Je le confesse humblement, mécréant et ignorant que je suis, jusqu’à ce qu’un vigneron bourguignon m’alertât, en m’« enduisant » avec malice en erreur sur l’orthographe du nom, j’ignorais jusqu’à l’existence du domaine Bonneau du Martray.
Mais je me suis rassuré en me disant :
- Les beaux nez de notre beau pays François n’ont guère jusqu’ici encensé le Bonneau du Martray ;
- Ce nectar, estampillé vieille famille, de la fameuse colline de Corton est, me dit-on, surtout exporté.
Une fois passé les hauts cris sur la mainmise d’un milliardaire ricain sur ces belles ouvrées bourguignonnes la question du nombre de zéro du chèque s’est bien sûr posé.
Comme je l’avais écrit dans ma première chronique c’est le vendeur qui a la main, c’est lui qui choisit l’acquéreur, surtout s’il est en position de force, nul n’est obligé de vendre au plus offrant.
La famille Le Bault de la Morinière pour régler ses problèmes de succession aurait pu choisir d’autres solutions que de céder 80% de son capital à un américain.
Il ne fait aucun doute qu’elle a choisi d’optimiser le montant du chèque puisque le porte-parole de la famille indique «Quand la famille Le Bault de la Morinière a décidé de mettre en vente, son conseil est entré en contact, à l'échelle mondiale, avec les dix personnes susceptibles d'acquérir le domaine».
Elle est entrée dans la logique des cédants d’entreprise dans un univers mondialisé : la valorisation de leur capital sur la base de son potentiel économique, commercial, qui va bien au-delà de la seule valeur comptable de son capital.
Bien évidemment on peut regretter que le « modèle bourguignon », dont il faudra un jour m’indiquer qu’elle est sa consistance au XXIe siècle, se pervertit en jetant aux orties le mythe de l’exploitation familiale protectrice.
Sans jouer le provocateur je me permets de poser la question : au nom de quoi une entreprise viticole aurait-elle un comportement différent de celui d’un entrepreneur d’un autre secteur ?
À noter qu’on ne brade pas le patrimoine national puisque les vignes ne sont pas délocalisables, et que l’acquéreur a tout intérêt à tirer son produit vers le haut pour amortir son investissement.
On va me rétorquer que ce sont là que des gros mots insupportables… Je veux bien en convenir mais il faudra que l’on m’explique concrètement comment faire pour que la transmission d’une entreprise vigneronne se fasse dans des conditions jugées acceptables par les tenants d’un autre monde ?
Je vais pousser la provocation un peu plus avant en affirmant que l’une des voies possibles consiste en l’émergence de vignerons ou d’entreprises vigneronnes bourguignonnes en capacité d’être des acheteurs potentiels de leurs voisins qui veulent ou qui doivent passer la main.
Même si tout ça me mène au bucher je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que l’AOC a été créée, non pour de seules raisons qualitatives, mais pour des motivations protectionnistes du producteur : pour qu’il puisse garder pour lui-même une part équitable de la marge générée par la vente de son produit à l’acheteur final ?
Ma question est simple : est-ce le cas dans la belle Bourgogne des mythes du petit vigneron accroché à son terroir familial ?
Je ne dispose d’aucun élément de réponse mais j’aimerais bien avant d’être vilipendé que ceux qui disposent des chiffres m’éclairent ?
Alors, est-ce que 100 millions d’euros pour Bonneau du Martray c‘est cher ?
La réponse, bien française, du porte-parole de la famille Le Bault de la Morinière, «Vous êtes loin de la réalité», le beau chèque est «très, très élevé», est en soi révélatrice.
En effet, comme me le dit avec pertinence un vigneron bourguignon qui sait de quoi il parle : « Entre nous je pense que c’est faible. Cela mettrait l’ouvrée à 380 000 euros. Le double, au moins, me paraitrait plus raisonnable. »
De plus, notre américain amateur de football y trouvera son compte, il prend bien moins de risques qu’en engloutissant ses millions dans le gouffre de la première League de nos voisins anglais.
Il faut toujours savoir nommer les choses ou les évènements afin de ne pas travestir la réalité.
La vente de Bonneau du Martray créée-t-elle un «un événement sur la Côte» - celle de Beaune ?
