Longtemps, tel Claude Imbert, le fondateur du Point, j’ai ingurgité des « champagnes de pot de départ à la retraite » et, plus encore, des bordeaux « de banquets de planteurs de betteraves ou autres… fruits de la terre.» Pour moi ce n’était que des bulles que je noyais dans le jus d’orange et du vin que je laissais discrètement dans mon verre.
Et puis vint le bas-bourguignon du vin qui, chaque année, prenait son bâton de pèlerin pour aller à l’automne arpenter les terres girondines en des hameaux ne respectant pas toujours son auguste fessier et, sitôt son labeur achevé, entamait une nouvelle mission entre Reims et Épernay en passant par Aÿ ou Cumières.
Pas le temps pour lui d’aller se recueillir en la cathédrale ND de Reims où, de 816 avec Louis le Pieux à 1825 avec Charles X, nos rois de France furent sacrés ou de tremper son biscuit rose de la maison Fossier dans sa coupe de champagne en compagnie de quelques permanentées…
Non, lui, il goûte !
Il le connaît jusqu’au bout des doigts son vignoble champenois :
« C'était avant. La bonne blague que se répétaient dans les Salons professionnels les vignerons des autres régions : « Ça va mal en Champagne, ils ont eu le gel de printemps, la grêle en juillet. - Oui, cette année, ils ne feront que 30 % de plus que le rendement maximal autorisé... »
Le seul vignoble où on ne calcule pas la récolte en hectolitres mais en tonnes a connu en effet des temps d'abondance où, dans certains lieux, on totalisait 30 000 kilos à l'hectare quand le plafond était fixé à moins de la moitié. Il n'était pas rare alors de voir des parcelles non vendangées, car le producteur avait déjà fait le plein de sa cuverie avec les vignes les plus proches de la maison. »
Il sait se faire pédagogue :
« La Champagne possède un fabuleux avantage sur d'autres vignobles : celui de pouvoir mélanger les années. La très grande majorité des bouteilles qui sortent d'Épernay ou de Reims est désignée par les professionnels sous la dénomination de brut sans année (BSA). Cela représente plus de 80 % de la production. Le travail du vigneron ou du chef de cave consiste à assembler les vins sans bulles de différentes années pour obtenir un champagne qu'on pourra déguster dès sa mise en marché. »
Tout ça pour aborder le sujet chaud : le réchauffement climatique
« Moins de récolte, mais en contrepartie des raisins plus mûrs, plus sains, de meilleure qualité et des conséquences en cascade sur les vins, les approches œnologiques, les goûts et même les prix… »
« C'est d'ailleurs pour cela, pour équilibrer, pour compenser cette acidité parfois mordante, qu'on « dosait », qu'on ajoutait du sucre après dégorgement. Dans la plupart des grandes maisons, il y a une vingtaine d'années, ce dosage variait entre 12 et 14 grammes de sucre par litre pour un brut. Ce qui semblait alors ridicule par rapport aux 20 ou 30 grammes qui étaient la mode dans l'entre-deux-guerres. Aujourd'hui, tout le monde a revu ces ajouts à la baisse. Pour un brut, on évoque plus souvent des fourchettes de 8 à 10 grammes et on voit se multiplier les cuvées « nature » (sans aucun sucre ajouté) ou « extra-brut » (très faiblement dosé). »
Cette évolution correspond aussi à un goût plus affirmé chez les consommateurs pour de « vrais vins », ceux qui racontent leur origine, leur terroir, leur cépage sans le maquillage parfois outrancier d'autrefois. « La beauté se raconte encore moins que le bonheur », disait Simone de Beauvoir.
Lire Changement climatique oblige, l'heure n'est plus à la forte production : moins de récolte, mais des raisins plus mûrs, plus sains et de meilleure qualité. ICI
Position centrale, donc centriste, un tantinet Macronienne, avec juste ce qu’il faut de hauteur pour embrasser l’ensemble de la situation champenoise au regard de son histoire et de son modèle économique.
Tout nouveau arrivé, sur le flanc gauche de Jacques Dupont, le sieur Couston de Télérama, ardent défenseur des naturistes, avec un penchant Mélanchonien non révisé.
Mais pourquoi diable ce diable de garçon qui arpente les vignobles sur son vélo aux pneus ballons vient-il prêcher la bonne parole dans un organe de l’ancienne Bonne Presse passée dans les rets du groupe le Monde de B.N.P, consacré à la Télé et au cinéma ?
Les mauvaises langues, j’en connais beaucoup, vont répondre que c’est parce que les bobos constituent le socle du lectorat de Télérama. Ce n’est pas tout à fait faux mais ça n’épuise pas la question. À mon sens cet intérêt est bien plus large, il participe à l’extension du domaine du vin par une nouvelle génération de consommateurs.
Ça ne plait pas à tout le monde, pour preuve dès que l’on met les pesticides, herbicides, intéressant ne sort de cette foire d’empoigne.
En bon encerclé du périphérique le Jérémie Couston explore les vignerons de la périphérie du champagne, les gueux de l’Aube et de l’Aisne ! La lutte des classes toujours et encore !
Mais je vous laisse lire la prose de Couston.
Le champagne avant la Noël possède aussi une rare vertu : celle d’attirer la publicité sur le papier journal. Le Monde ne fait plus exception.
L’ex-feuille de référence d’Hubert Beuve-Méry fait maintenant dans le people chic, genre charme discret de la bourgeoisie de Buñuel, pour nous offrir en Une de son Monde des Vins un déjeuner Les Rémois passent à table
J’ai lu.
