Si j'ai choisi de placer Dominique Derain en Une c'est pour une raison que vous découvrirez à la fin de cette tortueuse chronique.
Écrire une chronique, chaque jour que Dieu fait, n’est pas pour moi une ascèse, une marotte, et encore moins une addiction, mais une impérieuse nécessité : celle de rester vivant.
« Une chronique il faudrait la faire pousser comme une herbe dans les fentes d’un mur, dans les pierres de l’emploi du temps » écrivait Alexandre Vialatte l’inventeur de la chronique en tant que genre littéraire.
Depuis que je suis en vacances éternelles j’ai du temps, beaucoup de temps, mais je continue comme avant, lorsque je travaillais officiellement, de prendre ce temps d’écriture qui, croyez-moi, ne me prends pas beaucoup de temps.
Ce qui me prend du temps c’est le temps de l’avant, ce temps de gestation, parfois fulgurant, l’idée me tombe dessus et en trois temps trois mouvements c’est écrit ; et puis, surtout avec les livres que je lis, et j’en lis beaucoup, parfois ça me prend beaucoup de temps avant de me décider à me mettre au clavier, il me faut laisser décanter ma lecture, trouver un angle, un point de vue, ni trop haut, ni trop près. Ne riez pas, je souffre, je m’en veux d’attendre mais je suis incapable de placer le premier de la première phrase.
Alors j’attends, je rousine, je tourne autour du pot, me traite de grosse fainiasse, me dit que je devrais faire comme le tout rond bas de plafond qui nous balance des photos léchées, ça fait oublier au chaland la maigreur du texte, j’écoute de la musique sur FIP, me fait des spaghetti, me roule un joint mais d’inspiration point !
Que FAIRE ? comme écrivait Lénine.
Tout bêtement écrire d’autres chroniques…
Et puis, un matin, un midi ou un soir je monte tout en haut du grand plongeoir, pose mes doigts de pied sur le bout de la planche, me met en position et sans réfléchir je me jette à l’eau.
C’est cette séquence que je viens de vous décrire ci-dessus fut celle que je viens de vivre sitôt l’arrivée du livre de Guillaume Laroche et de ses deux compères : ENTRE LES VIGNES.
En le feuilletant j’ai de suite senti que j’allais souffrir, c’était plein d’amis, des gens qui n’ont pas leur langue dans leur poche, des originaux, le genre à mettre du poil à gratter sous la chemise avec nœud de cravate, olé, olé, de LF Latour ou celle ouverte de Claude Chevalier, beaucoup de grain à moudre sous ma petite meule artisanale.
Choisir est une douleur, et je n’ai nulle envie de souffrir.
La facilité eut été de me contenter de reproduire, comme beaucoup de mes confrères, les citations en gros et en gras :
« Les Grands crus de Chablis sont des terroirs gâchés. A de Béru
« Il y a quand même beaucoup d’autres choses dans mon vin que du soufre total. » la même.
« Chez certains on veut faire du bio, mais s’il y a le moindre accident on appelle le médecin pour remettre la cuvée d’aplomb. » Pierre Boillot
« On peut être inquiet dans l’avenir car beaucoup de viticulteurs veulent assurer maintenant. » le même.
« Ça me gonfle ce système de notes. » Cécile Tremblay.
« Je me demande sérieusement dans quelle mesure il faut encore accepter d’être dans les guides. » la même
« Le vin parfait ça n’existe pas » Jean-Yves Bizot.
« Ce qui justifie le prix d’un vin, c’est le risque que l’on met dedans. » le même.
« Pour faire du vin rouge, il faut une cuve, c’est tout. Tout le reste est inutile. » JY B toujours.
« Henri Jayer nous avait dit : « Vos vins ne sont pas des bêtes à concours. » Marie-Christine et Marie-André Mugneret
« La transmission de nos terres aux générations futures, c’est vraiment le plus gros problème. » les 2 Marie.
« La biodynamie, c’est de la masturbation intellectuelle. » Once de Beller.
« Mon projet, ce n’est pas d’être bio dans vingt ans, c’est de ne plus traiter. » Claire Naudin.
« Pendant combien de temps la population va accepter que l’on pollue pour un truc qui n’est pas indispensable ? » toujours Claire.
« J’ai promis à tous mes potes qui sont dans des démarches de vins un peu alternatives que je porterais la défense de cette diversité. » ça c’est vraiment Claire.
« Bientôt il n’y aura plus de place pour les vins produits en chimie. » François de Nicolay.
