Bien plus que le fameux cabinet noir de l’Elysée « révélé » par Bienvenue Place Beauvau, le livre coécrit par Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé, qui, selon le châtelain de la Sarthe, lui ferait que des misères en le mettant à nu, puisqu’il a dû renvoyer les fameux costars sur mesure, c’est le buisson ardent de François qui fait jaser le Tout Paris.
Le 6 avril 2014, durant le Marathon de Paris, François Hollande s’est retrouvé bloqué en voiture porte d’Auteuil à cause d’un terrible embouteillage.
Inquiet de savoir le président de la République immobilisé trop longtemps au même endroit, le service de sécurité de ce dernier a contacté la préfecture de police de Paris et lui a demandé de fluidifier au plus vite la circulation.
La préfecture de police de Paris a alors demandé à une vingtaine de fonctionnaires qui « veillent en permanence sur les 5000 caméras vidéo de la police parisienne » de zoomer sur le cortège du président. Ces derniers se sont exécutés… et qu’ont-ils découvert ?
Une scène bien loufoque et surtout, bien mystérieuse : « en grand format (…) sortant d'un buisson, François Hollande et … une jeune femme que le président va ensuite prendre en photo avec son iPhone ».
Voici ce qu'ont relaté les auteurs, avant d’ajouter que ce fameux dimanche 6 avril, «François Hollande et Julie Gayet se rendent à la Lanterne, l'ancien pavillon de chasse du château de Versailles, devenue résidence secondaire des présidents depuis Sarkozy. »
L’identité de la « jeune femme » du buisson étant donc facile à déduire, reste à savoir ce que faisaient les deux tourtereaux derrière ce buisson… » ?
En voilà une bonne question mais revenons à des choses sérieuses : la référence au suicide de Pierre Bérégovoy par François Fillon relève, pour moi, de l’ignominie la plus sordide. J’ai bien connu Bérégovoy lorsqu’il fut Premier Ministre, dans son bureau de Matignon, tirant sur son éternel petit cigarillo, il s’inquiétait de la montée de la grogne des paysans face à la première réforme de la PAC. L’homme était simple, intelligent, sensible, un peu complexé par son statut de je me suis fait tout seul dans un univers peuplé de têtes d’œufs, las d’arriver trop tard pour redresser la barre. Je l’aimais bien et je suis allé au Val de Grâce me recueillir, comme une foule d’anonymes, sur sa dépouille mortelle.
Béré comme nous l’appelions, c’était l’anti-Fillon, ce qui lui importait c’était d’être reconnu pour sa compétence, ses capacités à gouverner, tout le contraire d’un petit apparatchik âpre au gain, grippe-sous, minable jusque dans ses regrets…
« Né en 1925 à Déville-lès-Rouen, Pierre Bérégovoy a connu l’épicerie de ses parents, puis une petite et modeste ferme à La Vaupalière avant de devenir ajusteur en usine. Pendant la guerre, c’est cheminot à la gare d’Elbeuf qu’il entre dans la Resistance et rencontre Roland Leroy.
Après la guerre il s’engage dans le la vie politique et syndicale. En 1950 il est à Gaz de France, à Rouen, comme agent technico-commercial. Sur l’intervention de Tony Larue (le maire socialiste de Grand-Quevilly) il est muté en 1957 à Paris où il fera la carrière que l’on sait. »
C’est ce qu’on appelle l’école de la vie et non le petit fleuve tranquille d’un petit attaché parlementaire qui courbe l’échine, cherche l’ombre des puissants, trahit les mannes de son mentor Philippe Séguin, gère sa petite entreprise familiale en profitant de toutes las failles du financement public, s’acoquiner avec la France rance de la Manif pour tous et la lie réactionnaire de la France rentière représentée par le petit Bruno Retailleau minable clone de Philippe de Villiers.
