Les épices dans la cuisine on en ajoute une pincée, une pointe, qu’on les broie ou qu’on les saupoudre mais on prend rarement le temps de les envisager sous un angle biologique.
Ce qui suit sont des extraits du merveilleux livre de Thor Hanson Le triomphe des graines chez Buchet-Chastel traduit de l’anglais (USA) par Cécile Leclère.
Les universitaires comparent souvent l’historique course aux épices à notre appétit moderne pour le pétrole. Dans un cas comme dans l’autre, les réserves sont limitées, la demande potentiellement infinie, et l’impact sur le marché mondial considérable.
Dans l’Égypte ancienne, des grains de poivre venus de la côte de Malabar parvinrent, on ne sait comment, jusqu’aux narines des pharaons décédés – ils comptaient parmi les agents de conservation les plus prisés des embaumeurs royaux.
En 408 apr. J.-C., Rome fut cernée par les Wisigoths, les Barbares ayant recours au chantage, exigèrent entre autres trois mille livres de poivre pour mettre un terme au siège.
En 795, Charlemagne promulgua un décret ayant pour but de généraliser la culture du cumin, du carvi, de la coriandre, de la moutarde et un ensemble de d’autres graines savoureuses, sur tout le territoire de l’Empire carolingien.
Au Moyen Âge il était fréquent de payer la dîme féodale en épices et la pratique persiste : lorsque l’actuel duc de Cornouailles (qui porte le titre de prince de Galles), Charles d’Angleterre, accepta officiellement son titre en 1973, on lui offrit une livre de poivre et une autre de cumin.
Durant les cinquante années qui suivirent sa création, la Compagnie hollandaise des Indes orientales domina le commerce mondial de la muscade du macis, du poivre et du clou de girofle, et connut l’une des plus grandes périodes de profit de l’histoire du négoce.
Les marges brutes ne descendaient jamais sous les 300% et la société réglait de juteux dividendes, en argent comptant ou en épices.
Les actionnaires d’origine qui gardèrent leurs parts obtinrent un rendement annuel en moyenne de 27%, et ce pendant quarante-six ans.
Il n’est pas étonnant qu’en 1674 les Néerlandais aient cédé sans hésiter Manhattan aux Britanniques en échange d’une minuscule île productrice de muscade en Malaisie.
Lorsque Fernand de Magellan prit la mer un quart de siècle après Colomb, il promit à ses mécènes le même résultat (ndlr. que n’obtint pas Christophe) : une route commerciale vers l’ouest jusqu’aux îles aux épices.
Trois années plus tard, 4 de ses 5 navires étaient perdus et Magellan mort ainsi que tous ses seconds et 200 membres de son équipage… les 18 survivants qui atteignirent tant bien que mal Séville sur le dernier vaisseau à flots en 1952… arrivèrent chargés de muscade, de macis, de clous de girofle et de cannelle, trouvés sur l’île de Ternate, dans l’archipel indonésien des Moluques.
Une fois vendues, ces matières premières rapportèrent largement de quoi rembourser les navires disparus et indemniser les familles des personnes décédées ; ce voyage allia ainsi découverte et profit. Christophe Colomb avait eu le même objectif, mais, n’ayant pas rapporté d’épices, il avait échoué.
Mais, le piment qu’il rapporta de l’autre côté de l’Atlantique devint réellement l’une des épices le plus populaires au monde.
Séchés puis broyés ou bien ajoutés en entiers, les fruits et les graines du piment Capsicum se retrouvent dans un grand nombre de plats… À partir de 4 espèces sauvages poussant dans le Nouveau Monde, plus de 2000 variétés cultivées furent développées, classées selon la force de leur goût depuis le paprika, le plus doux, jusqu’aux piments habañeros, le plus relevés.
Colomb et ses piments transformèrent en profondeur toute l’industrie des épices. Le simple fait de transformer de transporter leurs graines par-delà l’océan permit de prouver que le piment de cultivait, qu’il suffisait que les conditions idéales soient réunies pour le voir se développer et pousser loin de son territoire d’origine.
Les prix chutèrent et les épices perdirent leur cachet exotique. Bien qu’encore rentable, le commerce des épices ne fut plus jamais à l’origine de guerres, de la création d’empire ou de voyages d’exploration.
Revenons à la question initiale de cette chronique : pourquoi les épices sont-elles épicées ?
Noëlle Machnicki, à propos des piments de Bolivie qui présentaient une particularité rare : ils semblaient avoir préservé un instant clé de l’évolution du piment. « Nous savons que les premiers n’étaient pas forts. »
Le dilemme écologique qui motiva l’apparition du piquant de certains piments semblait toujours exister en Bolivie, où certains changeaient et d’autres pas.
Restait à Noëlle Machnicki et à son équipe à percer le pourquoi le piment devient pimenté.
Ça vous le saurez en lisant le livre Thor Hanson Le triomphe des graines, chapitre IX Les richesses du goût.
Pour ne pas totalement décevoir votre soif de connaissance, en revanche, d’un point de vue chimique, la réponse est déjà connue.
La force des piments est liée à la présence de capsaïcine.
C’est un alcaloïde. Les plus communs, on trouve certains des stimulants, narcotiques et remèdes médicinaux les plus connus comme la caféine, la morphine, la quinine, la cocaïne.
C’est le moyen que les végétaux développent contre les animaux, une défense chimique. Les alcaloïdes agissent aussi sur les humains.
Mais alors me dire-vous : pourquoi donc les piments ne sont-ils pas tous forts ?
La réponse en 2 formules :
« Lorsque la vie se fait humide et moisie, le piment s’enflamme. »
« Le goût épicé est finalement le résultat d’une chorégraphie compliquée entre les plantes et leurs adversaires. Sans cette interdépendance, la cuisine serait aujourd’hui très fade à peu près partout dans le monde. »
Pour les adorateurs survivants du Grand Timonier, Mao Zedong adorait les piments. Même durant la période où il vécut dans une grotte, il demandait à ce que l’on en ajoute à ses sandwiches, et l’on raconte qu’il en mangeait des poignées pour se donner de l’énergie lorsqu’il lui fallait travailler jusque tard dans la nuit.