Notre Jacques Dupont national, dans son dernier opus consacré à la vénération du Dieu vin, commence par les vices et les vertus de l’étiquette afin de nous vanter les mérites de la chaussette.
Ce glissant dans la peau du père Hugo d’Oceano Nox – l’un des poèmes que j’ai déclamé au temps de mes culottes courtes – il envoie du lourd :
« Combien de marins et de capitaines de dîners se sont esbaudis face à de très grands du Médoc ou des noms ronflants de crus bourguignons influencés justement par leur rang alors que le vin lui-même ne valait pas tripette ? »
Et, en bon bas-bourguignon qu’il est, il répartit ses coups de dague, « père gardez-vous à gauche, père gardez-vous à droite » (Conseil donné à Jean le Bon par son fils, le futur Philippe II le Hardi, qui est âgé de 14 ans, à la bataille de Poitiers) en ferraillant sur le flanc des vins à poils :
« Combien de vins qui, après analyses, peuvent se révéler « impropres à la consommation », sont bus avec délectation par des militants de la cause « nature » ?
Bon, sans vouloir titiller ce beau nez, je ne suis pas persuadé que son échantillon de vins nus dégustés soit très représentatif surtout au regard de la cohorte imposante des flacons du camp d’en face. Mais la question n’est pas là, revenons à l’étiquette.
« Pourquoi, alors, autant d’étiquettes vilaines ? »
En voilà une bonne question mon cher Dupont !
« Le vigneron aurait-il une attirance particulière pour le ringard et le laid ? »
Je vous laisse le soin de lire les réponses dans son livre Le Vin et moi.
Mais revenons au sujet du jour : mettre un artiste sur son étiquette !
Notre bas-bourguignon rappelle qu’en ce domaine le baron Philippe de Rothschild fut un précurseur en affichant le V de la victoire sur la bouteille de Mouton 1945. Il pouvait se le permettre, arrêté par les séides de Pétain, ses biens confisqués, il avait rejoint de Gaulle à Londres, dès avril 1941. Ce fut un succès et pour le millésime suivant il fit appel à Jean Hugo, arrière-petit-fils de Victor, qui dessina une colombe tenant dans son bec un rameau d’olivier, symbole de la paix retrouvée. La suite on la connaît.
J’ai beaucoup cité l’homme vin du Point mais l’idée de cette chronique m’est venue en feuilletant à nouveau le petit opus d’Alain Weill : Cadavres Exquis.
Toulouse-Lautrec, mort à 33 ans, qui fut littéralement pillé car « ses œuvres tombèrent dans le domaine public pile au moment où l’on redécouvrait l’Art Nouveau. »
Alain Weill, dans les années 70, acheta à New-York, 3 bouteilles (rouge, rosé, blanc) décorées de reproductions de Lautrec.
Ce qu’il écrit ensuite sonne comme une forme de paradis perdu :
« À l’époque, j’adorais voyager et mes activités professionnelles m’ont amené sur les cinq continents. C’était formidable – toujours le frisson de la découverte… et puis les aéroports étaient accueillants, les formalités minimales, et on pouvait fumer dans les avions. J’ai donc toujours eu de très grandes valises, moitié pleines à l’aller, bourrées à craquer au retour… Entourée de deux ou trois chemises, une bouteille ne craint rien. En ramener trois était un jeu d’enfant : je m’étais précipité dès mon arrivée chez Brooks Brothers pour acheter des polo shirts de toutes les couleurs. »