En la matinée du jeudi 9 février ils étaient excités, ceux qu’étaient invités au pince-fesses, comme des puces sevrées de leur dose de vermillon, pensez-donc à 11 heures pétantes en l’ancienne Bourse de Paris, les étoiles du Michelin allaient être délivrées de leur embargo cette année respecté, pas de fuites.
Y étaient fiers comme des petits bancs d’en être, eux, les demi-soldes de la Toile gastronomique, ceux qui cherchent à faire du beurre en s’autoproclamant conseil, disons consultant.
Je goûte avec délice cette définition :
« Un consultant est quelqu’un qui connaît 129 positions du Kama Sutra, mais qui ne connaît aucune femme »
Dans le milieu des petites mains gastronomiques on s’embrasse à grands bras, on se congratule avec bruits et rires, mais dès qu’untel a le dos tourné chacun s’empresse de rappeler son palmarès de turpitudes diverses que, bien sûr, je me garderai d’énumérer : y’a pas que les politiques qui barbotent dans les conflits d’intérêts.
La proclamation des étoiles est pour eux un moment privilégié, beaucoup ne roulent pas sur l’or alors c’est le moment de montrer à ceux qu’ils vont draguer, afin de leur fourguer du conseil, leur importance. Suivez mon regard, s’ils sont dans le Saint des saints c’est qu’ils font partie des privilégiés.
Alors, ça tweet à la vitesse de la lumière, ça se démène, ça frotte l’ego des grands chefs comme le préposé aux grolles d’Aquilino Morelle. Pitoyables, s’ils savaient ce que ceux-ci disent d’eux. C’est du même tonneau que ce que j’entendais dans la bouche des propriétaires de GCC : « vous savez les inviter ça ne nous coûte pas cher même si ce qu’ils écrivent n’intéresse pas grand monde. Au moins nous les tenons en laisse… »
Qu’importe le genou plié, l’espoir d’éblouir ceux qui rêvent des étoiles vaut bien une génuflexion. En effet, tout est là, nos consultants du bac à sable de la gastronomie vont se mettre en chasse de restaurateurs avides de conseil pour accéder à ces foutus étoiles.
Ainsi j’ai vu sur BFM TV Paris un certain Jean-Philippe Durand consultant qui conseille les chefs à cet effet. Oui, oui, c’est son métier.
Avec un sourire narquois j’ai appris par ses bons soins et ceux de Roger Feuilly que le locavorisme serait cette année une lame de fond :
« Cette année, toute une génération de jeunes chefs, épaulés par leurs aînés, confirme une tendance double : celle du retour au produit, et de la prééminence du goût sur le visuel. Les deux vont de pair. Moins de nuages, de mousses évanescentes ; place au terroir, à l’identité affirmée. On ne va pas au restaurant pour faire des photos mais pour manger. Une nouvelle ligne a envahi les ardoises des tables : « Les légumes de mon jardin ». Priorité au locavorisme, à savoir les circuits courts, et les partenariats avec les producteurs locaux, qui font vivre leur terre, parfois une région toute entière. Les inspecteurs du guide MICHELIN ont assisté cette année à un amusant retournement : les cartes ont raccourci au profit d’énoncés parfois minimalistes tandis que la mise en avant du producteur, sur la carte et en salle, n’a cessé de prendre de l’importance. Comme si les chefs, à leur tour, retournaient la politesse à ceux sans lesquels leur talent ne pourrait s’exprimer : les paysans, petits producteurs, pêcheurs, maraîchers, éleveurs, fromagers… Naturellement, le guide MICHELIN 2017 est le reflet de cette évolution ! »
En effet, y z’ont mis du temps à capter les gars du Michelin et le mouvement n’est pas venu de nos fameux consultants.
Le 27 mai 2008 j’avais pondu un petit papier :
Les « locavores » : une espèce en voie d’apparition…
« On va m’objecter que les locavores on s’en tamponne la coquillette et que ce ne sont pas eux qui changeront la face d’un monde alimentaire en pleine crise. J’en conviens sans problème mais je me permets de signaler que notre charmant nectar, produit de luxe ou de pure festivité, donc n’entrant pas dans la ration alimentaire de base, ne peut continuer dans notre beau pays de tradition d’ignorer ce type d’attitudes qui sont le terreau de phénomènes « répulsifs ». Les attaques contre nos « vignes sales », nos vins « bourrés de pesticides », nos vins à quelques euros qui se baladent en bouteilles, forment le terreau de base pour ceux qui appellent au boycott de Vinexpo. La guerre économique que j’évoquais dans ma chronique sur les pesticides ne relève pas de la paranoïa mais d’un strict constat. L’ignorer, faire comme-ci ça n’arrive qu’aux autres, relève de l’inconscience. »
Dans le monde de la Grande Cuisine, sans offenser certains chefs, le locavorisme est assez petit bras, lié au sens du vent, et en dépit de beaux discours, main sur le cœur, bons sentiments en bandoulière, à propos des braves gens de la terre ceux-ci ne doivent pas trop compter sur eux pour que les choses changent du tout au tout.
