre impatience stérile, ou qu’elles soient, l’une et l’autre, et dès maintenant, des ferments d’énergie et d’action.

 

On dit souvent selon une formule un peu banale, mais vraie, que vous êtes le sang nouveau qui peut revivifier la nation. Si, demain, les responsabilités doivent vous incomber, il n’est pas trop tôt pour en assumer d’ores et déjà une part, et plus importante que vous ne croyez — mais il faut le faire très vite. Sinon, un jour, vous trouverez écrasante la charge des hypothèques que vous aurez laissé accumuler sur vous.

 

Cela arriverait immanquablement, si vous permettiez que se gaspille et se perde la force vive dont vous disposez, si, prenant prétexte de ce que l’Etat vous ignore ou vous néglige souvent, vous vous détourniez de la chose publique, si vous vous désintéressiez de la conduite des affaires de ce pays, c’est-à-dire du foyer où vous passerez votre vie entière, et où vous serez demain heureux ou malheureux. Aussi, vous ne pouvez pas vous borner à répéter : » A quoi bon ? « . Vous devez vous employer dès maintenant à faire changer ce qui doit être changé.

 

Vos problèmes s’identifient évidemment avec ceux d’une nation qui a le souci de son avenir. C’est dans ce sens qu’on a pu dire qu’il n’y a pas de question qui soit particulière à la jeunesse, mais il est tout aussi exact de dire que la gravité d’une question se mesure à la façon dont elle affecte la jeunesse.

 

Certes, les jeunes ne sont pas les seuls à avoir besoin de se loger. Mais le cas des jeunes ménages qui ne trouvent pas de toit, ou des étudiants qui n’ont pas de chambre le soir pour travailler, n’est-il pas le plus dramatique ?

 

Certes, le plein emploi et la paix sont des bienfaits indispensables à tous les citoyens et de tous les âges, mais comment ne pas voir que la guerre met en cause pour un jeune tout son destin, et le chômage tout son espoir. Comment ne pas observer que ces calamités, qui peuvent ébrancher ou même abattre des arbres adultes, sont pour de jeunes arbustes un arrachement par la racine plus bouleversant, plus tragique, et surtout plus irréparable ?

 

Le gouvernement n’a pas le droit de l’ignorer. Puisque chacun des grands problèmes de la communauté nationale atteint la jeunesse plus gravement et plus profondément que quiconque, il importe qu’ils soient pris, étudiés, résolus en pensant à elle, en pensant à vous, enfants de la guerre et de l’après-guerre, à qui doit être épargné le retour de ce que nous avons connu et subi. Oui, penser constamment à vous, c’est la seule manière de construire toujours en fonction du futur, c’est la seule méthode pour être certain de ne jamais sacrifier l’avenir au présent, ce qui est en définitive le devoir suprême de l’homme d’Etat.

 

Une telle préoccupation, je dirais même une telle obsession, doit être constamment celle des hommes publics. D’immenses tâches sont devant nous : moderniser l’agriculture et l’industrie, mettre en valeur les pays d’outre-mer, rénover l’enseignement, la justice, l’administration, la défense nationale, lancer des grands travaux, développer la recherche scientifique, clef du progrès de demain, exploiter les forces atomiques, que sais-je encore – eh bien ! chaque fois que nous voudrons résoudre ces problèmes difficiles et complexes en vue de l’intérêt véritable et profond de la nation, de sa croissance, de son progrès, de sa puissance, chaque fois, puisqu’il s’agit de l’avenir, c’est inévitablement dans le sens qui profite le plus à la jeunesse que nous trouverons les solutions valables, les seules qui ne trompent pas.

 

Un régime politique, s’il méconnaît ces vérités essentielles, est un régime qui se condamne, qui se suicide. Il ne mérite d’exister, de durer que s’il est capable de construire l’avenir, que s’il sait s’orienter dans le sens du progrès, autrement dit : que s’il répond aux besoins des générations qui montent.