« T’es surpris quand tu vois tout ce qu’ils balancent dans la cuve. » Thierry Glantenay
« Nous sommes prévenus, personne ne nous force à mettre des produits chimiques, il faut assumer après. » tout à fait Thierry !
« Les vins vinifiés par des œnologues perdent leur âme. » Renaud Boyer.
« Beaucoup de domaines en biodynamie produisent des vins standardisés. » très juste Renaud !
« Je ne veux pas que le vin naturel soit réservé à une caste. » même combat Renaud.
« Je ne revendique pas grand-chose. Je fais les vins que j’aime. » Antoine Jobard.
« Mon but premier c’est d’avoir du plaisir, je ne veux pas faire de la daube. » Dominique Derain.
« Avec tous ces contrôles, on va finir par avoir de la bio de merde qu’on va retrouver dans les supermarchés. » Feu sur le quartier général Dodo !
« J’ai fait du vin comme tout le monde pendant 10 ans. Je me suis emmerdé. » ça c’est du Derain !
« L’agriculture moderne c’est le symbole de l’hypermasculinité qui viole la terre. » Julien Guillot.
« Je n’ai pas besoin de l’INAO pour savoir comment faire mon vin. » oui, oui, Julien.
« Nous ne sommes destinés à rien, sauf à suivre nos choix. » c’est le dernier de la cordée…
Vous allez me dire, dites-le : j’assume ! … que je suis un plaisantin… Oui je le suis, j’ai l’âge de me moquer de moi-même donc de certains qui se la joue grave.
J’ai pompé mais j’ai mis des guillemets.
Mais alors pourquoi ai-je tant attendu pour finir par tomber dans la facilité la plus crasse ?
Pour vous dire maintenant que je suis un amoureux de la conversation débridée, libre, sans tabous, mais que l’art de la conversation est un genre en voie de disparition : la communication, les éléments de langage, la complaisance des journalistes, l’ont tuée.
C’est le premier mérite de l’entreprise de Guillaume Laroche que de permettre à des gens qui ont des choses à dire de le dire, sans filtre, avec leur sensibilité, leur histoire, leur vécu de la vigne de la vie. Quelle bouffée d’oxygène même si ces femmes et ces hommes ne sont pas des adeptes de Michel Rolland.
Le second mérite de ce livre, qui en collectionne beaucoup, en dépit de son forme album pas très commode pour un maniaque comme moi de la lecture en tout lieu, c’est de sortir des sentiers des idées reçues, aux images d’Epinal, surexploités par tous la petite clique de ceux qui tournent autour du vin comme des guêpes au-dessus d’un pot de confiture, sur le vin et ici les vigneronnes et les vignerons de la Bourgogne. Foin du papier glacé, des classements à la con, de toujours les mêmes, de ceux qui peuvent cracher au bassinet pour que l’on cause d’eux dans des gazettes que plus grand monde lis.
Et c’est là le plus lourd handicap du livre de Guillaume Laroche : la richesse de son contenu ; pensez-donc ça demande du temps, c’est plus difficile que de contempler de belles images ou de se taper le énième portrait cire-pompes à finances de notre Hubert dig, ding dong ou du Grand Gégé qui attrape tout ce qui bouge.
Vous comprenez mieux maintenant pourquoi j’ai autant tardé à chroniquer sur ENTRE LES VIGNES il me fallait prendre le temps de lire avant de me décider.
À ce stade je n’ai qu’un seul conseil à vous donner, si ce n’est déjà fait, achetez ce livre-album pour en faire votre livre de chevet.
Pour ma part je n’ai qu’une seule envie, un grand désir : que Guillaume Laroche m’organise après que sa petite bande de vigneronnes et de vignerons aient laissé leur vin « bouillir » comme disait mon pépé Louis, grand naturiste de cépages hybrides, une bonne conversation, qui ne sera pas de salon, avec eux, ou avec ceux qui voudront. Il ne sera pas bien évidemment interdit de partager le pain et le sel et de boire bon.
J’ai écrit boire pas déguster…
Le livre est disponible sur le site ICI
Guillaume Laroche, Frédéric Henry et Harry Annoni entourés de Oronce de Beler, Athénaïs de Béru, Jean-Yves Bizot, Pierre Boillot, Renaud Boyer, Dominique Derain, Pierre Fenals, Emmanuel Giboulot, Thierry Glantenay, Julien Guillot, Antoine Jobard, Marie-Christine et Marie-Andrée Mugneret, Claire Naudin, François de Nicolay et Cécile Tremblay. Photo l'Actu du vin