Mon passé d’enfant de chœur en chef me permet d’exhumer mes référence en matière de contrition :
Soumis à votre réflexion à propos des remords, regrets de François Fillon : est-il en état de contrition ou d’attrition ?
L’église catholique établit deux degrés dans le remords :
L'un, qu'elle appelle la contrition, qui est le regret d'avoir péché, fondé sur la douleur d'avoir offensé Dieu ;
L’autre qu'elle appelle attrition, ou contrition imparfaite, qui est le regret d'avoir péché, fondé sur la crainte des peines de l'enfer.
Quand les faiblesses de l’homme sabordent le projet du candidat
LE MONDE | 24.03.2017 par Françoise Fressoz
CHRONIQUE. N’est pas de Gaulle qui veut. Plus le doute s’insinue autour de la personnalité de François Fillon, plus son projet s’édulcore, comme si le redressement du pays, qui était sa visée et l’objet même de sa candidature était en train de se réduire au rôle de variable d’ajustement d’une aventure qui prend l’eau.
Depuis le début de la campagne, les Français ont découvert un personnage très différent de celui qu’ils avaient imaginé lorsque, réduit au rôle de « collaborateur » de Nicolas Sarkozy, François Fillon endurait à Matignon. Ils avaient imaginé un homme sobre, ombrageux, orgueilleux, souffrant, au nom de la raison d’Etat, de n’être que second mais préparant déjà le redressement du pays dont il avait diagnostiqué très tôt l’état de « faillite ».
Ils ont découvert un élu âpre au gain, capable de transformer son mandat parlementaire en une entreprise familiale lucrative, un député qui se faisait prêter de l’argent par un ami financier, un candidat qui a accepté de se faire offrir de coûteux costumes par un avocat avant de reconnaître qu’il avait eu « tort » et de les rendre.
L’assiégé dénonce « une machination »
Ils ont surtout vu un candidat prêt à renier sa parole pour pouvoir aller jusqu’au bout de sa candidature à la présidentielle et pourtant constamment rattrapé par ce reniement qui était le coup de canif porté à l’image qu’il avait projetée : il ne serait pas candidat s’il était mis en examen. Pourtant il l’est. Et c’est devenu sa croix qui s’alourdit chaque jour au gré des révélations avec cette semaine une extension de l’enquête à des faits de « faux et usages de faux » et « escroquerie aggravée ».
En retour, François Fillon cogne comme le faisait naguère Nicolas Sarkozy. L’assiégé dénonce « une machination » politique, parle de « scandale d’Etat » accuse nommément François Hollande d’animer un « cabinet noir » à l’Elysée, ce que l’intéressé dément vigoureusement.
La campagne vire au pugilat et toute cette hargne déployée à défendre son honneur est inversement proportionnelle à celle que le représentant de la droite met à sauver son projet qui ne pouvait fonctionner que sur deux pieds : la vertu et le courage, puisque tel était le contrat de départ, un remède de choc assené par un père la rigueur. La rigueur pour le pays mais aussi pour lui-même.
« Attention casse-cou »
D’un coup, le mot « courage » a disparu de la campagne et, sous la pression des élus, de l’huile a été mis dans tous les rouages du projet. La TVA augmentera de deux points mais le taux intermédiaire sera épargné ; les 35 heures seront supprimées mais pas aussi brutalement ni aussi radicalement qu’il avait été dit puisqu’une négociation d’un à dix-huit mois est prévue dans les entreprises, laquelle aboutira à définir une durée moyenne.
La dépense publique sera amputée sans que l’on puisse accorder un quelconque crédit au chiffre de 100 milliards d’euros brandi par le candidat puisque l’effort demandé aux collectivités locales qui était au départ de 20 milliards d’euros a brusquement fondu.
Quant aux 500 000 postes de fonctionnaires en moins, François Baroin, désormais présenté comme la bouée de sauvetage de François Fillon, ne les cautionne nullement. « Attention casse-cou », a lancé le maire de Troyes, mercredi 22 mars. Et cela ressemblait à l’ultime pelletée jetée sur un projet devenu trop grand pour le candidat.