 

L’efficacité du régime républicain, du régime de liberté, ses chances de survie et de prospérité dépendent donc des liens qu’il saura créer entre la jeunesse et lui. Si notre République ne sait pas capter, canaliser, absorber les ambitions et les espoirs de la jeunesse, elle périclitera, elle perdra de plus en plus son sens et sa justification, elle se dissoudra ; mais si elle sait s’y adapter, si elle est capable de comprendre l’espérance des filles et des garçons de France, d’épouser cette espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’aura rien à craindre des aventuriers, des démagogues, des extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle.

 

Malheureusement, il faut le reconnaître, les démocraties, lorsqu’elles sont faibles, lorsqu’elles perdent leur sens profond et véritable, inclinent parfois à ne considérer que l’immédiat ou le très proche. Les échéances à plusieurs années de distance retiennent alors peu l’attention ; les hommes politiques sont souvent accaparés par les difficultés qui surgissent au jour le jour, ils croient que de la manière dont ils y feront face, ou encore de la manière dont ils parviendront à les ajourner, dépendent les applaudissements qu’ils recueilleront.

 

Cette attitude repose sur un jugement erroné à l’égard d’un pays comme le nôtre, que son bon sens et sa maturité rendent apte à entendre toutes les vérités. L’homme d’Etat doit le savoir et toujours peser l’incidence de chacune de ses décisions sur le destin du pays ; il lui faut diriger son regard plus loin que les obstacles quotidiens, vers ces horizons qui sont, en vérité, les vôtres.

 

L’un des plus graves problèmes du temps présent fait bien toucher du doigt que la question des rapports de la jeunesse et de l’Etat n’est pas une question parmi d’autres, mais qu’elle est la question décisive et qu’elle comprend toutes les autres. La population de notre pays, vous le savez, est longtemps demeurée stationnaire. Les jeunes étaient à peine assez nombreux pour assurer la relève des vieux. Parvenus à l’âge de prendre un métier, ils voyaient s’offrir pratiquement autant d’emplois qu’il leur en fallait, puisqu’à chaque jeune qui arrivait correspondait un ancien qui prenait sa retraite. A condition de ne pas être trop exigeant, trop ambitieux, chacun, tant bien que mal, trouvait sa place.

 

Les choses ont bien changé. Déjà l’accroissement des naissances se traduit par une augmentation des effectifs scolaires ; en grande hâte, il a fallu, il faut encore, construire plus d’écoles, et bientôt il va falloir donner plus de logements et procurer plus de travail au flot grossissant des adultes. C’est par centaines de milliers, c’est par millions que vont se compter, au cours des dix années qui viennent, les maisons à bâtir et les emplois à créer.

 

C’est une oeuvre considérable. C’est une oeuvre redoutable mais combien exaltante.

 

Pour qui sait en prendre la mesure, le rythme insuffisant des progrès actuels de notre économie est une cause d’alarme. L’optimisme euphorique et complaisant avec lequel on les considère trop souvent dans les milieux officiels n’est pas de mise, mais bien plutôt le sentiment d’un devoir qui n’est pas rempli envers ces jeunes, que la croisade contre le malthusianisme de la population a appelés à la vie. Si le malthusianisme de l’économie n’est pas combattu à son tour, un jour ils pourront nous reprocher l’inconséquence coupable qui les prédestinait à une existence médiocre et sans horizon autre que le chômage, toujours présent ou toujours menaçant.

 

Mais, avant d’en arriver là, ou plutôt pour ne pas en arriver là, il faut qu’eux-mêmes soutiennent leur propre cause, avec ceux qui la défendent. Sans retard, la jeunesse se doit d’intervenir pour le plein emploi et l’expansion économique, qui seuls assureront la sécurité et la dignité de son existence.

