Rassurez-vous je n’ai pas repiqué à ma drogue préférée, j’ai simplement retrouvé une pile de Nouvel Observateur datant de mai-juin68.
Je les ai feuilleté, Dieu qu’ils étaient austères, le nombre de signes des articles abondant, et très vite j’ai retrouvé le parfum du mois de mai, sulfureux, bien loin des interprétations qui fleuriront par la suite, soit pour minorer le mouvement, soit pour en faire une révolution d’opérette.
Le personnage central, de Gaulle, longtemps ébranlé puis ressuscité, tel Lazare (titre La résurrection de Lazare) « Je ne serai ni Pflimlin, ni Daladier, ni Louis XVI… » a-t-il laissé tomber « mercredi 29 mai, avant de quitter l’Élysée pour l’aérodrome de Saint-Dizier où l’attendait la Caravelle présidentielle. »
Pompidou lui avait dit « Partez ! » afin de mettre sur pied une sorte de « gouvernement de salut public » pour « défendre la République contre l’insurrection communiste ». « Le bateau ne doit pas couler avec de Gaulle » tel était le sentiment qu’exprimait le Premier Ministre. Il le paiera d’une éviction.
« Pas de sang sur mes mains, à la fin de ma vie » aurait murmuré le vieux Général devant des fidèles, alors comme à Londres, il va faire bouger « le parti de la trouille » en direct à la radio. La vieille garde qui « en a marre de rester les fesses sur des chaises alors que la rue est livrée aux révolutionnaires… » va mobiliser « une manifestation place de la Concorde… »
Ce sera un raz-de-marée, une Chambre bleue horizon, le début de la fin pour le vieux Général malgré le débarquement de « la couleuvre Pompidou » au bénéfice du martial Messmer.
Pendant cette campagne il a été fait beaucoup référence à de Gaulle pour évoquer des questions d’intendance d’un de ses lointains héritiers, des sujets qui se devaient de rester subalternes mais qui ont pris du relief dans une atmosphère délétère de dégagisme, rejet des élites et montée des démagogues.
Quelques morceaux choisis de l’époque qui le remette à sa place, celle d’un chef d’Etat obligé de s’appuyer sur le jeu parlementaire des partis politiques honnis pour sauver les meubles du pouvoir.
Jamais tant d’imprévoyance, tant de légèreté, tant d’impéritie n’ont été plébiscités si massivement.
« Écorné par l’élection présidentielle en 1965, et mis à miettes en 1967 par le second tour des législatives, voici le mythe gaulliste paradoxalement retrouvé. Ces dernières années, l’homme était redevenu un candidat comme les autres, soumis au ballotage, menacé par les motions de censure. Le voici à nouveau symbole national. Et, malgré la maladroite concurrence du parti communiste, il s’est adjugé le drapeau tricolore. C’est qu’il faut à de Gaulle un théâtre tragique. La guerre mondiale, puis la guerre coloniale lui ont fourni deux scènes à sa taille. Manquait la guerre civile. Ce troisième acte, dont la révolte étudiante et les grèves ouvrières ont fourni le livret, s’est révélé providentiel. Il importe peu, dès lors, que la tragédie soit en réalité une farce et qu’à l’Étoile, « la Marseillaise » de ministres convulsionnaires ait paru sortir de Marat-Sade plus que d’un drame patriotique.
Voici du même coup reparu le caractère bonapartiste de la conjoncture politique française, bien atténué dans les derniers scrutins. Le talent de M. Pompidou a été de camoufler un plébiscite en élections législatives. Car qui, ces dernières semaines, s’est soucié de l’Assemblée nationale ? Ni les étudiants, ni les neuf millions de grévistes, ni le gouvernement. Il a fallu le discours du 30 mai pour que le chef de l’État, en dissolvant l’Assemblée, la rappelle à l’existence. En votant U.D.R, aucun Français n’a vraiment cru élire un représentant au Parlement, mais affirmer la magie d’une étiquette. »
François Furet-Jacques Ozouf le 26 juin 1968
« Pour les amateurs de « signes », la révolution de mai a été quelque chose de prodigieux et nous aurons failli à notre métier si nous ne sommes pas arrivé à en convaincre nos lecteurs les plus réticents, les plus inquiets et les plus calmement réformistes. Un des rares esprits que le signe de cette révolution n’a pas abêtis, c’est André Malraux, et je suis, à gauche, du petit nombre de ceux que cela n’étonne pas. Sans doute le ministre de notre culture contestée n’a-t-il pu s’empêcher de sacrifier à la dévotion gaullienne, et de triste manière. Pour l’histoire il aura tout de même dit :
« La répétition générale de ce drame suspendu annonce la grande crise de la civilisation occidentale […] La rencontre de l’élément jeunesse et de l’élément prolétariat est un phénomène sans précédent […] Une grève capitale est toujours plus qu’une grève. »
Il aura ajouté que, tandis que ses « amis » formulaient des affirmations péremptoires, lui, Malraux, s’interrogeait, « fasciné », et qu’il voudrait bien être un sociologue de 25 ans étudiant les transformations vertigineuses de la société occidentale comme on étudie la civilisation maya.
[…] Le gaullisme à ses yeux, ne saurait être victime que de l’apocalypse. Pour justifier la fin du gaullisme dit « de gauche », il ne faut rien moins que la fin du monde. »
Jean Daniel 26 juin 1968
Un conflit d’avenir
La vieille gauche de la FGDS, celle de Mollet, Billères, Defferre, Mitterrand pense que « le pouvoir, en France, n’est pas prête à un gouvernement communiste ou à majorité communiste. Pour installer un régime socialiste, nous avons absolument besoin de l’appui des classes moyennes. Tout ce qui contribue à les effrayer fait donc reculer le socialisme – et c’est pourquoi, nous condamnons si sévèrement l’attitude du PSU, qui, sur le plan électoral, favorise le gaullisme en divisant les voix de gauche – et qui, à long terme, ne débouche que sur un affrontement sanglant. »
Michel Rocard n’est pas d’accord, pour lui, il n’y a pas deux moyens de prendre le pouvoir, mais trois :
- la voie légale « qui mène fatalement à des compromissions dont nous ne voulons plus » ;
- l’insurrection « que nous refusons aussi, car nous ne voulons pas gouverner dans la rue » ;
- la pression populaire et pacifique : « c’était le cas, en mai dernier. Il y avait effectivement une situation nouvelle de vacance du pouvoir. Avec dix millions de travailleurs en grève, tout le pays bloqué, il était possible de provoquer une paralysie générale qui aurait amené pacifiquement la chute du régime, et l’avènement d’un gouvernement de gauche. Le parti communiste n’a pas voulu ou pas osé jouer cette carte. Maintenant, il est trop tard, mais l’occasion se représentera… »
Josette Alia 26 juin 1968