Lorsque mon service de presse m’a informé que Pierre Perret venait de publier « Ma vie en vin » au cherche midi je me suis souvenu d’une confidence de Michel Rocard à propos de son initiation au vin et je me suis dit que le facétieux Pierrot en ferait état dans ses souvenirs.
Bingo ! J’avais tout bon !
Ce fut lors du réveillon du millénium dans la maison de Pierre Perret à la sortie de Nangis, en Seine-et-Marne, devant laquelle je suis passé si souvent en allant rendre visite à la grand-mère d’Elisa à Villeneuve-les-Bordes.
Ce soir-là, raconte Pierre Perret, une épouvantable tempête déracinait un pin qui en tombant libérait une centaine de poulets de leur poulailler. Les trois chiens de la maison, croyant que c’était un nouveau jeu en ont occis une soixantaine en 20 mn.
Panne d’électricité généralisée, radiateurs glacés, invités grelottants qui réclamaient des pulls, chapons aux truffes en rade faute de four… le changement de millénaire se présentait fort mal. Mais le karma inversa la vapeur, le ying l’emportait sur le yang et le « réveillon du 31 décembre 1999, prolongé jusqu’à pas d’heure de l’année 2000, fut sans aucun doute, le plus original et le plus rare réveillon de ma vie » écrit Pierre Perret.
Les invités José Artur, Alain et Micheline Decaux, ainsi que « Michel Rocard si heureux et si en verve ce soir-là. »
« De ce réveillon mythique, TOUT, ce soir-là, s’avéra extraordinaire.
Alain Decaux avait eu auparavant une alerte de santé, et la perspective de se retrouver en compagnie de tant d’amis avait illuminé ses yeux si rieurs.
Il avait précisé « Tu demanderas à Pierre si je puis me permettre, pour une fois, d’amener mon vin ? »
Rébecca, interloquée, lui avait rétorqué en souriant :
- Tu sais bien que tu peux amener ce qu’il te plaît, Alain, mais tu n’as pas oublié tout de même que Pierre a une cave bien pourvue, de ce côté-là. Et que…
Alain Decaux lui rétorqua que ce vin-là il ne l’a pas. Avant d’ajouter « si je tiens à partager avec vous c’est qu’elles (ces bouteilles) sont uniques, tout comme l’amitié. Et que la vie est courte. »
Le Pierrot fait alors une petite erreur sur le maroquin d’Alain Decaux, en lui attribuant la Culture alors qu’il fut Ministre de la Francophonie de Michel Rocard. Donc, à cette période-là, « madame Bize-Leroy elle-même eut la gentillesse de m’offrir trois de ses plus prestigieuses bouteilles de Romanée-Conti 1900. Nous en dégusterons deux ensemble, j’ai réservé la troisième pour notre fils, Jean-Laurent, qui adore le vin. »
Grande flambée dans la cheminée, buissons entiers de bougies allumées aux quatre coins de la grande table de la salle à manger « donnaient un petit parfum de XVIIIe siècle ».
Prémices du dîner : « des petits pains grillés sur la braise, abondamment tapissées de foie gras » qui « disparaissaient littéralement sous une épaisse rondelle de truffe fraîche et odorante.
Magnum de champagne Cuvée Louise 1982.
« Puis ce furent deux bouteilles de château Pétrus 1982 qui « aggravèrent » les mines étonnées de ceux qui prirent le temps de s’attarder sur ces fragrances. Ses senteurs étonnantes de truffe et de sous-bois étaient en parfaite symbiose avec les saveurs vanillées que libérait le vin de Pomerol unique au monde. »
NDLR : c'est Pétrus tout court cher Pierre...
Pierre Perret s’interrogeait : « les 2 flacons de Romanée-Conti 1900 – si prestigieux soient-ils (mais cependant centenaires) – auraient bien du mal à s’aligner aux côtés de ces deux prix d’excellence que venaient de remporter nos étonnantes demoiselles Pétrus 1982 qui avaient fait sans peine l’unanimité. »
L’atmosphère avait baissée d’un ton.
Le bouchon était en très bon état et le Pierrot, en grand amateur, note que les bouchons des années mythiques de la DRC sont changés tous les 10 ans par le maître de chai.
Le silence total s’était fait autour de la table, tout le monde admira sa robe pourpre vif pendant que le Pierre carafait la première bouteille dans un beau flacon de cristal puis, « versant trois bons centimètres au fond de mon grand verre ballon, je le fis tournoyer sous mon nez, attentif à la moindre fragrance suspecte. Lui aussi (comme la poularde) exhalait un parfum vanillé et comme truffé à la fois. Tout le monde attendait la sentence. »
- Il n’est pas bouchonné, dis-je soulagé. « La finesse de ses arômes égale même son grand panache. » Puis, en dégustant une gorgée que je fis délicatement aller-venir entre mes joues avant de l’avaler, j’ajoutai :
« Il a encore du jarret, sans brutalité, et n’a besoin de personne pour vous câliner les muqueuses. Savourez-le bien, les amis, ce vin est tout bonnement unique, ajoutai-je en les servant à tour de rôle. Je n’ai jamais eu de telles saveurs entre les cloisons. »
- Oui, renchérit Alain après l’avoir dégusté, j’aimerais bien posséder sa jeunesse jusqu’à mes cent ans.
La seconde bouteille, s’avéra encore meilleure que la première, à l’appréciation de tous « Je l’avais carafé tout de suite après la première, elle avait eu le temps de s’oxygéner. Elle dégageait à présent un bouquet plus musqué de champignon et de sous-bois… »
Pierre Perret en conclusion que s’achève ici le cortège des amis disparus depuis cette mythique soirée de réveillon chez lui à Nangis.
J’ai gardé pour la bonne bouche ce qu’il écrit sur l’homme qui reposa aujourd’hui sur les hauts de Monticello.
« Tu étais, Michel, un intarissable bavard sur mille sujets qui ne laissaient jamais personne indifférent. Tu adorais que je t’emmène cueillir les cèpes au bois. Sans être un très grand connaisseur, tu aimais bien le vin… mais tu préférais le whisky ! Je ne répèterai pas ici les généreuses digressions que tu fis ou que tu écrivis, même à propos de certaines de mes chansons, mais elles me touchèrent infiniment. La finesse de tes analyses me fit découvrir l’extrême sensibilité qui t’habitait.
Oui, l’ami que tu étais nous manquera éternellement, mon cher Michel. »
Merci, cher Pierre Perret, de l’écrire…
Je n’ai pas encore pris le temps de découvrir le restant de ton livre mais je partage avec toi ceci :
« Je ne connais rien aux femmes : je les aime. Je ne connais rien au vin : je l’aime.
Je les ai découverts tous les jours un peu plus.
Tout au long de ma vie… »