Même si dans notre pays on voue un véritable culte aux Monuments Historiques, qui sont même dotés de Conservateurs, j’avoue avoir beaucoup ri en lisant sur le site Slate la chronique de Nicolas de Rabaudy La grande cuisine française est-elle en crise?
Elle avait échappé à mes filets lorsqu’elle a été mise en ligne le 25.09.2016
Ce cher homme vénéré par ses pairs se lamente :
« L'époque est au mélange des saveurs, à l'essor d'une cuisine cosmopolite nourrie par l'arrivée aux manettes des plus grandes tables de chefs étrangers. Au détriment de la gastronomie traditionnelle française? »
C’est dans l’air du temps, on s’en poindre la nostalgie des souverainistes, va-t-il valoir prendre des mesures protectionnistes, édicter des quotas… Je plaisante bien sûr mais j’ai le droit de rire à gorge déployée de ce type de papier évoquant la grande cuisine française.
Un exemple :
« Au Four Seasons George V, José Silva, directeur général, a créé en lisière de l’imposant patio le George, un restaurant italien élégant dont le maestro actuel est Simone Zanoni, ex-bras droit de Gordon Ramsay, trois étoiles à Londres, auteur de la première carte étoilée du Trianon à Versailles. La pasta remplace le Black Angus et le minestrone la blanquette de veau et le brochet au beurre blanc, c’est l’évolution du temps: l’Italie en plein boom, la cuisine française en déclin? »
Vous pourrez juger par vous-même ICI si j’ai tort ou raison. Qu’importe, la seule référence dans le domaine de la grandeur est bien évidemment notre Grand Charles qui, en bon général qu’il était, préférait les pieds de cochon aux mets raffinés des étoilés à la française.
« Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays, tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la grandeur. »
Une certaine idée de la France. Mémoires de guerre. L'Appel, 1940-1942. Plon, 1954
Et Rabaudy de conclure :
« À la grande table, au centre du grand restaurant de Vonnas, 80 couverts pas plus ce samedi soir: un couple de grands-parents invités par leurs enfants pleurent d’émotion. Les délices des préparations, les goûts fins, la délicatesse des sauces et la chaleur familiale aux côtés des enfants ont déclenché des larmes de joie intime: c’était la première fois que les grands-parents originaires de Mâcon étaient conviés à partager ces plats d’anthologie, escortés de vins de Bourgogne blancs et rouges, en compagnie de leur progéniture. »
Alors, tout va bien, ce n’est parce qu’on ouvre le champ des possibles que l’on enterre les racines de notre cuisine, bien au contraire nous pouvons choisir et c’est heureux monsieur de Rabaudy… Faut sortir, ouvrir portes et fenêtres, ça évite le confinement et l’entre-soi…