Macron, modèle 1958 ou modèle 1981 ?
25 mars, 2017
Emmanuel Macron ne doute pas un seul instant de pouvoir de disposer d’une «majorité cohérente» dans la prochaine Assemblée nationale s’il est élu Président de la République. Il l’a redit dimanche dernier dans le JT de TF1. L’étonnant aurait été bien sûr qu’il affirme le contraire mais il y a quand même dans cette conviction inébranlable quelque chose d’un peu paradoxale. Le candidat d’En Marche a beau considérer que toutes les règles classiques de la vie politique sont désormais obsolètes, il n’imagine visiblement pas qu’une des plus vieilles d’entre elles puisse ne pas fonctionner à son service, en mai et juin prochain.
Un Président, une majorité présidentielle et, enfin, une majorité parlementaire ! Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ? L’élan qui permet l’élection du premier et fonde la seconde entraine, du même coup, l’installation quasi-naturelle de la troisième : il n’y a pas d’exemple sous le Cinquième République où cet enchainement n’a pas fonctionné dans le cadre d’une alternance franche. Avec le quinquennat et ce qu’on a appelé «l’inversion du calendrier» – d’abord la présidentielle, ensuite les législatives –, tout est d’ailleurs fait pour qu’il en soit ainsi. François Hollande, lui-même, a pu le vérifier en juin 2012 alors que beaucoup, on l’a oublié, lui promettait le contraire.
L’ancien ministre chiraquien, Jean-Paul Delevoye, qui préside la commission d’investiture d’En Marche est allé un peu plus loin que son champion lorsqu’il a expliqué, jeudi, dans les colonnes de l’Opinion, que le schéma sur lequel il travaille est celui d’une majorité de 400 députés sur 577. Ce qui, en soit, est énorme ! Même en 1981, François Mitterrand, dans la foulée de son élection, n’avait pas réussi pareille performance. Jean-Paul Delevoye a par ailleurs précisé que la moitié de ces députés sera issue de la société dite « civile ». Ce qui implique donc que l’autre sortira des rangs des partis politiques traditionnels.
Mais ces députés-là seront-ils des ralliés ou des alliés ? Seront-ils encartés chez Emmanuel Macron après avoir rompu les amarres de leurs anciennes fidélités ou seront-ils membres de formations ayant choisi de soutenir de manière autonome l’action du nouveau Président ? Et cela dans quelle proportion ? On est là au cœur du problème soulevé par la possible installation à l’Elysée d’un homme au profil atypique et au parcours improbable. Pour pouvoir gouverner, Emmanuel Macron aura besoin d’une majorité parlementaire. Si elle est cohérente, sera-t-elle aussi massive qu’il l’imagine ? Si elle est massive, sera-t-elle aussi cohérente qu’il le prétend ? Est-il enfin imaginable qu’au bout du compte, elle ne soit ni vraiment massive, ni même totalement cohérente, ce qui, dans le contexte de grand dérèglement du système politique français, ouvrirait évidemment une nouvelle page dans l’histoire de nos institutions ?
Plusieurs acteurs, et non des moindres, de l’aventure d’En Marche ont tenu récemment des propos qui montrent que ces questions ne relèvent pas de la pure spéculation. Pour Jean-Pierre Mignard, par exemple, la situation de 2017 est potentiellement comparable à celle de 1958. Afin de refonder la République, le Général, lors de son retour au pouvoir, avait rassemblé autour de lui une majorité composite dans laquelle une fraction notable des forces politiques traditionnelles, centristes et socialistes notamment, avait conservé une place de choix au côté des députés dûment estampillés gaullistes. Puis, au fil des ans, à grands coups de ruptures et de clarifications, via le référendum et la dissolution, s’était constituée une majorité plus homogène, dominée par le parti – l’UNR en l’occurrence – d’un Président bientôt élu au suffrage universel direct.
