Le week-end dernier tout ce que la France et la Navarre, ses annexes étrangères aussi, compte de hipsters à casquette, de tatoués, de naturistes en tee-shirts et grosses écrase-merde, de cavistes alternatifs engagés, de tenanciers et tenancières de bars à manger, de restaurateurs chics, d’agents divers et variés, d’amateurs de déviance, de filles branchées sur 100 000 volts, de bobos, de dragueurs éhontés, de licheurs désœuvrés et désargentés, de porte-plumes en déshérence, de blogueurs sans lecteurs, s’était ruée sur la Loire où les vins nus faisaient salons dans tous les coins de la région. L’Officiel, lui, dans sa zone industrielle, ravalé au rang de faire-valoir, vieillissait de plus en plus dans le silence et l’indifférence.
« Depuis toujours, les pays ligériens expriment une certaine joie de vivre sous un ciel clément. Balzac considérait la Touraine comme sa terre natale. Le Lys dans la vallée nous offre de cette contrée un portrait culinaire ramassé. Rares sont les cuisines, hormis la chinoise, qui ont su enflammer la passion d'écrivains de cette envergure. Mais il estimait que les rognons sont "un mets que l'on ne peut manger qu'entre soi, et surtout pas au dîner". »
C’est ce qu’écrivait, en août 2011, Jean-Claude Ribaut lorsqu’il chroniquait dans le journal le Monde et posait la question « Balzac connaissait-il la beuchelle tourangelle ? »
Qu’est-ce donc que ce plat qui semble fleurer bon une préparation locale très ancienne ?
Un plat mis au point par un Nantais : Édouard Nignon au début du XXe.
« L’origine du nom est simple, c’est la francisation du mot autrichien « Beuschel » que Nignon avait découvert en 1892 lors de son passage au Trianon ; les Viennois en étaient très friands. On le sert toujours à Vienne dans plusieurs restaurants, en général accompagné de quenelles à la mie de pain (semmelknödel).
C’était un ragoût à base de poumon et de cœur que Nignon a remplacé par des rognons et des ris de veau, nappé d’une sauce crémée, généreusement enrichie d’un fond de veau très élaboré. Il ajoutait des cèpes.
Tout le monde ou presque sait ce que sont les rognons ; en revanche assez peu savent ce que sont les ris, mot d’origine inconnue, qui désigne une glande endocrine présente chez l’humain, le Thymus. Elle est située à cheval sur le cou et le thorax ; elle s’atrophie chez l’adulte.
« Dans le veau, elle est parfois volumineuse, de la taille de deux poings. Elle forme une masse unique. Elle forme une masse unique, mais on peut la cliver en deux lobes (on les nomme « pommes »). »
Jean-Claude Ribaut en énonçait deux des multiples formes :
« C'est un ragoût de rognons de veau parés et émincés, de ris de veau blanchis puis escalopés, que Florent Martin (Le Martin bleu) fait simplement colorer dans un peu d'huile d'olive et de beurre ; il y ajoute des champignons des bois, fait flamber avec 20 cl de marc des côteau de la Loire avant de verser 50 cl de crème liquide et de laisser épaissir à feu moyen. Le grand cuisinier tourangeau Jean Bardet, aujourd'hui retiré, procédait de façon plus sophistiquée avec l'adjonction d'une garniture aromatique (oignon, carotte, céleri, ail en chemise, thym, ½ feuille de laurier), la cuisson du ris de veau s'effectuant alors dans un bouillon de volaille et vouvray blanc sec, afin de réduire de moitié la proportion de crème. Il ajoutait les rognons finement escalopés, poêlés au dernier moment. »
Né à Nantes en 1865, Édouard Nignon est un fils d'un journalier et d'une lingère ayant eu huit enfants, il entre en apprentissage à l'âge de neuf ans au restaurant Cambronne. Un an plus tard, il intègre le restaurant Monier où il apprend à lire et écrire.
Il se fait remarquer par son ardeur au travail et son intelligence, son ascension est rapide. Muni d’une recommandation, il passe par Angers, Cholet avant d’atteindre Paris à 15 ans où il entre chez Potel et Chabot. Aide saucier chez Bignon, chef saucier chez Voisin, chef entremettier à l’exposition de 1889, chef rôtisseur au Lapérouse, chef des cuisines au Marivaux.
À 27 ans il part à Vienne au Trianon où il est remarqué par l’empereur François-Joseph ; à 32 ans il se rend en Grande-Bretagne où il est maître chef des cuisiniers de l'hôtel Claridge de Londres de 1894 à 1901 ; à 35 ans il dirige l’impressionnante brigade au luxueux Ermitage de Moscou. En 1908, il devient propriétaire du restaurant Larue à Paris où défilent écrivains et artistes. La maladie en 1921 l’oblige à prendre sa retraite.
En 1933 il publie « l’Éloge de la cuisine française » préfacée par Sacha Guitry. La formule de la Beuchelle, il préfère le mot formule à celui de recette, y est détaillée.
Intéressé par les alliances de saveurs atypiques, il crée entre les deux guerres les huîtres au camembert.
Je ne sais si à Paris un restaurant propose une beuchelle tourangelle, mais si vous souhaitez manger du ris de veau je vous recommande celui de Julien Boscus au restaurant Les Climats rue de Lille il est comme je l’aime à la fois ferme et fondant.
RIS DE VEAU ET TRUFFE NOIRE,
Doré au sautoir crousti-fondant; gnocchi au parmesan, sucrine grillée et condiment Tuber Mélanosporum, émulsion de sauce blanquette.