Au temps de mes écritures rapporteuses Bernard Magrez m’avait dans ses petits papiers, pensez-donc il est même venu se poser sur une modeste chaise dans mon modeste bureau du 3e étage à l’Onivins, rue de Rivoli. Un jour il me fit part de son ras-le-bol de Carole Bouquet qui exigeait des bouteilles bleues.
Même qu’il m’avait confié son numéro de portable et qu’il m’y répondait. En ce temps-là il rêvait encore de se muer en un Pierre Castel du vin pour atteindre les sommets du vin versus Nouveau Monde.
Même que lors d’un Vinexpo il m’embarqua dans la soirée qu’il organisait pour la GD des indépendants : Super U et Intermarché à son château Pape-Clément. Ce fut un grand moment, y’avait même un sous-Ministre, une cantatrice, et aussi des demoiselles à chaque table sauf la mienne. Côtoyer et contempler le comportement des acheteurs de la GD et des directeurs de magasins est fort instructif sur les méthodes utilisées pour acquérir du métrage de linéaire.
Il a même répondu à mon questionnaire de Proust en 2009 ICI là aussi un grand moment !
Mais ce temps est révolu, Bernard Magrez se délesta de ses marques : Malesan, Sidi Brahim auprès du roi du rouge Pierre Castel pour se hisser vers les sommets des GCC et autres avec son compère Gérard Depardieu.
L’homme aime les bœufs mais pas le bio à Bordeaux, cette amusette n’étant bonne que chez les gueux du Languedoc où il possède des arpents de vigne du côté du célèbre village de … Il aime aussi les drones, l’art pompier…
En ce moment nos grands esprits de la politique utilisent à tout bout de champ l’expression roman national. En effet, savoir l’écrire serait un moyen de nous séduire, de nous redonner le souffle qui nous fait défaut.
Bernard Magrez, lui, sait à merveille fabriquer les lignes de son roman personnel. Pour preuve, parmi bien d’autres, une Préface pleine d’humilité, lui, homme venant d’un autre milieu que celui de la place des vins de Bordeaux, « plus modeste » et qui a « vu vivre et souvent très bien vivre ces grandes familles bordelaises issues de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie. »
Pas de quartier pour elles « certaines ont subi, sans réagir, les épreuves et les aléas de ce métier de propriétaire (ndlr est-ce un métier que la propriété ?) très valorisant mais jamais facile. »
« Accrochées à leurs certitudes… la plupart ont disparu de la scène économique : quelques-unes, grâce à des héritages somptueux, sont encore là. C’est une chance pour elles. Le méritent-elles ? »
Notre Bernard, fort diplomate, concède que d’autres « beaucoup plus conquérantes, tant dans le négoce que dans le vignoble, sont toujours devant et ont abandonné les postures qui les auraient empêchées de prospérer. »
Un capitaine d’industrie donc qui, selon ses dires restera à la barre de son paquebot jusqu’aux derniers instants. Et ne venez pas me mettre dans les gencives qu’en écrivant ses lignes je me laisse aller à un penchant bien Français : détester ceux qui réussissent. Loin de moi cette mesquine envie, j’aime les bâtisseurs, ceux qui créent, innovent et, dans une certaine mesure, tel fut le cas de Bernard Magrez.
Connaissant bien son histoire ce matin, à l’image du rédacteur de Vitisphère ci-après, je trouve que le Bernard surjoue son côté Folies des Grandeurs sa nouvelle cuvée « Modestement baptisée Clos Sanctus Perfectus, la nouvelle acquisition viticole de Bernard Magrez tient de la création d'orfèvre. C’est du moins l’ambition de l’entrepreneur girondin, qui vise une distribution ultra-sélective pour valoriser une production limitée à 3 200 cols/an en appellation Saint-Estèphe. « Beaucoup de grands initiés dans le monde sont désormais en quête d’étiquettes très rares produites en toute petite quantité, qui leur procurent des émotions exceptionnelles » explique Bernard Magrez dans un communiqué des plus succincts (ne donnant aucune précision sur la parcelle achetée, si ce n’est qu’elle est située au lieu-dit La Peyre). »
Ça doit plaire aux nouveaux riches mais la nouvelle lubie du Bernard s’apparente à un remake des vins de garages chers à mon ami Jean-Luc Thunevin qui, lui, est vraiment parti de rien pour créer son vin alors que ce n’était pas le cas du père Magrez qui s’est fait sa pelote avec des spiritueux vendus à la GD.
Reste enfin que la mainmise de Bernard Magrez sur le château La Peyre marque la disparition d’un cru artisan et c’est bien triste.