Jean-Pierre Mignard fait mine d’oublier le détail et le rythme – pourtant essentiel – de cette histoire chaotique dans le remake de laquelle son ami Hollande tiendrait la place de René Coty et Emmanuel Macron, celle d’un conquérant promis à des Arcoles sans fin. Ce qu’il signale, plus sérieusement, est la capacité qu’aurait ce dernier à réenclencher un mouvement dont le point d’aboutissement serait un retour, selon de nouveaux clivages, à une bipolarisation de la plus belle eau au sein des Assemblée à venir. Ce qui, soit dit en passant, est peu compatible avec l’instauration, fut-elle limitée, de la proportionnelle…
À cette Cinquième différée, imaginée par un socialiste d’un genre particulier nourri au biberon du gaullisme et du PSU, répond un autre projet dont François Bayrou est aujourd’hui l’incarnation principale. Le leader centriste, si on l’écoute attentivement, se veut le promoteur d’une Cinquième rénovée dont le cœur serait non pas la domination mais la coalition, non pas la fusion mais l’équilibre, non pas la soumission au plus fort mais l’alliance entre égaux. Vue la manière dont il a choisi de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron, l’ambition de François Bayrou ne parait pas être de faire du Modem, l’UDF d’en Marche. En cela, il semble d’accord avec Manuel Valls dont on ne sache pas que le projet politique soit de récréer, avec ses amis, à l’ombre d’Emmanuel Macron, ce que le MRG fut autrefois au PS de François Mitterrand.
Dans ce système institutionnel d’un nouveau genre, c’est la place de l’Assemblée nationale qui se trouve ainsi rehaussée et avec elle, le rôle des députés de la majorité. Ceux-ci cessent alors d’être des godillots – ou des «obligés» du Président – pour redevenir des partenaires, libres de conserver des attaches partisanes particulières pourvues que leur action s’inscrive dans la ligne générale dessinée à l’Élysée. Sans être «une maison d’hôtes» – ou de passe ? –, la majorité redevient pluraliste puisqu’«il y a plusieurs demeures dans la maison du père» (Jean 14.2). Là encore, la proportionnelle est le signe et l’instrument à venir d’une recomposition qui fait du modèle 1958, un point d’arrivée et non pas de départ.
La question n’est pas ici de savoir ce qu’Emmanuel Macron a véritablement en tête ou ce qu’il a pu promettre à ses différents partenaires. L’histoire récente a montré qu’en ce domaine, il était un pragmatique absolu doublé d’un joueur à sang froid. François Hollande l’a vérifié à ses dépens et sans doute n’est-il pas le dernier sur la liste. Dans son essence, le macronisme est un bonapartisme centriste – bel oxymore – dont le ressort premier est celui du «on s’engage et puis on voit». Par nature, il est sans tabous ni limites.
La logique de son tempérament voudrait donc que le leader d’En marche ne change pas ses manières de faire, une fois élu. Il est rare qu’autour du tapis vert, pareil flambeur se fasse soudain rentier. Il est tout aussi rare qu’un trader de cet acabit devienne tout à coup partageux. On voit mal pourquoi, à quelques semaines de distance, le même homme irait mobiliser des ressorts différents, sinon contradictoires, pour conquérir, sous son nom, le pouvoir présidentiel et pour contrôler, dans la foulée, sous son autorité, le pouvoir parlementaire. Entre la Cinquième différée, façon Mignard et la Cinquième rénovée, façon Bayrou, il serait logique qu’il cherche à aller demain au plus simple. Bref, à la Cinquième confortée, pour ne pas dire, sublimée.
