Le Jacques Dupont, bas-bourguignon, « qui à 10 ans a fui l’école catholique et refusé de faire sa communion », a fait sienne le célèbre texte de Blaise Pascal « Le Moi est haïssable » (1) en titrant Le Vin et moi, laissant à celui-ci la première place en une forme de révérence sans génuflexion, d’amitié entre La Boétie et Montaigne « Si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Si ç’avait été moi j’aurais titré : Les vins émois… car, hormis, le double jeu des mots, l’érection d’Évin le honnis, cher Jacques, et tes émotions, le pluriel pour le vin s’impose car, ce n’est qu’un constat, non un reproche, tu goûtes à l’aveugle des vins d’une région bien identifiée et non du vin.
Dans ma vie professionnelle, au temps de la SVF, sur le Port de Gennevilliers, chaque matin à 11 heures j’allais goûter du vin. Des échantillons de ce qui se dénommait alors le Vin de Table, des vins sans origine même s’ils en avaient une, des vins que jamais les critiques ne dégustaient, c’était normal ils n’avaient pas grand intérêt même s’ils constituaient l’essentiel de la consommation de l’époque.
Aujourd’hui, la règle des 80/20 en tirant large sur le 20 est toujours en vigueur. Les vins dégustés par la critique, sans les fourrer tous dans le haut du panier, ne se retrouvent guère installés dans les rayons de la GD, hormis lors de ses foires aux Vins, qui trustent le commerce de la grande masse des vins.
Tu t’adresses aux amateurs, à la manière des critiques littéraires qui ne vont pas se fendre d’un papier sur le dernier bouquin sorti chez Harlequin. Pour autant tu ne goûtes pas que des vins « prout-prout ma chère » très chers, ta palette est large et, sans te cirer les pompes, tu es vraiment une exception dans ce métier.
Ce livre, ton livre, je l’ai lu avec des lunettes, c’est l’âge, mais sans œillères, car je n’ai jamais en matière de vins, au pluriel bien sûr, éprouvé le besoin de me faire guider. Ça peut vous paraître prétentieux, chers lecteurs, mais c’est ainsi, mon goût pour le vin n’est qu’une question de circonstances. En effet, avant le numéro Spécial Vins du Point où tu avais pris le temps, cher Jacques, de lire mon fichu Rapport, j’ignorais jusqu’à l’existence de la RVF, je n’avais jamais consulté un guide et bien sûr pour moi le nom de Michel Bettane n’évoquait rien.
Depuis ce jour, qui ne peut être assimilé à la chute de cheval de St Paul sur le chemin de Damas, je suis entré sur la pointe des pieds dans un univers dont j’ignorais les codes. Et puis, ma placardisation vint et j’ouvrais mon espace de liberté, ce blog où aujourd’hui je m’exprime.
Comme le disait je ne sais plus qui : « je suis venu, j’ai vu et j’ai compris… » ce qu’était l’étroit marigot de ceux qui se disent « journalistes » de vin. Ton chapitre sur le voyage de presse – je n’en ai fait qu’un qui ne concernait pas le vin mais la viande et le fromage du côté de Laguiole – met l’exercice dans sa juste perspective : faire cracher un beau papier par les transportés qui flatte l’ego de celui qui les a invités et, « surtout il draine vers le journal qui le publie une manne non négligeable… » En l’occurrence le Bigarreau Madame.
Plus que toi, cher Jacques, j’ai pratiqué aux premières années de mon blog, un autre exercice, le déjeuner de presse, moins coûteux pour la puissance invitante mais tout aussi édifiant sur les mœurs de pique-assiette. En effet, j’ai noté une forte corrélation entre le standing du restaurant et le statut des dégustateurs. La piétaille pour les bistrots et la crème pour les étoilés. Maintenant que j’ai cessé ce genre de sport dépourvu d’intérêt je suis avec délice sur Face de Bouc les agapes des maîtres de la dégustation.
Sur le chapitre des Mots du vin je n’écrirai rien car ce n’est pas ma tasse de thé même si un jour je me suis amusé à te taquiner sur la tension du vin. C’était en 2009. Je le recommande aux grands amateurs et je savoure à sa juste valeur la mise au point sur la « confusion permanente entre les suffixes « -phile » et « -logue », tout comme le dézingage du « passionné » : «dès qu’un gus, ayant fait fortune grâce à quelques supérettes de banlieue où durant sa vie professionnelle il a fliqué des caissières sous-payées, s’offre sur le tard une résidence secondaire entourée de vignes, le voilà décoré de l’ordre de la passion. »
Là, je retrouve le Jacques de « Lorraine cœur d’acier » !