En effet, dans le petit monde des consultants gastros certains se piquent d’avoir la fibre contestataire, loin de la pensée unique, des idées reçues, on peut compter sur eux pour lancer des pétitions, pleurer sur le sort des pauvres paysans, défendre le petit artisan perdu dans sa cambrousse, mais point trop n’en faut ça reste au niveau de la discussion de salon. Faut quand même dénicher le pognon dans les bonnes poches.
Dans ma vie de petit blogueur solitaire, payant ses notes de restaurant, ses déplacements, son hébergement, ne pratiquant aucun ménage ou pige, j’ai pu en toute liberté échanger avec des restaurateurs sur la qualité du travail de ces consultants qu’ils avaient rémunérés. J'aimerais beaucoup voir apparaître, sous les belles photos de certains, celles de leur addition et de leur note d'hôtel. Transparence, crédibilité de leurs commentaires.
Attention, je ne mets pas tout le monde dans le même panier, ne procède à un quelconque amalgame, mais d’une manière générale je remarque que peu d’entre-eux n’ont mis les mains dans la farine, je veux dire ont exercé le métier, ont risqué leur bel argent ou celui emprunté à une banque ; ce ne sont des observateurs extérieurs.
Le regard extérieur a bien sûr une importance lorsque l’on se trouve en phase de création ou lorsque l’on estime que le chemin emprunté n’est pas le bon. Mais, chacun sait qu’il n’y a pas de recette magique pour le succès. Et c’est là que le bât blesse très souvent chez les consultants qui se contentent d’accommoder à la tête de leur client des recettes toutes faites copiées sur des modèles.
Ainsi, pour un restaurant qui avait connu une première année difficile j’ai pu, à la lecture des préconisations de leur consultant, constater que son chamboule tout, simple copié-collé du « ce que j’ai vu ailleurs », démontrait sa totale cécité face à la réalité. S’il avait pris le temps, ou si ça capacité d’analyse le lui permettait, il se serait aperçu que tous les points originaux de cette maison, qu’il conseillait d’abandonner, étaient annihilés par une erreur de casting dans le choix du chef. Par bonheur, les gérants ont jeté aux orties les brillants et coûteux conseils de leur consultant et engagé un chef qui collait avec leur concept. Résultat : l’année suivante ils décrochaient leur première étoile.
Dans ma vie professionnelle j’ai côtoyé, lorsque j’étais patron, des grands cabinets de consultants mandatés par la holding ; lorsque j’étais sous les ors de la République, dès qu’une boîte était en difficulté ou qu’il s’avérait nécessaire de mieux connaître un secteur, je les voyais arriver en rang serrés.
Les bons, il en existe, étaient ceux en capacité de dénicher dans l’entreprise les sources leur permettant de poser un diagnostic sérieux pour décliner ensuite des propositions d’actions opérationnelles. Les vendeurs de solutions clés en mains sont des charlatans qui profitent de l’angoisse des décideurs.
J’avoue que je suis effaré par la prolifération de ces consultants, au statut flou et ambigüe, vendeurs de vent qui prolifèrent sur la Toile.
Il va m’être rétorqué que les restaurateurs n’ont qu’à être plus attentifs, qu’ils s’informent, qu’ils se renseignent sur la réalité des références affichées du consultant.
J’en conviens mais il faut se mettre à la place de beaucoup d’entre eux, le nez dans le guidon, les mains dans le cambouis des emmerdes du quotidien, confrontés qu’ils sont à une forme, j’ai du mal à trouver l’appellation car je ne veux pas être taxé d’excès, de réseau de copinage et d’influence qui tient le haut du pavé dans le milieu de la haute cuisine.
Comme en toute chose malheur est bon, les « Ballotant d'la queue, grignotant des dents », du bac à sable de la gastronomie, qui frétillent sur la Toile, ne sont que les scories d’un système qui se mord la queue. Rien qu’un peu de vent dans les branches de sassafras et là, comme ailleurs, nous les consommateurs, les bons vieux clients seront les meilleurs consultants pour les tables qu’ils fréquentent.
C’est ce qu’écrit l’un d’eux en conclusion de Tout savoir en 15 conseils pour séduire l’inspecteur du guide Michelin
« Que tous les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Au final, Michelin ou pas, le seul juge reste le client. C’est lui qu’il faut satisfaire tout l’année. Voilà bien là la seule vérité incontestable. A ne jamais oublier ! »