Pour ceux qui l’ignorent encore notre Jacques Dupont, le beau nez du POINT, est bas-bourguignon, de souche ou d’adoption je l’ignore, et patiemment, tel un bon docteur de campagne, il ausculte la France profonde, celle de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne où survit écrit-il, « un commerçant encore prospère : le caviste alors que dans la plupart des villes de 5000 habitants, note-t-il, de gros villages en somme, que reste-t-il ?
« Un clocher, une mairie, un Leclerc à l’une des sorties du bourg, doté d’un grand parking, de pompes à essence, de rouleaux pour laver les bagnoles, et un Auchan à l’autre sortie du bourg, avec les mêmes appâts. Au milieu, au centre-ville, entre l’église et l’ancienne place de la foire, hormis la pharmacie et le cabinet d’assurances et deux agences bancaires, il n’y a plus rien. Plus de commerces traditionnels, plus de boucher et encore moins de poissonnier. Ils furent les premiers à baisser le rideau, définitivement. »
Saint-Sauveur-en-Puisaye est la patrie de Colette et ce week-end ELLES seront à Saint-Sauveur-en-Puisaye, Laure Adler, Catherine Clément, Julia Kristeva... ce week-end, pour la 5e édition du Festival international des écrits de femmes, consacrée aux "Féminismes". Une cinquantaine d'intervenantes pour évoquer une histoire faite de combats et d'engagements. Une histoire qui se raconte au passé, au présent et au futur...
Ma voisine Bénédicte Martin y sera aussi dimanche à 10:00 pour répondre à la question Colette est-elle féministe ?
Lire ICI Ma nuit sans défense avec Jean Sarkozy, par Bénédicte Martin by Patrick Besson
Moi ce que je sais c’est que Colette aimait le vin, et elle a échangé 65 lettres avec « son » négociant en vin de Charenton : Lucien Brocard. C’est beaucoup moins que le beau François de Jarnac avec sa belle Anne Pingeot : deux volumineux ouvrages que publiera la maison Gallimard le 13 octobre : Lettres à Anne (1962-1995) et Journal pour Anne (1964-1970).
L’amour tout court est plus prolixe que celui du vin.
Bertrand Brocard son arrière-petit-fils a créé une exposition sur «Colette et le vin». Elle est passée par le Clos de Vougeot et a été jusqu’à la fin de février à la Maison de Pays de Grignan, pays connu pour une autre épistolière, la Marquise de Sévigné...
INTERVIEW
- Bertrand Brocard, racontez-nous l'origine de cette correspondance inédite :
- C'est mon arrière-grand-père, Eugène Brocard, qui a créé en 1890 la société "Les Vins Brocard & fils". Mon grand-père, puis mon père se sont succédés à la tête de l'entreprise installée à Paris, au cœur des entrepôts de Bercy et à Beaune, à proximité des Hospices.
En 1942, mon grand-père a fait la connaissance de Colette par l'intermédiaire du libraire Pierre Berès. Elle lui a demandé de la fournir en vins et appréciait ses conseils. Rapprochés par l'amour partagé des bonnes bouteilles, ils ont noué des relations amicales qui ont laissé une trace sous forme de correspondance. Pendant des années, jusqu'en 1953, Colette lui a envoyé des lettres et des cartes postales. Souvent pour lui rappeler, avec humour, qu'elle était « à sec » !
- Pourquoi cette correspondance est-elle si originale ?
Ces lettres sont très souvent rédigées sur des cartes postales fantaisies, en papier gaufré et découpé, illustrées de dessins. Elle les chinait dans des boutiques et les réservait à ses amis les plus proches. Colette surchargeait quelquefois les dessins d'annotations personnelles humoristiques. Le ton est souvent drôle et, au fil des années, on voit évoluer la relation qui devient de plus en plus amicale.
- En conclusion : une équipe bourguignonne pour une bourguignonne illustre !
- Oui ! Née à Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l'Yonne - où se trouve un très intéressant Musée - Colette a toujours revendiqué ses origines bourguignonnes même si elle n'est plus revenue y vivre : « J'appartiens à un pays que j'ai quitté » dit-elle. C'est d'ailleurs le titre du film de Jacques Trémouel que nous diffusons dans l'exposition. L'écrivain gardera son accent rocailleux jusqu'à sa disparition.
Quand on lit les lettres, on peut s'imaginer Colette clouée dans son « lit-radeau », devant la fenêtre ouverte sur les jardins du Palais-Royal. Pour un instant, elle délaisse l'écriture d'un roman, choisit avec soin une carte aux motifs fleuris et trace ces premiers mots destinés à Lucien Brocard :
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Colette dans Prisons et paradis (1932) :
« J’ai été très bien élevée. Pour preuve première d’une affirmation aussi catégorique, je dirai que je n’avais pas plus de trois ans lorsque mon père me donna à boire un plein verre à liqueur d’un vin mordoré, envoyé de son Midi natal : le muscat de Frontignan.
Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves ! Ce sacre me rendit à jamais digne du vin. Un peu plus tard j’appris à vider mon gobelet de vin chaud, aromatisé de cannelle et de citron, en dînant de châtaignes bouillies. A l’âge où l’on lit à peine, j’épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d’éblouissants yquem. Le champagne passa à son tour, murmure d’écume, perles d’air bondissantes, à travers des banquets d’anniversaire et de première communion, il arrosa les truffes grises de la Puisaye… Bonnes études, d’où je me haussai à l’usage familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des verres étroits, absorbé à gorgées espacées, réfléchies. »
« La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur de la terre. Quelle fidélité dans la traduction ! Elle ressent, exprime par la grappe les secrets du sol. Le silex, par elle, nous fait connaître qu’il est vivant, fusible, nourricier. La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d’or. Un plant de vigne, transporté par-delà les monts et les mers, lutte pour garder sa personnalité et parfois triomphe des puissantes chimies minérales. Récolté près d’Alger, un vin blanc se souvient ponctuellement, depuis des années, du noble greffon bordelais qui le sucra juste assez, l’allégea et le rendit gai. Et c’est Xérès lointaine qui colore, échauffe le vin liquoreux et sec qui mûrit à Château-Chalon, au faîte d’un étroit plateau rocheux.
De la grappe brandie par le cep tourmenté, lourde d’agate transparente et trouble, ou bleue et poudrée d’argent, l’œil remonte jusqu’au bois dénudé, serpent ligneux coincé entre deux rocs : de quoi donc s’alimente, par exemple, ce plant méridional qui ignore la pluie, qu’un chanvre de racines retient seul suspendu ? La rosée des nuits, le soleil des jours y suffisent – le feu d’un astre, la sueur essentielle d’un autre astre – merveilles…
Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident qu’une année de vin sera grande entre les années ? La sollicitude humaine n’y peut presque rien, là tout est sorcellerie céleste, passage de planète, taches solaires.
Rien qu’en nommant par leurs noms nos provinces et leurs villes, nous chantons la louange des vignobles révérés. Il est profitable à l’esprit et au corps – croyez-m’en – de goûter le vin chez lui, dans un paysage qu’il enrichit. Quelle surprise ne vous réserve pas un pèlerinage bien compris ? Vin jeunet, tâté dans le jour bleu du chai, – « fillette » angevine, décoiffée sous une tonnelle poudrée à blanc par un après-midi d’été bien orageux, – reliquats émouvants découverts dans un vieux cellier, en Franche-Comté, je m’enfuis comme si j’avais volé un musée… Une autre fois, le mobilier boiteux, vendu aux enchères sur une placette de village, comportait, entre la commode, le lit de fer et les bouteilles vides, six bouteilles pleines : c’est là que je fis, adolescente, la rencontre d’un prince enflammé, impérieux, traître comme tous les grands séducteurs : le Jurançon. Ces six flacons me donnèrent la curiosité de leur pays d’origine plus que n’eût fait un professeur. J’accorde qu’à ce prix les leçons de géographie ne sont pas à la portée de tout le monde. Et ce vin glorieux, un jour, dans une auberge, si noire que nous n’avons jamais su la couleur du vin qu’elle nous versait… Ainsi une voyageuse garde le souvenir d’une surprise nocturne, de l’inconnu sans visage qui ne se fit connaître que par son baiser…
Le snobisme gastronomique suscite une levée d’hostelleries et d’auberges telles qu’on n’en vit jamais. Il révère le vin. D’une fois mal éclairée, confessée par des bouches, hélas, que blindèrent cocktails, apéritifs vénéneux, foudroyants alcools, la sapience renaîtra-t-elle ? Souhaitons-le. L’âge venant, j’offre, pour ma petite part, l’exemple d’un estomac sans remords ni dommages, d’un foie tout aimable, d’un sensible palais conservé par le vin probe. Emplis donc, vin, ce verre que je tends. Verre fin et simple, bulle légère où jouent les feux sanguins d’un grand ancêtre de Bourgogne, la topaze d’Yquem, le rubis balais, un peu mauve parfois, du bordeaux au parfum de violette…
Vient un temps de la vie où l’on prise le tendron. Sur un rivage méridional on me garde un chapelet de rondes dames-jeannes clissées. Une vendange les gorge, la vendange suivante les trouve vides, et les remplit à son tour. Ne dédaignez pas, détenteurs de fines bouteilles, ces vins à courtes échéances : c’est clair, sec, varié, cela coule aisé du gosier aux reins et ne s’y arrête guère. Encore qu’il soit de tempérament chaud, nous ne regardons pas, là-bas, si la journée est torride, à une grande pinte de ce vin-là, qui délasse et laisse derrière lui un double goût de muscat et de bois de cèdre… »