Les Innocents d'Alep, du Yémen, et de tous les pays en guerre...
Mon long passé d’enfant de chœur m’a permis de bien connaître et de pratiquer le calendrier liturgique : les rogations, le lavement des pieds le jeudi-saint, la fête Dieu, la messe de Minuit… etc. mais une date m’a profondément marqué : le 28 décembre qui « fête » le massacre des Saints Innocents.
En dépit de mes mauvaises pensées, que j’omettais d’avouer en confession, je me vivais comme un innocent et, comme on nous mettait en permanence sous le nez de futurs saints martyrisés dans des conditions atroces, j’en rêvais la nuit. Aucune horreur ne nous était épargnée alors que nous entamions sans le savoir un long épisode de paix dans notre pays.
Pourquoi les nommait-on des Innocents ?
3 raisons :
- Innocents en raison de leur vie, parce qu’ils ont eu une vie innocente, c’est-à-dire n’ont pu, de leur vivant, nuire à personne.
- Innocents en raison de leur martyre, parce qu’ils ont souffert injustement et sans être coupables d’aucun crime.
- Innocents en raison des suites de leur mort, parce que leur martyre leur a conféré l’innocence baptismale, c’est-à-dire les a purifiés du péché originel.
La dernière m’a toujours plongé dans une incompréhension abyssale.
Voici l’histoire :
« Les mages vinrent à Jérusalem, s’informant de la naissance du nouveau roi que leur annonçaient les présages. Et Hérode, en les entendant, craignit que, de la famille des vrais rois de Judée, un enfant ne fût né qui pourrait le chasser comme usurpateur. Il demanda donc aux rois mages de venir lui signaler l’enfant royal dès qu’ils l’auraient trouvé, feignant de vouloir adorer celui qu’en réalité il se proposait de tuer.
Mais les mages s’en retournèrent dans leur pays par une autre route. Et Hérode, ne les voyant pas revenir, crut que, honteux d’avoir été trompés par l’étoile, ils s’en étaient retournés sans oser le revoir ; et, là-dessus, il renonça à s’enquérir de l’enfant. Pourtant, quand il apprit ce qu’avaient dit les bergers et ce qu’avaient prophétisé Siméon et Anne, toute sa peur le reprit, et il résolut de faire massacrer tous les enfants de Bethléem, de façon que l’enfant inconnu dont il avait peur pérît à coup sûr.
Mais Joseph, averti par un ange, s’enfuit avec l’enfant et la mère en Égypte, dans la ville d’Hermopolis, et y resta sept ans, jusqu’à la mort d’Hérode. Et Cassiodore nous dit, dans son Histoire tripartite, qu’on peut voir à Hermopolis, en Thébaïde, un arbre de l’espèce des persides, qui guérit les maladies, si l’on applique sur le cou des malades un de ses fruits, ou une de ses feuilles, ou une partie de son écorce. Cet arbre, lorsque la sainte Vierge fuyait en Égypte avec son fils, s’est incliné jusqu’à terre, et a pieusement adoré le Christ. »
Qui donc était cet Hérode ?
« Les Innocents ont été mis à mort par Hérode d’Ascalon. L’Écriture Sainte cite en effet trois Hérode, fameux tous trois pour leur cruauté. Le premier est appelé Hérode d’Ascalon : c’est sous son règne qu’est né le Seigneur et qu’ont été mis à mort les Innocents. Le second s’appelle Hérode Antipas : c’est lui qui a ordonné la décollation de saint Jean. Enfin le troisième est Hérode Agrippa, qui a mis à mort saint Jacques et a fait emprisonner saint Pierre. »
Seul l'évangéliste saint Matthieu (Matthieu 2, 16-18.) raconte l'épisode du massacre des Saints innocents que l'Eglise célèbre le 28 décembre.
« Même si ce massacre n’est pas certain historiquement, la folie paranoïaque d’Hérode est, elle, incontestable. Ce genre de projet lui ressemble, lui qui fit assassiner son épouse et plusieurs de ses enfants. Le passage est inséré au coeur de l’épisode de Jésus en fuite avec ses parents en Égypte. Il rejoint ainsi l’événement fondateur du Peuple élu : le massacre orchestré par Pharaon (Exode 1-2). La clé du récit est là. L’enfant Jésus échappe à la mort, comme le fut l’enfant Moïse sauvé par Dieu en vue de sa mission.
Le massacre des innocents annonce ainsi le massacre de l’Innocent, dont le don sauvera définitivement le Peuple. Jésus, le nouveau Moïse, accomplit ainsi les Écritures. En citant Jérémie 31,15, Matthieu fait allusion à d’autres événements douloureux et violents vécus par le Peuple de Dieu. Rachel, la « mère » des tribus du nord d’Israël, pleure ses fils et ses filles déportés par les Assyriens. C’est de Rama (l’un des lieux probables, avec Bethléem, du site de la tombe de Rachel) que les tribus du Sud partirent pour Babylone lors de l’Exil (Jérémie 40, 1). Des premiers moments de l’histoire d’Israël jusqu’à la naissance du Messie, la violence frappe. »
La violence !
Et Dieu dans tout ça ?
Comment me convaincre qu’il est innocent de ces carnages ?
Me persuader qu’il se met toujours du côté des violentés, solidaires de ceux qui souffrent et leur offrant le Salut.