Le 29 et 30 mai à l'Elysée : le chef de l'Etat a disparu, la rumeur gronde de la vacance du pouvoir. De Gaulle est parti à Baden-Baden rencontrer le général Massu. De retour à Paris, il reçoit Georges Pompidou qu'il confirme à son poste de Premier ministre, et il accède à sa requête, la dissolution de l'Assemblée nationale. A 16 h 30, à la radio, il annonce ses décisions et affirme sa légitimité.
De Gaulle parle - un discours concis, des phrases sèches, des formules cinglantes – le communisme totalitaire, menace du recours à la force légale : art 16 ou para-légale : l’action civique. Une heure avant, il avait brièvement réuni ses ministres en conseil extraordinaire pour les prier de descendre dans la rue et les informer qu'il devrait se séparer de certains d'entre eux, « parce que la situation l'exige ».
C'est clair : le vieux chef de l'Etat a décidé de résister au flot. Il appelle ses soutiens à se manifester publiquement, en organisant « partout et tout de suite » pour aider le gouvernement et les préfets, « l'action civique ». Loin d'être improvisée, la manifestation des gaullistes est préparée depuis le 26 mai par Jacques Foccart en accord avec le chef de l'Etat. Un autre flot déferle sur Paris. De la place de la Concorde, suivant André Malraux, Michel Debré, Maurice Schumann, Jacques Foccart, Robert Poujade et tous les caciques de la majorité, une foule immense remonte les Champs-Elysées vers l'Etoile. Ils sont un million à hurler à De Gaulle qu'il « n'est pas seul ». Le reflux s'annonce. La France sent qu'on va bientôt siffler la fin de la récréation.
Le lendemain, des manifestations en faveur du chef de l'Etat ont également lieu en province, notamment à Rouen, au Havre, à Caen, mais aussi à Besançon, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lyon, Limoges, Marseille, Montpellier, Nancy et Toulouse. Cette mobilisation gaulliste fait perdre l'initiative politique à la gauche et annonce le retournement d'une opinion inquiète, prête à saisir le retour à l'ordre, à défaut d'alternative crédible.
Il faudra attendre seize ans et les grandes manifestations en faveur de l'Ecole Libre, pour que la droite lance à nouveau des marées humaines dans les rues...
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Mes souvenirs personnels à Nantes le 30 mai 1968
« Le football aux footballeurs ». Du 22 au 27 mai 1968, ce slogan flotta aux fenêtres de la fédération française de football. Une révolution ? Plutôt un putsch.
Just Fontaine président du comité d'action
Au petit matin du 22, une centaine de footballeurs investit les locaux de l'avenue d'Iena, « retenant » le secrétaire général, Pierre Delaunay, ainsi que Georges Boulogne, alors « instructeur national ». Menés par François Thébaud, journaliste à Miroir Sprint (*) et futur père du mouvement « football progrès » (lire ci-dessous), les putschistes entendent « rendre le football aux 600.000 footballeurs français (ils sont aujourd'hui 2.320.000, NDLR), dont les pontifes de la fédération les ont expropriés pour servir leurs intérêts égoïstes de protecteurs du sport ». Dans une France paralysée par les grèves, les membres de ce « comité d'action des footballeurs » sont quasi exclusivement des amateurs de la région parisienne. Leur coup de génie consiste à convaincre Just Fontaine d'accepter la présidence à distance (le téléphone fonctionnait).
S'ils n'ont pas pris part activement à l'occupation de la fédération (ci-dessus), les footballeurs, en lutte contre le contrat à vie depuis la création de l'UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels) sept ans plus tôt, se sont joints de manière dispersée à la grève. Dans ce contexte, un match amical entre Nantes et Rennes «au profit des familles des grévistes» a attiré 13.000 personnes le 30 mai à Marcel-Saupin. « La grève était très contestée à l'époque et nous ne l'avions pas faite à Nantes, se souvient Robert Budzinski, puisque nous avions joué notre match contre Nîmes lors de la journée qui devait être reportée. Cependant, nous étions d'accord avec l'UNFP dans sa lutte pour obtenir une reconnaissance professionnelle ».
« Au lever du jour, investit par le frère de Marie - celui que nous avions croisé le premier jour - et quelques-uns de ses acolytes, l'appartement se transforma en repaire de conspirateurs. Ignorant notre présence, exaltés, ces jeunes gens se préparaient à la grande manif commanditée par une étrange coalition de gaullistes, d'anciens pétainistes, de partisans de l'Algérie française et des fafs habituels de la Fac.
La spontanéité de la marée des Champs-Elysées, et des foules des grandes villes de province, s'appuyait sur l'art consommé de la vieille garde du Général à mobiliser ses réseaux de la France libre. Mobilisation amplifiée par l'adhésion d'une partie du petit peuple laborieux excédé par le désordre et de tous ceux qui voulaient voir l'essence réapparaître aux pompes pour profiter du week-end de la Pentecôte. La majorité silencieuse, mélange improbable de la France des beaux quartiers et du magma versatile de la classe moyenne, trouvait ce jeudi 30 mai sa pleine expression.
La journée plana, d'abord suspendue à l'attente du discours du voyageur de Baden-Baden avant de prendre son envol avec le bras-dessus, bras-dessous des Excellences soulagées sur les Champs-Elysées, elle s'acheva, telle une feuille morte se détachant de sa branche, dans un mélange de soulagement et de résignation. Mai était mort et tout le monde voulait tourner la page, oublier.
L'allocution du Général est prononcé sur un ton dur, autoritaire, menaçant. L'heure de la normalisation a sonné. De Gaulle ne sait pas encore, qu'en fait, c'est une victoire à la Pyrrhus, une droite réunifiée et les veaux français ne tarderont pas à le renvoyer à Colombey pour élire Pompidou le maquignon de Montboudif.
Avec Marie, en cette fin de journée, nous sommes assis dans les tribunes du vieux Stade Marcel Saupin, au bord de la Loire, tout près de l'usine LU pour assister au match de solidarité en faveur des grévistes, entre le FC Nantes et le Stade Rennais. En ce temps-là, les footeux, parties intégrantes de la vie des couches populaires venant les supporter match après match, osaient mouiller le maillot, prendre parti pour eux. José Arribas, l'entraîneur des Canaris, républicain espagnol émigré, à lui tout seul personnifiait cette éthique.
Le stade semblait abasourdi, comme si on venait de lui faire le coup du lapin. Les Gondet, Blanchet, Budzinsky, Le Chénadec, Suaudeau, Simon, Boukhalfa, Robin, Eon, conscients de la gravité du moment, nous offraient un récital de jeu bien léché, à la nantaise comme le dirait bien plus tard, un Thierry Rolland revenu de ses déboires de mai. Il fera partie de la charrette de l'ORTF.
Comme quoi, mai, ne fut pas, contrairement à ce nous serine l'iconographie officielle, seulement un mouvement de chevelus surpolitisés. Marie, ignare des subtilités de la balle ronde, applaudissait à tout rompre. A la mi-temps, en croquant notre hot-dog, dans la chaleur de la foule, sans avoir besoin de nous le dire, nous savions que ce temps suspendu que nous venions de vivre marquerait notre vie. Nous ne serions plus comme avant. Lorsque l'arbitre siffla la fin du match, l'ovation des spectateurs, surtout ceux des populaires, sembla ne jamais vouloir s'éteindre. C'était poignant. La fête était finie, personne n'avait envie de retrouver la routine du quotidien. Dans la longue chenille qui se déversait sur le quai, le coeur serré je m'accrochais à la taille de Marie comme à une bouée. »