Dire une tendance ou une inclinaison personnelle ne sert toutefois pas à grand-chose tant que les dés n’ont pas commencé à rouler. Or, pour le moment, on en est là. En politique comme dans la vie, il y a ce que l’on veut et ce que l’on peut. Avant d’imaginer la manière dont Emmanuel Macron gérera, s’il est élu, l’élan de sa victoire à l’occasion des législatives de juin prochain, mieux vaut donc examiner les ressources qui pourront être alors les siennes dans cet exercice de haut vol où l’objectif compte moins que les marges qu’offrent les circonstances.
Procédons, pour cela, dans l’ordre que dicte le calendrier. De quelle ampleur sera tout d’abord l’hypothétique succès d’Emmanuel Macron ? Si le candidat d’En Marche s’impose nettement dès le 1er tour de la présidentielle, en faisant par exemple jeu égal avec Marine Le Pen, il bénéficiera d’une impulsion initiale susceptible d’entraîner des ralliements sans conditions, à commencer par ceux de ses concurrents éliminés d’entrée de jeu. Si en revanche, il se qualifie de justesse, il lui faudra tenir compte davantage des attentes de ses soutiens potentiels. De même, au second tour, il ne bénéficiera pas du même élan s’il gagne largement face la présidente du FN, comme le disent aujourd’hui les sondages (60/40), ou s’il l’emporte de justesse à l’issue d’une campagne jusqu’au bout incertaine.
Pour le dire autrement, un Président dont l’élection est un sacre n’a pas la même force, pour la suite, qu’un Président élu au forceps. C’est là un constat d’évidence qu’on oublie parfois un peu vite quand on imagine la suite. L’un peut dicter sa loi dans la distribution de ses investitures, aux législatives. L’autre est nécessairement conduit à des accommodements avec les représentants des partis issus du vieux système. Pour que l’appel au peuple dans la confirmation du message de la présidentielle soit susceptible d’être entendu encore faudrait-il que le dit message soit clairement exprimé. Rien ne permet de dire aujourd’hui qu’il le sera avec la netteté requise. Macron Président, c’est encore un slogan. Avant de savoir comment il présidera et avec quelle majorité, le candidat d’En Marche n’a pas d’autre choix que d’attendre le verdict des urnes, le 23 avril et le 7 mai prochain.
Dès à présent, on peut toutefois décréter sans risque que s’il doit être élu, Emmanuel Macron le sera dans le cadre d’un affrontement direct avec Marine Le Pen. Sa majorité présidentielle sera donc l’expression d’un front républicain. Comme candidat, le leader d’En Marche ne se dit «ni de gauche, ni de droite». Comme Président, il le sera davantage encore. Mais ce qui était hier un positionnement politique deviendra alors un cadre pour l’action à venir, aussi large que contraignant. Dans un front républicain, on ne fait pas le tri. Dans une majorité présidentielle, issue d’un front républicain, peut-on le faire après coup ?
Jacques Chirac en 2002 a montré que c’était possible. Réélu face à Jean-Marie Le Pen avec 82% des voix après en avoir recueilli 19.9% au 1er tour, il est revenu sans complexe dès le lendemain de son triomphe aux bonnes vieilles méthodes du clivage droite/gauche. Il est vrai qu’à cette époque, le PS et ses alliés s’étaient ralliés à son panache sans ne poser la moindre condition et en ne demandant surtout aucune ouverture pour la bataille des législatives. Tout le monde était donc d’accord pour que le front républicain du second tour de la présidentielle ne soit qu’une brève parenthèse.
Rien ne dit qu’il en sera de même en 2017. Tout laisse même à penser que dans un tel front, une fraction du PS se considérera comme partie prenante de la nouvelle majorité présidentielle. Et cela d’autant plus qu’elle aura appelé à voter pour Emmanuel Macron avant même le 1er tour. Dans ce contexte, le nouveau Président pourra toujours considérer que ce soutien ne prête à aucune conséquence, pour la suite des opérations, notamment aux législatives. Mais pour le dire plus concrètement encore, il lui sera quand même difficile d’expliquer que François Hollande, en 2012, a commis une faute majeure en laissant battre François Bayrou à la députation mais qu’il n’est d’aucune importance de réitérer cette erreur au centuple, en 2017, avec des élus socialistes sortants.
