Ma question peut, à première vue, ressembler à une provocation racoleuse destinée à attirer par son fumet le chaland de Face de Bouc qui n’aime rien tant que la castagne.
Détrompez-vous, elle est, sans être d’un sérieux à toute épreuve, digne d’être posé.
En effet, d’où viennent nos goûts et nos dégoûts pour des aliments, des boissons, mais aussi le choix de ses vêtements, de ses chaussures, de sa coiffure, de son auto… de ses amours… etc.
L’inné et l’acquis, vaste champ de réflexion qui, pour les émirs de la dégustation du vin se réduit trop souvent à leur capacité à formater notre goût sur la base d’un fatras verbeux sans grande prise sur nos individualités.
Cette approche présente l’énorme désavantage de ne s’adresser qu’à ceux qui veulent découvrir le vin, les autres, c’est-à-dire ceux pour qui le vin n’évoque rien ou pire ceux qui sans le connaître le rejettent.
Deux questions se posent alors :
- Qu’est-ce qui motive l’adhésion des premiers ?
- D’où vient le rejet des seconds ?
De l’information ci-dessous :
« C’est l’un des résultats clefs de l’étude IFOP sur la génération Y et le vin commanditée par Vin et Société et diffusée lors du Vinocamp à Paris, le 14 octobre dernier. « Les jeunes français de 18 à 30 ans reproduisent le modèle culturel transmis par leurs parents, qu’il s’agisse de l’image du vin, de la façon de le consommer, ou de le découvrir », indique l’institut de sondage. »
Pour découvrir le vin, ils sont ainsi 40 % à se tourner vers leur famille et 27 % vers leurs amis. Les réseaux sociaux, internet et les applications spécialisées arrivent loin derrière. Pour 58 % d’entre eux, la consommation de vin est par ailleurs associée au repas.
Il faut que tout change pour que rien ne change !
Découvrir que la famille, l’environnement proche, restent le marqueur premier de la découverte, de l’adhésion à la consommation de vin, m’a fait beaucoup rire.
Est-ce à dire que le goût ou le dégoût du vin ne proviennent que du seul modèle culturel il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas.
Et ce, pour une raison simple qui se niche dans ce qui suit :
Pour nos voisins les plus proches, comme aujourd’hui pour le monde entier, le camembert, est inscrit dans notre ADN national en compagnie de la baguette de pain, le sauciflard, le kil de rouge et le black béret…
Les deux derniers ont disparu dans le grand flot de modernité de la fin du XXe siècle. Reste le camembert et la baguette de pain qui peuvent faire bon ménage dans un sandwich, sauf que, contrairement au jambon-beurre, celui-ci pue.
Je concède que de nos jours beaucoup de camemberts ne puent plus vu que les gars de Lactalis les ont châtrés, en français pasteurisés.
Plaisanterie mise à part, des irréductibles Français frisent le nez face à un beau plateau de fromages, dégoûtés qu’ils sont. Ça met, bien sûr, en colère le tout rond bas de plafond de Barcelone qui ne supporte pas cette nouvelle injure faite à notre orgueil national.
Par bonheur en France on n’a pas de pétrole mais des scientifiques de renom qui se sont penchés sur les raisons qui pouvaient expliquer ce rejet.
Les chercheurs du Centre de recherche en neurosciences de Lyon et du laboratoire en neurosciences de Paris-Seine Jean-Pierre Royet 1*, David Meunier 1, Nicolas Torquet 2, Anne-Marie Mouly 1 and Tao Jiang 1
(1) Olfaction: From Coding to Memory Team, Lyon Neuroscience Research Center, CNRS UMR 5292 – INSERM U1028 – Université de Lyon 1, Lyon, France
(2) Sorbonne Universités, Université Pierre et Marie Curie, Institut de Biologie Paris Seine, UM 119, CNRS, UMR 8246, Neuroscience Paris Seine, Paris, France
Donc que du beau monde de l’INSERM et du CNRS que le monde nous envie !
1er constat : cette aversion est la plus fréquente au sein de la population avec 6 % de réfractaires, contre 2,7 % pour le poisson et 2,4 % pour la charcuterie. (panel de 332 Français)
2e constat : les chercheurs ont exclu l'hypothèse d'une allergie au lactose d'origine génétique comme cause principale, et pour cause elle ne représente que 18% des cas d'aversion pour le fromage.