 

Sans doute, la mode est-elle aujourd’hui d’inscrire ces objectifs, ou plutôt ces mots, dans tous les programmes politiques. Mais une chose est d’approcher un peu du but en se laissant porter par quelque brise favorable et de se contenter de demi-succès, toujours médiocres, précaires et fragiles, et une autre chose est de poursuivre l’objectif de toute son énergie et, s’il le faut, contre vents et marées, contre les routines, les mauvaises habitudes et les intérêts installés. Entre une politique statique, qui peut tout juste louvoyer, et une politique dynamique, qui veut passionnément conquérir l’avenir, comment la jeunesse hésiterait-elle ?

 

Dans vos colères et dans vos enthousiasmes, vous disposez d’un capital d’énergie qui peut et doit servir la cause du mouvement et du progrès. C’est de vous qu’il s’agit, chaque fois qu’un sacrifice présent est demandé pour un plus grand bien ultérieur, chaque fois qu’un privilège hérité du passé est combattu, parce qu’il hypothèque l’avenir, chaque fois que sont en jeu le développement et l’amélioration de la production générale, ou la substitution d’une activité utile à une autre qui ne l’était pas, chaque fois que la santé et les forces vives de la nation sont défendues contre le gaspillage, la maladie, le chômage, l’alcoolisme, le taudis, ou le mauvais emploi de nos ressources, ou encore l’affaiblissement par une politique bornée de cette Union française qui demeure l’une de nos grandes espérances.

 

Vous trouverez, croyez-moi, des appuis croissants dans un pays qui, heureusement, est en train de prendre conscience des réalités comme des possibilités, et où apparaissent, un peu partout, une vigueur toute fraîche, un désir de rénovation, une curiosité ardente, et l’ambition de réformer, d’améliorer, d’aérer, d’élargir. Ce climat, je ne crains pas d’affirmer qu’il est dû au renversement de la courbe de la natalité, à la proportion croissante, à l’action grandissante des jeunes, que le statisticien avait déjà décelés, et que l’homme politique commence à constater et à ressentir.

 

Car il n’est pas besoin d’attendre que les enfants soient en âge de voter pour que leur influence sur la vie nationale se manifeste. L’homme qui a des enfants, et dont la préoccupation principale est irrésistiblement celle de leur avenir, cet homme est déjà un homme différent. Il réagit, il pense, il travaille d’une autre manière, avec une autre ardeur que celui dont la perspective est limitée à son propre sort. Ainsi, la fécondité nouvelle de la nation a déjà stimulé la vitalité de la génération qui est à la barre. Ainsi vous agissez déjà, sans même vous en rendre compte, par la responsabilité vivifiante que vous placez sur les épaules de ceux qui vous précèdent, et par les espoirs que vous suscitez en eux.

 

Mais cela ne suffit pas. Jeunes hommes et jeunes femmes de France, vous devez intervenir et agir par vous-mêmes. Organisez-vous, groupez-vous, pour faire entendre votre voix, participez aux mouvements de jeunesse, animez-les, poussez-les à exercer sur les pouvoirs publics une pression continue, afin de faire triompher les décisions que dicte le sens de l’intérêt collectif !

 

Et ce n’est pas tout encore. N’hésitez pas à prendre part à la vie politique, qui sans votre inspiration risquera toujours de retomber dans les vieilles ornières…

 

Ayez constamment présente à l’esprit la relation étroite et quotidienne qui existe, et qui maintenant existera de plus en plus, entre vos préoccupations, vos soucis, vos besoins, et l’action d’un grand Etat, qui, après tant d’épreuves, veut se refaire, veut se redresser. Comprenez le rôle que vous pouvez jouer, la contribution dans la marche en avant que vous pouvez apporter. Décidez dès aujourd’hui de peser de toutes vos forces sur la destinée nationale, préparez de vos propres mains l’avenir plus heureux et plus juste auquel vous avez droit. Soyez enfin, au sens le plus riche de ce mot, des citoyens ! »

 

Pierre Mendès France, Œuvres complètes, tome 4 « pour une République moderne» 1955-62, Paris, Gallimard, 1987, p. 148-152. © Editions Gallimard.

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