Dans le petit monde des GCC bordelais les plus bienveillants, lorsqu’on aborde la conversion de château Palmer à la biodynamie, vous répondent avec un petit sourire qui se veut courtois « Thomas Duroux est un bon communicant… ». Les autres, les « Le bio c’est stupide, dès qui pleut il faut retraiter... » dixit Antoine Gerbelle, nouvel apôtre des vins nus, suite à un déjeuner avec le charmant propriétaire de Cos Labory, GCC de St-Estèphe, c’est le déni, un immense désert de la pensée qui va leur revenir un jour dans la tronche au plan commercial, le seul qui les touche.
Revenons à Palmer, pas notre cher Jack, mais le château qui a viré de bord, lire ICI
« On faisait du Rudolf Steiner avant l’heure, dans ces petites fermes, qui étaient de vrais organismes autonomes » Jacques Dupin chef de culture au château Palmer…
Que Thomas Duroux soit un bon communicant c’est un fait avéré mais lui ne se contente pas de nous tartiner, comme certains de ses confrères, un storytelling usé jusqu’à la corde, il fonde celle-ci sur des actions qui sortent des sentiers battus. Il investit, non dans des chais pharaoniques, ça devient d’un commun, mais dans ses vignes et leur environnement. Et que l’on ne me rétorque pas qu’il en a les moyens, il n’est pas le seul dans l’univers des GCC.
Dans le dernier L’Œil de Palmer il écrit : « Le visiteur qui a connu le domaine de Château Palmer au début du XXIe siècle le redécouvre magnifié. Le lieu, majestueux a gagné en poésie. Car la nature a opéré, mais une nature composée, ordonnée : un jardin ! Fait de profondeurs, de reliefs, jouant des couleurs et des volumes, mêlant les essences dans un entrelac savant.
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« Au-delà du jardin, s’étendent les vignes. Lorsqu’elles sont menées avec sagesse, les vignes sont elles-mêmes un jardin, dit le grand paysagiste Gilles Clément, qui s’est arrêté au domaine un jour de l’été 2016. Le « jardin planétaire » qui lui est cher, ces espaces sauvages qui constituent le grand réservoir de biodiversité, Gilles Clément les a trouvés en bordure de vigne, dans les prairies et les lisières de forêt. »
Que nous dit Gilles Clément ?
« La Terre est un jardin, qu’il est nécessaire de préserver. Et pour cela, il faut équilibrer les cultures et les espaces de friche, « les délaissés » : le « tiers-paysage ».
« Il y a, tout autour, des vignes, le boisement, la partie sauvage. Et puis une marge qui n’est pas exploitée, un espace tampon, où l’on peut envisager un tiers-paysage herbacé, c’est-à-dire l’accueil d’une diversité qui a besoin de soleil et de lumière. On peut aussi imaginer des cultures potagères, pour une production locale qui pourrait être associée au chef cuisinier japonais de Château Palmer, dont la cuisine est extraordinaire. Et puis, aux alentours du château, vers la Gironde, j’ai vu les vaches du domaine. On leur a parlé…
On n’a plus l’habitude de voir ce type de vaches, elles ne sont pas dans les critères de la rentabilité et de la compétitivité. Grâce à elles, château Palmer peut avoir du bon compost non bourré d’antibiotiques… »
À propos d’un grand vignoble chilien passé en biodynamie : « Ils se sont compliqué délibérément la vie pour revenir à une agriculture héroïque ! »
« Car le combat aujourd’hui n’est plus dans la reconnaissance de l’efficacité et de l’importance de la biodynamie ou de la culture biologique en général. Cette vérité est passée dans les consciences. Il est dans l’acceptation d’un autre modèle culturel qui prenne en compte l’aléa, qui s’intéresse au moyen et au long terme. »
« On travaille avec le vivant, chaque pied de vigne a son comportement. Ce sont des êtres vivants. Il faut que chacun comprenne cela.
« Il faut répéter qu’on est en train de connaître un changement de modèle culturel et économique. Et que notre survie est en jeu§ Quel est notre modèle de convoitise ? Une autre voiture, ou un autre yacht pour les plus riches, mais pourquoi faire ? Ne vaut-il pas mieux désirer davantage de silence, moins de pollution, une qualité de paysages, un développement plus immatériel. Il est évident, par exemple, en matière agricole, que la polyactivité va dans le bon sens. C’est une attitude du futur. »
« Dès lors, je sais où j'habite ». Il a fallu que Gilles Clément découvre un vallon dans sa Creuse natale et s'y installe, la trentaine passée, en 1977, pour découvrir le sentiment de propriété. Anticonformiste, écolo avant l'heure, comment "habiter", comment penser cadastre, clôture, mur, pour ce jardinier-poète
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Chaire de Création artistique (2011-2012) au Collège de France
Leçon inaugurale prononcée le jeudi 1er décembre 2011
Gilles Clément
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Gilles Clément est ingénieur horticole, paysagiste, jardinier et enseignant à l’École nationale supérieure du paysage. Ses travaux s’articulent autour des concepts de jardin en mouvement, de jardin planétaire et de tiers-paysage. Parmi ses réalisations figurent les jardins de l’abbaye de Valloires, le domaine du Rayol, le jardin de l’ENS de Lyon et, en région parisienne, les jardins du musée du Quai Branly et de l’Arche de la Défense. Il est titulaire de la chaire de Création artistique au Collège de France pour l’année 2011-2012.
Le site de Gilles Clément ICI