Je me suis forcé à tout lire, faut dire que j’étais dans le TGV.
Six personnalités rémoises ont -déjeuné, le 24 novembre, aux Crayères, restaurant étoilé de Reims, pour parler du champagne. Au menu : risotto de courge et noix de saint-jacques, pièce de veau rôtie au beurre demi-sel, soufflé chaud praliné amande. Autour de la table : Claire Peillod, -directrice de l'Ecole d'art et de design de Reims ; Cécile Oudiette, directrice d'Innovact, qui soutient les start-up ; -la chanteuse -Milamarina ; Catherine Vautrin, députée (Les Républicains) de la Marne ; l'avocat -Gérard Chemla et le philosophe Gérard -Lemarié. Nous restituons leur conversation.
Gérard Chemla : Vous savez ce qu'on dit à Reims : " Ouvrez un robinet, et regardez ce qu'il en sort, c'est du champagne. " Il n'y a pas une manifestation dans la ville, même la plus simple, sans une coupe.
Catherine Vautrin : Tenez, dimanche dernier, j'étais à l'inauguration d'une caserne de pompiers, à 9 h 30. On aurait bien pris un café ou un thé, eh bien, on nous a offert une coupe de champagne. Certains ont bu un jus de fruit, mais c'était loin d'être la majorité. Boire une flûte à 9 h 30 fait partie de la tradition locale. C'est difficile d'éviter une petite coupe par jour. La légende veut que, lors d'une naissance, on trempe son doigt dans un verre de champagne pour le mettre dans la bouche du bébé.
Gérard Lemarié : Quand je suis arrivé ici, je jouais au football le dimanche matin. Une chose m'a étonné. A la fin des matchs, on ne sortait pas le pastis ou la bière. C'était champagne. Même quand on perdait. Et quand tu vas au stade pour voir les pros, c'est champagne dans les tribunes. Pareil pendant un concert de rock. Enfin, peut-être que j'exagère…
Catherine Vautrin : C'est Churchill ou Mme Bollinger – au choix –, qui disait : " Du champagne il en faut quand je gagne pour fêter, et il en faut quand je perds pour me consoler. Et puis l'après-midi pour se donner du courage ! "
Milamarina : J'ai fait mes études à Reims, et on se retrouvait souvent en soirée entre étudiants. Normalement, à cet âge, pour des questions d'argent, c'est plutôt le pack de bières. Mais on a toujours un copain, un cousin, qui a son papa ou son oncle qui possède une petite propriété dans le coin. Je me souviens de nombreuses soirées au champagne avec la bouteille sans étiquette piquée dans la cave de tonton.
Cécile Oudiette : Habiter la région et ne pas aimer le champagne, c'est jouable, mais c'est compliqué. J'ai vécu pendant treize ans à Vertus, un village de la côte des Blancs. Les gens que je côtoyais, notamment beaucoup de fils et filles de vignerons, prenaient relativement mal que mon ex-mari ne boive pas d'alcool. Qu'il ne fasse pas l'effort de goûter. Pour eux, le champagne, ce n'est pas de l'alcool.
Gérard Lemarié : Il faut quand même dire que l'on trouve dans des dîners des amphitryons qui n'aiment pas le champagne – ça me perturbe toujours. Je connais une personne qui en a trop bu, n'en peut plus, et est passée au bordeaux. J'ai aussi un ami qui boit du pastis, c'est vraiment incongru.
Gérard Chemla : C'est un cas exceptionnel.
Claire Peillod : Il y a une chose qui surprend quand on arrive dans la région : le moindre bistrot du coin a du champagne à la flûte. C'est le demi local ! C'est une boisson populaire.
Gérard Lemarié : Je ne dirais pas populaire. Tu t'éloignes de 200 km, les gens n'en boivent pas ! Pour eux, c'est presque du luxe.
Claire Peillod : Mais ici, ça n'a rien à voir avec le luxe. On s'en rend compte lors du traditionnel " concert pique-nique ", l'été, au parc de Champagne. La société rémoise, dans toutes ses -dimensions sociales, a une coupe à la main. Ça a une incidence sur le budget familial, quand même. Et même sur celui des institutions !
Gérard Chemla : A l'apéritif, tu ouvres facilement une, deux, trois bouteilles. Quand tu les paies, ça fait cher ! Mais ça s'offre beaucoup.
Catherine Vautrin : Quand on quitte la -région, il faut faire attention. Ailleurs, cette -habitude d'offrir du champagne à l'apéritif te fait vite passer pour bling-bling ou nouveau riche.
Cécile Oudiette : J'ai vécu dans la Drôme et j'ai arrêté d'offrir du champagne à l'apéritif parce que les gens, qui sont plutôt clairette de Die au dessert, trouvaient ça acide !
Gérard Chemla : Si vous me servez un champagne avec de la bulle qui ressemble à une eau gazeuse, j'aurai du mal… Mais il y a de moins en moins de mauvais champagne, et dans la -région, on sait les éviter. On les boit souvent bons et on les boit bien. Quand je suis arrivé ici, on le prenait en dessert avec un boudoir sucré. C'était extrêmement mauvais. Personne autour de cette table n'est spécialiste, mais on a appris à distinguer entre ce qu'on aime et ce qu'on n'aime pas.
Tous : Oui !
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Qu’en dire ?
Rien !
Je m’abstiens…
J’aime trop le champagne !