3e constat : 47% des personnes interrogés ne mangent pas de fromage car un membre de leur famille n'aime pas cela.
Vous vous doutez bien que ce % élevé a mis la puce à l’oreille de nos limiers en blouse blanche qui ont sélectionnés 15 personnes aimant le fromage et 15 autres nourrissant une aversion pour cet aliment qui ont été soumises à une étude d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF). Elles ont été confrontées simultanément « à l'image et à l'odeur de six fromages différents, et de six autres types d'aliments témoins ».
« Les chercheurs ont alors observé que le Pallidum ventral, une petite structure (du cerveau) habituellement activée chez les personnes qui ont faim, était totalement inactive lors de la présentation d'une odeur et d'une image de fromage chez les personnes aversives au fromage alors qu'elle était activée par tous les autres type d'aliments » expliquent les scientifiques. Fait plus étonnant, « les chercheurs ont constaté que des aires cérébrales, le Globus pallidus et la Substantia nigra, qui participent au circuit de la récompense (activées quand on adore quelque chose), étaient plus impliquées chez les personnes qui détestent le fromage que chez celles qui l’apprécient".
Les auteurs de l'étude suggèrent donc que ces deux régions comprennent en fait deux types de neurones avec des activités complémentaires: l'une liée au caractère récompensant d'un aliment, l'autre à son caractère aversif
Comme de bien entendu les résultats de cette étude ont été publiés en anglais dans une revue anglaise Frontiers in Human Neuroscience, ICI
The Neural Bases of Disgust for Cheese: An fMRI Study
Le communiquer de presse du CNRS Paris, 17 octobre 2016
Quand on en fait tout un fromage
Alors, dans le débat de cornecul entre les grands maîtres de la dégustation détenant toutes les clés de cet exercice sur la base des codes des vins bien sous tous les rapports et les joyeux licheurs de vins à poils qui puent, la démarche utilisée pour les fromages qui puent permettrait, je le pense, non pas de mettre tout le monde d’accord, ça c’est mission impossible, mais de dégonfler les baudruches trop gonflées des maîtres à penser du vin qui nous gonflent avec leur baratin.
Le goût des vins nus n’est pas venu de la cellule familiale mais d’un environnement amical qui a attiré dans des lieux conviviaux toute une belle jeunesse qui boudait le vin au profit de la bière, d’alcools forts, de boissons sucrées gazéifiées.
Ça c’est une vraie info que les beaux esprits du Vinocamp consacré à la génération Y ont ignoré empêtrés qu’ils sont dans leurs vieux modèles, même s’ils ont invité Solenne Jouan grande prêtresse des vins nus.
Les grandes institutions vineuses, qui financent ce joyeux rassemblement d’accros du clavier qui se rêvent tous en créateurs de start-up, devraient se préoccuper de ce pan nouveau de la consommation qui recèle bien plus d’espoir d’extension du domaine du vin que le vieux modèle poussif lié à la génération des baby-boomers qui, j’en sais quelque chose, roule pénardement sur sa dernière ligne droite.
Cracher sur les vins nus, les destiner à l’évier, c’est se voiler la face, comme pour les pesticides, et par le fait même rater une occasion de réaffirmer notre originalité dans le monde du vin mondialisé, de cultiver notre différence.
En rester à notre masse de vins formatés destinés à être fourgués à la GD nous prépare aux pires désillusions, le soi-disant Bordeaux-bashing en est la tête de pont. Le goût de ce vin est un répulsif violent pour les jeunes néo-consommateurs.
Pour preuve de ce que j’affirme : le coming-out emberlificoté des duettistes Butane & Degaz via leur déclaration d’amour enflammé aux vins bios et biodynamiques.
Les vins nus ne pèsent rien en volume mais ils pèsent lourd dans la formation du goût d’une génération. Traiter ce mouvement par le mépris, l’ignorance hautaine, relève de la cécité bien connue des chefs de bande du vin.
L'actualité des scientifiques me rattrape : les chercheurs me surprendront toujours :