Ce week-end la Bourgogne du vin fêtait la saint Vincent à Mercurey ça m’a fait remettre la main sur un livre de Giacomo Todeschini que j’avais acquis en 2008 :
Richesse franciscaine
De la pauvreté volontaire à la société de marché (1)
Et puis je suis allé sur le site des Vins de Bourgogne.
La règle monastique de Saint Bernard, un cadre propice au travail de la vigne
« Au 12ème siècle, l’abbé Bernard de Clairvaux impose aux Cisterciens des principes de vie stricts, qui font alterner effort et prière. Sous l’influence de cette règle, les moines accomplissent un travail phénoménal pour mettre en valeur leurs vignobles autant que leurs terres agricoles.
Appliquant de nouvelles techniques de vinification, ils notent méticuleusement les résultats de leurs expériences. Jusqu’à nos jours, cet héritage écrit contribue à la notoriété et à la préservation du Terroir de Bourgogne. »
L’ordre cistercien
Fondé avec l’abbaye de Cîteaux (1098), il détient des terrains en Côte de Beaune et Côte de Nuits, mais aussi vers Chablis et Chalon-sur-Saône.
L’ordre clunisien
Créé avec l’abbaye de Cluny en 909, c’est un autre propriétaire important dans la Côte Chalonnaise et la région de Mâcon. Il possède également quelques vignes plus au nord, dont l’actuelle Romanée-Saint-Vivant.
Sur leurs terres, les moines produisent d’abord le vin nécessaire à la célébration de la messe. Peu à peu, par un travail assidu, ils font progresser la viticulture, la qualité et les rendements. Les communautés peuvent alors vendre une partie de leur vin. Au 15ème siècle, la qualité de leurs vins est reconnue dans toute l’Europe. Chaque abbaye, chaque monastère veille à perpétuer l’excellence de sa production, pour entretenir sa renommée. »
Retour au livre de Todeschini page 20 :
« Entre le XIe et le XIIe siècle, alors que l’Europe des chrétiens croissait tumultueusement, les marchands ceux qui faisaient métier de commercer, commençaient en somme à se frayer un chemin dans le monde.
… monnaie et argent conféraient une visibilité à la valeur des choses et du travail, les transformant en marchandises. Mais les monnaies et argent, justement en raison de leur capacité à rendre manifeste la valeur d’une chose, faisaient de la valeur même des choses une réalité commerciale. Dès lors, quiconque possédait de l’argent et avait l’habitude de s’en servir ou de l’encaisser, pouvait l’anticiper, le prêter, le vendre.
… En d’autres termes, la multiplication de l’argent et des monnaies en circulation faisait du crédit une réalité toujours plus quotidienne. Qui était riche dépensait et prêtait, dépensait et empruntait, s’endettait, devenait créancier.
Mais qui était et avait le droit d’être riche, dans la société des XIe et XIIe siècles ?
… les évêques, les abbés, les seigneurs territoriaux, les souverains…
… De 1120 au début du siècle suivant, cette dynamique avait fait émerger directement deux « modèles » d’entrepreneuriat monastique : celui des moines bénédictins de l’ordre de Cluny et celui des moines, également bénédictins, de l’ordre de Cîteaux.
Clunisiens et cisterciens qui, selon le témoignage d’un leader cistercien, Bernard de Clairvaux, apparaissent comme les représentants de deux économies en conflit.
La première, l’économie clunisienne, économiquement perdante parce qu’orientée vers la thésaurisation de la richesse qu’elle immobilise en objets de luxe, en édifices fastueux, en habitudes transformant le monastère en une cour d’une opulence extrême.
La seconde, l’économie cistercienne, économiquement victorieuse, parce qu’en état de conjuguer la pauvreté des moines pris individuellement et de l’Ordre en tant qu’organisation existentielle avec des choix économiques de type productif, concrétisés notamment par le réinvestissement permanent dans l’achat de terres nouvelles de profits dérivés de l’exploitation de celles en possession de l’Ordre. »
Bernard de Clairvaux condamnait l’opulence en tant que blocage improductif des ressources et en tant que spectacle dont l’objectif était d’augmenter les recettes des seigneurs qu'ils thésaurisaient.
« Il y a une certaine adresse à semer l’argent qui le multiplie ; on le dépense pour l’augmenter, et la profusion produit l’abondance. La vue de ces vanités somptueuses et surprenantes incite les spectateurs à offrir plutôt leur argent que leurs prières à Dieu. Ainsi les richesses enlèvent les richesses, et l’argent attire l’argent. Et ne sais d’où vient que plus on voit de richesses, plus on est porté à offrir les siennes »
LE MARCHÉ SELON SAINT FRANÇOIS par Robert Maggiori
— 7 novembre 2008 à 06:51 ICI
La richesse des Franciscains. Autour du débat sur les rapports entre économie et religion au Moyen Âge par Valentina Toneatto
(1) Adeptes d’une pauvreté rigoureuse et évangélique, les franciscains sont paradoxalement amenés, du fait précisément de ce choix « scandaleux », à examiner toutes les formes de la vie économique qui se tiennent entre la pauvreté extrême et la richesse excessive en posant la distinction entre propriété, possession temporaire et usage des biens économiques.
Selon quelles modalités les chrétiens doivent-ils s’approprier l’usage des biens terrestres ? Pour répondre à cette question, les franciscains furent nombreux, depuis le treizième siècle, à écrire sur la circulation de l’argent, la formation des prix, le contrat et les règles du marché.
Dans ce cadre, la figure du marchand actif, qui sait faire fructifier par son travail et son commerce un capital – en soi dépourvu de valeur – s’affirme positivement dans la mesure où elle contribue à la croissance d’un « bonheur citadin ». À l’opposé, la figure du propriétaire foncier, du châtelain, de l’aristocrate qui conserve pour lui-même, thésaurise et ne multiplie pas la richesse apparaît comme stérile et sous un jour négatif.
La réflexion franciscaine est donc à l’origine, avant même l’éthique protestante étudiée par Max Weber, d’une grande partie de la théorie économique européenne et, en particulier, de l’économie politique qui considère que les richesses de ceux qui forment la communauté civile sont une prémisse fondamentale du bien-être collectif.
Fils d'un riche marchand d'Assise, Pierre Bernardone, François arrivé à l'âge d'environ vingt-quatre ans abandonna subitement la vie laïque pour devenir ascète : le Poverello. Il n'était ni un romantique attiré par la nature ni un écologiste radical avant l'heure et dans sa règle de 1223 il souligne surtout le rejet de l'argent. « Je défends formellement à tous les frères de recevoir en aucune manière des pièces d'or ou de la menue monnaie, soit directement, soit par personne interposée…» Aussi, pour vivre modestement, les frères recherchent l'hospitalité et le travail, et refusent la propriété des biens mobiliers et immobiliers. Ils en auront l'usage, pas la propriété. Ils auront des "médiateurs" pour gérer leurs fondations.