Ce que signale potentiellement cette situation relève moins de la morale que de la politique, étant entendu que dans un processus électoral, il est plus aisé de s’asseoir sur l’une que sur l’autre. Vu le tempérament d’Emmanuel Macron, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Son élection créera nécessairement un élan à la mesure de celui dont avaient bénéficié ses prédécesseurs dans une situation comparable. Mais les conditions particulières de son éventuelle victoire mettront aussi des freins à cette impulsion quand il faudra la traduire dans la constitution d’une majorité parlementaire. Peut-être seront-ils moins forts qu’on peut l’imaginer aujourd’hui. Mais ils existeront quoi qu’il arrive. Ne pas le voir, c’est ne rien comprendre aux scénarii possibles de l’après 7 mai.
D’autant – et on finira par là – que la nature très spéciale du rassemblement dont En Marche est désormais l’expression ne favorise pas forcément son implantation dans les 577 circonscriptions de la bataille des législatives. Le mouvement d’Emmanuel Macron est fort de ses chevau-légers et de ses voltigeurs. Il est adapté en cela à une présidentielle. Sa jeunesse – moins d’un an ! – fait sa fraicheur. Celle-ci lui évite les arbitrages pesants auxquels sont contraint les partis ancrés de longue date dans la réalité électorale française. En même temps, elle l’oblige, si elle ne veut pas être qu’une machine à recycler l’ancien, à mettre en piste des candidats sinon hors sol, du moins lestés d’une faible expérience.
Dans le contexte que l’on a dit plus haut – celui d’une majorité présidentielle issue d’un front républicain – est-ce vraiment un avantage ? Est-il vraiment sûr que l’électeur désireux de donner une majorité au Président, selon la formule consacrée, choisira forcément la nouveauté d’un candidat macronien pur sucre dans l’hypothèse d’une compétition, au 1er tour des législatives, avec un député sortant, membre du PS ou de toute autre formation de gauche ou de droite, ayant soutenu d’emblée l’aventure du nouveau quinquennat ?
Plus encore, sera-t-il vraiment de bonne tactique, dès lors que l’objectif reste de constituer une majorité parlementaire, de favoriser, à l’occasion des législatives, une tripartition du paysage politique entre représentants d’En Marche, survivants des anciens partis de gouvernement et candidats du Front national ? À ce jeu, le risque n’est-il pas celui qu’on pensait éviter avec, au bout du compte, une nouvelle Assemblée fragmentée, incapable de la moindre majorité, fut-ce même dans le cadre d’une coalition ?
Il y a là un danger qu’avec un brin d’ivresse, les stratèges macroniens ne veulent pas considérer à sa juste mesure. C’est ainsi que l’un d’entre eux – François Patriat pour ne pas le nommer – a expliqué récemment dans Le Monde du 8 mars qu’il avait fait l’expérience, en 1981, de la force des vagues qu’entraine, dans son sillage, une victoire à la présidentielle. Pour être élu député de la nouvelle majorité, à cette époque, il suffisait, selon lui, de mettre sur ses affiches «une photo de Mitterrand» et «c’était plié». L’ennui, c’est qu’à y regarder de près, cette histoire s’est déroulée à l’inverse de ce que raconte aujourd’hui François Patriat.
En 1981, celui-ci n’avait défait le député de droite sortant, cacique du giscardisme, qu’après avoir devancé, au 1er tour, le candidat investi par le PS, ami personnel de François Mitterrand au demeurant. Socialiste dissident, pilier du courant Rocard en Côte d’Or, François Patriat était alors un jeune conseiller général, solidement ancré sur son territoire. C’est cette implantation qui lui avait permis de résister à la vague nationale qui aurait dû l’emporter si les consignes de votes, données par le parti du nouveau Président, avait été suivies à la lettre par les électeurs bourguignons.
