Le 19 janvier, le sieur Gerbelle, ex-pensionnaire de la vieille dame permanentée qu’a viré people, dixit Patrick Beaudouin le missionnaire du chenin, a posté sur mon mur face de Bouc, quel honneur, le genre d’info qui attire les petits frelons, les gros bourdons, les coucous qui se font de la pub : moi je suis indépendant, les fêlés du commentaire, des gens sérieux aussi, documentés.
Bref, comme dirait l’autre : ça a fait le buzz…
De quoi s’agit-il ?
« L'info n'a pas fait grand bruit. Et pourtant. Le célèbre guide Hachette des vins vend désormais des bouteilles directement aux internautes. Depuis septembre 2016, à partir de son site hachette-vins.com, le leader en France des guides d'achats est devenu caviste en ligne. Le glas de la chronique/critique du vin sans lien marchand a-t-il sonné ? Le guide était-il devenu à ce point si peu rentable ? Pour un ouvrage qui vente son indépendance depuis trente et un ans, le virage est brutal. Qu'en pensez-vous ? »
Pour ma part je me suis contenté d’écrire : « Merci Antoine de mettre de l'animation sur mon mur, c'est sympa. Quant à savoir ce que j'en pense, à vrai dire pas grand-chose vu mon peu d'appétence pour les guides. Pour l'indépendance c'est simple comme la transparence des ressources de ceux qui rétribuent les critiques. »
Mais, comme sur face de Bouc, lorsqu’on t’a ainsi hameçonné tu es prévenu de tous les nouveaux commentaires, j’ai donc jeté à plusieurs reprises un œil pour voir ce qui s’y écrivait.
De ce magma, 2 commentaires émanant, disons pour m’éviter son ire, d’un propriétaire-héritier (ce n’est pas une tare mais un statut) :
« Si j'ai bien compris, il faudrait faire des vins dont personne ne parle et que personne ne boira, mais que l'honneur intellectuel présumé de quelques-uns des derniers mohicans à plume du vin soit sauf ? »
« Les vignerons ne sont pas de purs esprits, ils ont du vin à vendre (ouh, le vilain gros mot), et même de gagner de l'argent (ouh la la) pour nourrir leur famille. »
Sur le premier commentaire, fort méprisant, si j’avais été critique professionnel du vin, ce que je ne suis pas, j’aurais pris la mouche, mais personne n’a moufté. La profession sait ménager les gars qui ont du blé.
C’est le second qui a retenu toute mon attention car il reflète très bien l’ambiguïté de la position de ceux qui disent exercer la profession de critique de vin, coincé qu’ils sont entre les intérêts de la feuille qui les rémunère, mal, et ceux qui apportent à la feuille l’essentiel de ses ressources.
Les affaires sont les affaires et la fonction principale du critique serait donc de faire vendre. Je n’ai rien à redire : les critiques littéraires boostent les ventes de livres qu’ils aiment, les critiques de cinéma les films qu’ils encensent… même si bien souvent, et surtout avec les réseaux sociaux, le bouche à oreille est parfois bien plus efficace (voir le succès phénoménal d’audience de Merci patron, petit docu financé avec des clopinettes).
La particularité de la critique du vin c’est qu’elle ne traite que d’un tout petit pourcentage des vins mis sur le marché, que pour les vins du haut du panier elle est soumise à une forme de bon vouloir de certains propriétaires, qu’elle éreinte rarement, surtout les Grands, et qu’elle n’intéresse qu’un tout petit nombre de consommateurs.
Un ensemble bien étroit, il suffit de contempler dans une maison de la presse les présentoirs surchargés pour constater que la presse du vin est bien maigre et peu visible.
Cette étroitesse favorise plus les conflits d’intérêts que l’indépendance même si le comportement individuel de certains critiques prête assez peu le flanc au fameux « tous pourris » que l’on assène à la volaille politique.
On se serre donc les coudes et l’on confond souvent extension du domaine du vin et je te passe le sel passe-moi le poivre. Promouvoir des vignerons talentueux, les faire émerger, développer la notoriété d’une appellation, faire connaître, constitue un objectif louable, mais on flirte souvent avec le publi-reportage et la mise en avant de ceux qui renvoient l’ascenseur.