Mais les deux chapitres le plus passionnants sont ceux consacrés à L’ivresse et à Naturellement (ou pas).
Le premier est un petit bijou de belle érudition qui a lui seul est le meilleur argument pour vous faire acheter l’opus. Assembler l’humour destructeur du Prévert de la Crosse en l’air (1936, la guerre d’Espagne) où l’évêque Barnabé bourré ose répondre au pape Pi qui le met à l’index : « Sais-tu où on le met l’index dans la rue de l’Échaudé. », le Carpe Diem d’Horace, l’humour décalé d’un Pierre Desproges « Jésus changeait l’eau en vin et tu t’étonnes que douze mecs le suivaient partout ! » c’est la patte de Jacques Dupont.
« Chassez le naturel et il revient au galop ! » et bien non, le Jacques n’instruit pas à charge le procès des naturistes mais il nous fournit un plaidoyer équilibré, sur le soufre en particulier, qui vaut la peine d’être lu.
« Le mot lui-même, l’adjectif « naturel », je peux m’en accommoder même si je suis profondément attaché à l’idée que le vin est un signe de civilisation, parce que comme l’élaboration du pain, il signifie la maîtrise par l’homme d’un des phénomènes les plus complexes : la fermentation… »
« … le vin n’est rien d’autre que le pur produit de l’intelligence humaine dans la domestication de la nature et certainement pas un cadeau de celle-ci, encore moins le produit de je ne sais quelle génération spontanée. »
« On me rétorquera que l’homme n’est pas obligé non plus, pour montrer combien il est incontournable dans ce processus d’ajouter toutes sortes de cochonneries pour rendre plus brillant le plumage et plus bavard le ramage. »
« Et là, je rejoins Rousseau qui répond à Voltaire : « Recherchons la première source des désordres de la société, nous trouverons que tous les maux des hommes leur viennent de l’erreur bien plus que de l’ignorance, et que ce que nous savons point nous nuit beaucoup plus que ce que nous croyons savoir. »
Le débat est ouvert me direz-vous ? Hé ! bien non chaque camp campe sur ses positions et jamais il n’y a de vrai débat sur un sujet qui dépasse largement une bataille de chiffonniers. Mon ancien job, où l’on se retrouve face aux problèmes du monde agricole, humains, économiques, sociaux, m’a toujours évité de verser dans le manichéisme clivant les bons et les méchants. Pour autant il est important de ne pas verser dans l’angélisme et ignorer le poids des lobbies et des intérêts économiques.
Et là j’en reviens aux vins au pluriel, la vraie césure elle est là, entre les 80 % produits pour la masse et le reste qui prétend être le nec plus ultra. À lui, à ceux qui font ces vins, d’être à la hauteur des enjeux qui se présentent à eux, à eux de faire des choix clairs. Quand on a les moyens de faire des choix on les fait, le vin est certes un produit de civilisation mais aussi un vecteur de juteux chiffres d’affaires. On se borde, on se protège, on en appelle aux faiseurs de vin…
Pour finir cette chronique je vous recommande l’histoire racontée au Jacques par un indigène tendance GCC de Bordeaux (appellation que je préfère à important acteur de la filière bordelaise, trop techno). « Elle ne se déroule pas au XIXe siècle mais au XXIe et je la garantis sur le fond authentique mises à part quelques modifications par moi apportées pour des raisons évidentes. »
La chute de l’histoire en dit plus long qu’un long discours. Ça me rappelle mes impressions lors de mes deux participations à la Fête de la Fleur.
« Un poète qui boit, ce n’est pas la même chose qu’un ivrogne qui écrit. »
Gérard Oberlé, Itinéraire spiritueux
(1) « Le moi est haïssable. Ainsi ceux qui ne l’ôtent pas, et qui se contentent seulement de le couvrir, sont toujours haïssables. Point du tout, direz-vous ; car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde, on n’a pas sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais, parce qu’il est injuste, et qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot le moi a deux qualités ; il est injuste en soi, en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres, en ce qu’il le veut asservir ; car chaque moi est l’ennemi, et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice ; et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice : vous ne le rendez aimable qu’aux injustes, qui n’y trouvent plus leur ennemi ; et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes. »