Cas d’espèce, dira-t-on. Mais une élection, législative en l’occurrence, n’est-elle pas une somme de cas d’espèces ? Et puis surtout, au-delà du cas Patriat, réécrit à sa façon par l’intéressé, tout cela ne montre-t-il pas que, pour comprendre la nature de l’élan suscité par une présidentielle, il ne suffit pas de répéter, en convoquant les expériences passées, combien il a toujours été irrépressible. Le grand remplacement gaulliste amorcé en 1958, tout comme celui du mitterrandisme, effectué en 1981, n’était pas le fruit d’une génération spontanée. Les racines de ces mouvements étaient profondes. La France libre, les compagnonnages de la Résistance, l’épopée du RPF, dans un cas. Les clubs des années 60, le parti d’Epinay, ses succès municipaux de 1977, dans l’autre. Bref, tout ce qui manque encore à En Marche et qui ne s’installe pas, en moins d’un an, d’un claquement de doigt, sur une scène parlementaire avec des acteurs recrutés sur internet.
Ce serait aller trop vite en besogne que de conclure illico que l’ambition affichée par Emmanuel Macron de réunir sous son aile une majorité solide et cohérente n’est qu’une vue de l’esprit. Mais si l’avenir du projet politique, incarné par le leader d’En Marche, reste aussi flou, s’il peut être dessiné à la manière Mignard aussi bien qu’à la manière Bayrou, bref s’il est susceptible de lectures à ce point contradictoires, n’est-ce pas avant tout parce qu’il marrie des logiques différentes entre lesquelles les circonstances du prochain scrutin présidentiel viendront bientôt trancher ? Tout est possible. Il y a dans cette aventure inédite des forces qu’il serait sot de nier et des freins qu’il serait vain d’oublier. Mais entre les enfants barbares du macronisme et les vieilles barbes des partis à l’ancienne, les jeux sont loin d’être faits. C’est ce qui fait le sel de leur rivalité dans une campagne qui en manque singulièrement.
Voyage dans la France de Macron (à lire absolument)
De Lyon à Metz en passant par Brive-la-Gaillarde, pendant trois mois, « Le Monde » est allé à la rencontre de ceux qui aujourd’hui envisagent de voter pour le candidat d’En marche !
LE MONDE | 24.03.2017 par Florence Aubenas
A la station-service de Rocamadour (Lot), il arrive que des touristes se photographient devant les pompes à essence, belles comme le décor d’un vieux film. Ils sont tout étonnés quand Tassadit, la patronne, leur annonce qu’ils peuvent même faire le plein. En général, ils répondent : « Alors mettez-moi de quoi aller jusqu’à la grande surface, ce sera moins cher là-bas. » Il est 9 heures et Rocamadour attend la visite d’Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle. Pour l’instant, on l’entend en sourdine débattre sur BFM au sujet des Uber. « La Saint-Hubert ? », s’étonne Tassadit. Bruno, son mari : « Non, c’est un genre de taxis. » Tassadit éventre cordialement un paquet de madeleines, qu’elle offre avec le café. Ça fait longtemps que Rocamadour n’a plus de boulanger.
En ce moment, le village s’arc-boute autour d’un distributeur de billets qu’il est question de supprimer. A ce stade, la conversation devrait basculer sur les élections. On s’y adonnait férocement ici, à coups de cannes, dans de délectables fâcheries. Ça s’est perdu. Reste un dégoût. Bruno : « Je me sens comme un amant trompé. »
A la mairie, plus bas dans le bourg, une tornade fait claquer la porte. « Je suis Monsieur Eddarraz, mais appelez-moi Ahmed », trompette la Tornade. Il dévide son CV d’un seul souffle : « 31 ans, en échec scolaire de partout, un jeune rabougri sur lequel personne ne misait » et aujourd’hui gérant d’un bar-tabac prospère du côté de Millau (Aveyron). « Et ici, vous vivez de quoi ? », embraye la Tornade. Maryline Delcayre, secrétaire de mairie, énumère les truffes, le fromage, « la forêt des singes », « le rocher des aigles », le sanctuaire de la Vierge noire, 684 habitants l’hiver, 2 millions de visiteurs l’été, « le deuxième site touristique après le Mont-Saint-Michel ».