Je m’interroge donc sur la capacité et l’efficacité de la critique à atteindre tous ces buts depuis que le monde du vin est devenu un grand tonneau où tout le monde psalmodie à l’envi : le terroir, la typicité, les cépages, où tout ou presque est beau, bon…
Nous nageons donc dans un océan rouge où il est bien difficile de mettre en avant son originalité pour se différencier de son voisin ou de son concurrent d’une autre appellation ou région.
Sans vous prendre la tête avec un topo sur les problèmes qu’ont toujours rencontrés les paysans lorsqu’ils ont tenté de vendre en direct leurs produits, hors les circuits de distribution en place, il est tout de même important de s’interroger.
Je m’en tiens aux vignerons où le négoce jouait, et joue encore, de point de passage obligé pour l’accès au marché. J’ai beaucoup ri le jour où une éminente et nouvelle critique a découvert avec horreur qu’une grande part des AOC s’écoulaient vers le négoce en vrac. Elle n’avait jamais vu les camion-citerne de l’entreprise Veynat transportant des liquides alimentaires.
Faire de la bouteille accompagna le déclin des vin de table et la montée en puissance des AOC.
Lorsque je me suis retrouvé face au dossier Rivesaltes et que j’ai parcouru dans tous les sens le département des Pyrénées-Orientales, un vigneron aujourd’hui disparu : Pierre Piquemal m’a instruit, sur son parcours du combattant de viticulteur devenu vigneron-artisan-commerçant, pour trouver des clients. Désespérant me confiait-il « si on n’était pas dans un guide, si on n’avait pas de médailles, les gens défilaient lors des salons, celui des Vifs tout particulièrement, sans même jeter un regard sur notre stand. »
Bref, les guides, les publications sur le vin, les salons ont permis à beaucoup de vignerons de se constituer une clientèle et ce grâce à des « critiques » à qui le public des amateurs ou simples acheteurs accordaient leur confiance.
Mais comme, tout à la fois, le nombre de vignerons voulant accéder au marché des consommateurs finaux, marché étroit, a explosé et que l’Internet est arrivé, une forme de thrombose et de bousculade au portillon s’est installé.
Je ne vous fais pas de dessins, ça a changé la donne, ça a fait imploser l’entre-soi du monde du vin. C’est parti dans tous les sens, le fragile modèle économique de la presse du vin a volé en éclat. Pour survivre, les revues ont organisés des salons, ont vendu clé en main des « spécial vins » à la presse généraliste elle aussi mise à mal par le Net, se sont retrouvées plus encore sous perfusion de la publicité des annonceurs. Pas simple pour le critique de faire son job dans de telles conditions.
Ne comptez-pas sur moi pour jeter la première pierre à qui que ce soit. Simplement je me permettrai de signaler à certains d’éviter de donner des leçons de déontologie eut égard à leurs pratiques.
Et puis, ces derniers temps, dernier stade pour aider des vignerons à accéder au marché : la mise en œuvre de plateformes de vente via le Net. Les VIF l’ont fait, les grands conseilleurs sont associés à des vendeurs de vins sur la Toile, et aujourd’hui le guide Hachette s’y met.
Qu’est-ce que ça va changer au statut de « critique » me direz-vous ?
Ma réponse est brutale : RIEN ou presque car le mode de fonctionnement restera le même, se dégradera même, et le poids de la critique, déjà fort modeste, son faible niveau de bruit médiatique, influeront très peu sur la notoriété des vignerons.
L’effet prescripteur d’achat est ailleurs. Le modèle Parker fait rêver tous les vendeurs de notes et de commentaires mais il n’est pas reproductible.
Ce qui va compter c’est la proximité.
Le retour de la confiance au plus près de chez soi.
Ceux qui ont su jouer cette carte de la proximité, avec un niveau de bruit médiatique sans commune mesure avec leur poids économique, ce sont les passeurs de vin nature.