La réponse est oui au sens où elle est révélatrice d’une situation, en effet la flambée du prix des vignes n’est pas le fait de l’acheteur américain, le prix du foncier flambe naturellement, et pour une grande partie, c’est lié à l’incapacité de ce que l’on nomme la propriété à considérer le marché sur lequel se vendent ses vins.
Ce n’est donc pas une surprise mais le retour « normal », à la bordelaise oserais-je dire, de la valeur sur le marché mondial de vins iconiques bourguignons.
D’une certaine manière le monde du vin bourguignon feint de découvrir que le temps de l’entre-soi est sans doute en train de s’effilocher et qu’il serait temps de cesser de se leurrer en brassant des mythes pour regarder la réalité en face.
Tu vas te faire bien voir me disait souvent un collègue… Qu’importe, je suis vacciné.
L’important face à un tel dossier c’est d’évaluer les symptômes qu’il révèle, cliniquement, sans affect, afin de pouvoir, s’il est encore temps, et je crois qu’en Bourgogne c’est le cas, imaginer ce qu’il est nécessaire de faire.
En attendant, pour pallier mon ignorance je vais aller déguster un flacon de Bonneau de Martray avec une gorge profonde qui va me tuyauter sur le montant réel de la transaction.
Nous lèverons nos verres à la rouerie du futur gérant de Bonneau du Martray, Armand de Maigret, pour qui le domaine est tombé en de bonnes mains : «Nous sommes des viticulteurs et pas une machine marketing». «C'est une propriété qui partage la même philosophie que la nôtre en Californie, basée sur la qualité des terres et des vins. Notre travail va consister à maintenir le domaine en ajoutant de petites astuces californiennes et en transférant quelques astuces bourguignonnes en Californie».
Ça fait un peu cher l’échange de petites astuces, ne croyez-vous pas… une façon de dire beaucoup de bruit pour rien sauf à exciter quelques plumitifs du vin bien incapables de dépasser la fonction de haut-parleur d’une dépêche AFP.
C’est fait j’ai dégusté une belle lichette (grâce à la petite pompe) de ce Bonneau du Martray 2001 qui jusqu’à avant-hier n’avait de mythique que son foncier : 11 ou 12 ha d’un seul tenant. Ce n’était qu’un producteur parmi d’autres, juste avec une particule qui donnait un air vieille France. Ce n’était pas , et ce ne sera toujours pas, la Romanée Conti ou Leroy, ni même le Clos des Lambrays, les Comtes Armand ou d’Angerville.
Mais avec le buzz de la vente le voilà sorti de l’ombre, l’acheteur fait d’une pierre deux coups en signant un chèque probablement confortable, il s’offre une pub mondiale qui va lui permettre de faire casquer les futurs acquéreurs.
Alors, est-ce que tout cela est bien raisonnable ? Est-ce que notre milliardaire américain s’est offert une danseuse pour flatter son égo comme le pense le monsieur qui sait tout sur tout François Mauss ICI
Je n’ai jamais vu aligner autant de poncifs au cm2 et, comme tous les fameux amateurs, il ne sait pas compter. Je le mets au défi de me faire un calcul de retour sur l’investissement qui démontre que notre américain n’est qu’un gogo qui dépense sans compter.
Comme me le faisait remarquer un en déjeunant ami parisien qui n’a pas sa langue dans sa poche mais qui soit compter « à la limite à 100 millions d’euros celui qui s’est fait baiser, c’est Bonneau du Martray… » avant d’ajouter « … raison pour laquelle je pense que le chèque est plus gros, parce qu’on a beau être « fin de race », un peu chétif et sans lumière à tous les étages, on a quand même le sens de valeurs. On sait ce qu’on possède. »
Pour le montant du chèque, dès que mes gorges profondes m’auront informé je vous le communiquerai… et comme je ne vends pas des copié-collé de dépêche AFP, y compris dans sa version anglaise, j'aurai fait le boulot pour le plaisir d'informer...
Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la dernière saillie de mon ami : parmi tous ceux qui poussent des cris d’horreurs, qui s’indignent concernant le prix de vente, je suis persuadé que pas un d’entre eux ne laisserait sa maison ou son appartement à un prix inférieur à celui du marché...
à méditer...