Le petit Pochon végétait au fin fond d'un triste bureau du Cadastre Viticole Informatisé, rue du Bac dans le 7ième arrondissement de Paris. Face à la neige de son écran gris souris il rêvait d'une autre vie, de nouveaux horizons, ceux qui s'offriraient à ses yeux émerveillés le jour où ces ares et ces centiares accrochés à flanc de coteaux, au lieu de les stocker sur le disque dur de son ordinateur, il les foulerait de ses bottes comme vigneron. Son père, le gros Pochon, qui avait passé toute sa vie à faire le président de tout et de rien, de zinzins, lui répétait à satiété qu'il n'était qu'un petit con qui ne ferait jamais rien de bon. Condamnée au silence, sa mère, cachée derrière un éternel sourire, semblait lui dire du fond de ses grands yeux clairs, ne t'inquiète pas mon fils : bon sang ne saurait mentir...
Entre la saisie des parcelles de notre beau vignoble de France et de Navarre, le petit Pochon surfait sur le Net à la recherche d'une âme soeur avec qui il ferait son bonheur. Avec candeur il s'inventait des vies, trichait un chouia sur sa taille, se dotait de professions improbables, s'octroyait en conséquence de revenus confortables et, comme il était plutôt mignon notre Pochon, la moisson se révélait bonne sans que pour autant il ne se décidât à sauter le pas. Dans le monde virtuel les mots lui venaient à la pelle, légers, hors le train-train du quotidien, mais lorsque la réalité le rattrapait, notre petit Pochon esquivait. Jamais il ne se rendait aux rendez-vous que lui donnaient ses belles virtuelles. Chevalier de la barre haute il attendait le grand jour où le hasard ouvrirait en grand une large fenêtre sur l'Amour, l'Amour bien sûr avec un grand A.
Et puis la saint Valentin vint !
Depuis quelque temps il maraudait sur Tinder et après quelques râteaux le petit Pochon avait décroché le gros lot.
Elle était sommelière dans un triple étoilé alors notre Pochon se dit qu’il lui fallait sortir le grand jeu !
Il se risqua tout d’abord sur le site d’un certain Pousson qui titrait sobrement : Saint-Valentin, poil au vin !
Il vous plaît, ce tampon*? Pas mal, non? Pour le 14 février, on peut même l'imprimer en rose, ce sera plus dans le ton de cette journée gorgée d'amour et de bons sentiments…
«Au cas où vous ne l'auriez pas deviné, la Saint-Valentin, ça m'emmerde! Comme toutes les fêtes obligatoires d'ailleurs, qu'on voit au passage transformées, par la grâce de marketeurs finauds en gros sabots, en incontournables quinzaines commerciales. Je n'ai rien contre ce pauvre saint Valentin (personne ne sait trop lequel d'ailleurs), ça n'a rien de religieux, même si je m'étais un peu fichu de lui dans cette chronique, mais j'en ai marre de voir ma boîte à lettres polluée par tant de propositions d'effusions tarifées. Le tapin, ce n'est pas ma came. »
Le gars, qui devait être célèbre, énumérait plein de propositions : « Des bijoux, des concerts, des bouquets de fleur, des disques, des voyages en avion, des posters de musée, des cours "d'œnologie", des cosmétiques, des massages, des téléphones portables, des slips, des draps, des montres, des jeux de société, des sextoys (et pas du bon endroit…), des jeans, des coussins et même un "chocolat au lait personnalisé moulé sur l'anus de votre partenaire". Je précise (ça ne concerne que ce dernier cadeau romantique) que l'objet est disponible en trois parfums, noir, au lait et blanc. Le Professeur Choron aurait adoré. »
Rien qui ne puisse séduire sa Marie-Chantal ornementée d’un patronyme à particules.
C’est alors qu’il tomba sur une offre qui ne pouvait que séduire sa belle qui ensorcelle :
Comme le petit Pochon connaissait bien un vieux chroniqueur il s’enquit auprès de lui de ce qu’était le château Siaurac. Comme ça avait un petit goût de Dallas il cassa sa tirelire.
En quelques clics il réserva au château et bloqua 2 places en 1er AR pour un Paris-Libourne.
Ne restait plus pour lui qu’à prévenir avec élégance sa dulcinée. Il opta pour une gerbe de roses rouges qu’il fit porter par coursier jusqu’à son hôtel particulier.
Il bichait !
Dans la soirée il reçut un SMS ainsi libellé « tes roses bourrées de pesticides *, tu peux te les mettre au cul ! »
Désespéré, le petit Pochon, se dit qu’à ce petit jeu-là, même s'il se cachait la réalité derrière son petit doigt, il filait tout droit vers la triste position de vieux garçon. Qui, quelle jeune fille de bonne famille, quelle donzelle délurée, quelle biche aux lèvres camélias, pourrait avoir envie de passer sa vie aux côtés d'un petit attaché de deuxième classe de la DGDDI ?
* « Offrez des fleurs, pas des pesticides. À l’approche de la Saint-Valentin, nous nous sommes intéressés aux roses vendues dans le commerce. Nous avons mené des analyses en laboratoire sur des bouquets achetés auprès de dix grandes enseignes (Aquarelle, Au nom de la rose, Happy, Interflora, Monceau Fleur, Rapid’Flore…) et nous les avons interrogées, via un questionnaire précis, sur les conditions sociales et environnementales de production.
Dans les roses, nous avons recherché toute une liste de substances jouant le rôle d’engrais, de fongicide, d’insecticide ou encore d’acaricide. Et le résultat est accablant : en effet, aucun bouquet n’est dépourvu de substance chimique. »
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Marie-Chantal avait lu ça dans le Figaro :
Prenez garde avant d'offrir un magnifique bouquet de roses à votre dulcinée! C'est la conclusion d'une enquête menée par le magazine 60 millions de consommateurs, que Le Figaro s'est procurée. Les experts ont mené des tests en laboratoire sur les bouquets de dix grandes enseignes, telles que Monceau Fleur, Aquarelle et Interflora. Le constat est sans appel: les fleurs vendues dans le commerce contiennent toutes des substances chimiques.
Fongicide, acaricide, insecticide... Au total, 49 molécules différentes ont été identifiées par 60 millions de consommateurs. Ce dernier nuance néanmoins ses analyses: toutes les fleurs, et donc toutes les marques, ne sont pas logées à la même enseigne. Le meilleur élève, un bouquet de roses rouge d'Aquarelle, contient tout de même «trois substances contestables, mais autorisées» et un fongicide interdit en France. Happy, Monceau Fleurs, Le Jardin des fleurs recèlent, en moyenne, 15 substances. Le dernier du classement, un bouquet commercialisé par Au nom de la rose, contient 25 produits différents, dont neuf pesticides interdits dans l'Hexagone.
Acétamipride, méthamidophos ou encore dodémorphe vous apparaissent sans doute comme des mots d'une langue étrangère, et pourtant ils sont loin d'être sans effet. Certains sont même classés dans la catégorie des pesticides néonicotinoïdes. À titre indicatif, le Parlement a voté leur interdiction en juillet dernier, dans le cadre de la loi sur la biodiversité. Ces produits, considérés comme tueurs d'abeilles, seront bannis à compter du 1er janvier 2018. Des dérogations pourront toutefois être accordées aux agriculteurs, jusqu'au 1er juillet 2020.