Ils ont compris avant ceux qui poirotent dans les antichambres de la GD pour se faire référencer et plumer, que la notoriété passe par des lieux de proximité : les bars, les restaurateurs, les cavistes de quartiers… des gens impliqués, passionnés et de grâce cessez de dire ou d’écrire que tout cela n’est qu’un phénomène de bobos parisiens.
Pour preuve, l’appétence pour le vin dit nature des opportunistes type Gérard Bertrand, la cave de Buzet, et maintenant Advini ex-Jeanjean. Oui, ce mouvement avec ses côtés libertaires, parfois un peu chiant, a su anticiper sur les attentes d’une nouvelle couche de consommateurs en quête d’une forme d’authenticité et de proximité.
On les raille. C’est commode. Mais la proximité et le retour à certaines valeurs n’est pas une mode mais une tendance de fond qui balaiera bien plus vite qu’on ne le pense les modèles anciens chers aux consommateurs baby-boomers.
Et c’est en cela que l’internet, outil de liberté, fenêtre ouverte sur le monde, si l’on sait s’en servir, favorise la proximité, les fameux liens.
Le 18 mai 2009, lorsque madame Bachelot et les gris de l’ANPAA voulaient barrer la route de l’Internet au vin, j’ai écrit une chronique qui résumait ma conception de l’utilisation de la Toile par ceux qui n’ont pas ou peu de ronds.
Urgence : défendons le seul chemin vicinal qui relie Embres&Castelmaure à New-York : l'Internet !
Oui, la Toile, si l’on veut bien s’en donner la peine, est un merveilleux outil de proximité qui permet aux vignerons de nous donner la capacité de choisir, de se faire une opinion précise sur « qui est qui », « qui fait quoi » par-delà les pétitions de principe d’indépendance de ceux qui tournent autour d’eux pour se faire du pognon.
Par-delà les joutes, souvent bien pauvres, de Face de Bouc, le pouvoir du consommateur-citoyen est à portée d’un ou plusieurs clics et bien sûr d’une réelle curiosité pour ce que l’on veut consommer.
Tout service que j’estime utile mérite rémunération, j’applique ce principe simple et efficace pour le traitement de mon panier de ménagère de plus de 65 ans. L’économie ménagère est mère de la gestion. Alors, pourquoi voudriez-vous que j’aligne quelques euros pour m’abonner à des sites qui tartinent des commentaires fumeux et alignent des notes faramineuses pour des vins de « haute extraction » sur lesquels tout le monde planche mais que peu peuvent acheter ou des vins plus modestes pour lesquels les conseils de cavistes ou de sommeliers sont à la fois plus pertinents et surtout vérifiables en temps réel.
C’est à la portée de tout le monde et ça n’exclut pas d’aller butiner sur la Toile des conseils avisés de dégustateurs pour chercher son bonheur. Pour toutes ces raisons je ne vois guère d’avenir à la critique à la mode de grand papa, certes sympa, où le copinage faisait gentiment partie du bagage, son recyclage dans la blogosphère ne lui pas apporté un nouveau souffle et aucun nouveau modèle économique n’a émergé pour assurer sa pérennité.
Vous comprendrai donc que je ne verserai aucune larme, ni ne plaindrai les dupes des faux-nez, des qui vont à la table de leurs annonceurs pour les brosser dans le sens du poil dans leur revue papier-glacé, ils n’ont aucune excuse.
Un vœu tout de même, que les grosse pompes à cotisations volontaires obligatoires que sont les Interprofessions, principal gisement de financement de la promotion, arrêtent de les dilapider dans les puits sans fond que sont leurs actions auprès de prescripteurs qui n’en sont pas.
Comme il n’est pas facile de conclure, je m'en remet à deux dents dures :
Sacha Guitry
« Les critiques de théâtre sont comme les eunuques : ils savent parfaitement comment ça se fait, mais ils sont incapables de le faire. »
Franck Zappa
Les critiques de rock sont des individus ne sachant pas écrire qui interviewent des individus qui ne savent pas parler pour des individus qui ne savent pas lire. »