La Tornade l’arrête : « Tatata ! Chaque fois qu’on arrive quelque part, les gens prétendent être deuxièmes derrière le Mont-Saint-Michel. » La Tornade est venue en éclaireur pour la visite d’Emmanuel Macron. « Des questions ? » Maryline Delcayre se risque : « Quel programme pour les agriculteurs ? » La Tornade s’esclaffe. Désolé, ce ne sera dévoilé que dans une semaine. « En général, on me demande plutôt deux choses. Un : Comment est Macron ? Deux : Comment est sa femme ? »
L’un et l’autre apparaissent à 16 heures à l’entrée du bourg. « C’est Les Feux de l’amour, ma parole », siffle un vendeur de fringues. Pour lui, les affaires reprennent : les Anglais, partis en Croatie avec la crise financière de 2007, sont revenus depuis le Brexit. Sur le trottoir en face, un représentant en bijouterie explique l’inverse. Il fait 120 000 km par an « dans un pays prêt à exploser, des villes aux magasins fermés où on voit monter la haine. Ça va mal finir ». Et d’un coup, la France ressemble à la Grand-Rue de Rocamadour, un côté ombre, un côté soleil, un qui veut y croire, l’autre qui veut tout renverser.
Au pied de la « citadelle de la foi », la Tornade regarde le soleil qui vient se déchirer sur les rochers. Macron est en train de finir son discours sur « la ruralité conquérante », la RGPP, la « bataille numérique ». Un élu enlève ses lunettes : « Puisqu’on parle chiffre, voila le mien : j’ai compris 30 % de ce qu’il a dit. » Son voisin : « Tu as de la chance. » A la présidentielle de 2012, la Tornade était dans l’équipe de campagne de Dominique Strauss-Kahn. Il a encore du mal à en parler. « DSK était le rêve français, il pouvait faire face à tout. » La Tornade a pleuré quand son candidat a été arrêté à New York quelques mois avant le scrutin. « On s’est retrouvés orphelins, sans oser s’appeler entre nous. Pour se dire quoi ? On était dans la honte et le désarroi. » A son avis, ils sont nombreux de ce réseau-là à se retrouver autour d’Emmanuel Macron. Rien qu’à prononcer ce nom, la Tornade ressuscite. Le voilà qui raconte son dernier anniversaire. Ce soir-là, son portable a sonné : « C’est moi, Emmanuel. » Une erreur, a pensé la Tornade. « Mais si, Emmanuel Macron ! Bon anniversaire. » Alors la Tornade a mis le haut-parleur pour que toute la tablée entende. « J’ai retrouvé ma fierté », il dit.
Il y a quelques mois encore, « on était quatre au QG de Tour-de-Faure à se demander quoi faire », se souvient Sébastien Maurel, 46 ans, chef d’entreprise et référent En Marche ! pour le Lot. La formation d’Emmanuel Macron compte aujourd’hui près de 600 membres pour le département, des M. et Mme Tout-le-Monde, plutôt classe moyenne, hors radars qui ont surpris leurs amis en s’entichant de politique. « Mon beau-frère aussi est chez Macron », avance une coiffeuse. Elle le votera, d’ailleurs, sans en savoir grand-chose au fond, un presque inconnu aux mesures compliquées, qui n’a ni entourage ni appareil vraiment identifié. C’est sa musique qu’elle aime. Le dernier de ses enfants vient de se caser, « un presque CDI ». Les yeux se baissent, impression de l’avoir échappé belle. « Cette petite réussite m’autorise un petit espoir. »
La suite ICI