Maman était couturière, je suis donc né dans le fil à faufiler et j’ai grandi au milieu des coupons, des patrons en papier et au son de la Singer à pédale. J’ai gardé grâce à elle le goût des belles étoffes.
Maman était aussi un vrai cordon bleu, grâce à elle j’ai appris la cuisine avec les yeux.
Dans mon petit roman du dimanche j’ai même écrit.
« Maman, qui avait fait la cuisine, orchestrait l'ensemble avec autorité et doigté. À l'apéritif, Banyuls pour tout le monde, on disait vin cuit en cette Vendée ignare. Le menu : vol au vent financier, colin au beurre blanc, salade, de la chicorée - mon père avait droit à une préparation personnelle avec croutons aïllés - fromages : du Brie de Maux et du Gruyère, et en dessert : un savarin crème Chantilly, évitait à mon cordon bleu de mère de passer trop de temps devant ses fourneaux. Le seul moment grave, bien sûr, avait consisté à monter le beurre blanc. En l'absence de maman, son époux facétieux informa Marie que sa Madeleine de femme avait des doigts de fée. Du côté des vins, du Muscadet sur lie, un Gevrey-Chambertin et du Monbazillac. Je haïssais le Monbazillac qui m'empâtait la langue. Tout atteignait l'excellence, même le café que maman passait dans une cafetière à boule de verre qu'elle ne sortait que pour les grandes occasions. Papa nous empesta avec ses affreux petits cigares de la Régie. Les yeux de Marie brillaient. Nous étions heureux. »
Si j’évoque maman c’est que le 18 octobre 2006 j’écrivis la plus courte chronique de mon jeune blog : « Maman est morte hier matin. J'ai du chagrin. À demain... »
Le 21 octobre je lui rendais hommage, en n’oubliant pas mon père qui nous quitta si tôt.
« En ce petit samedi humide et gris, de retour de mon pays, même si sa discrétion naturelle en eut souffert de son vivant, je vais vous parler de maman. Née le jour de la Ste Catherine, à Ste Flaive des Loups, on la prénomma Berthe. Elle ne l'aimait guère ce prénom mais accolé à mamy ses petits-enfants et arrières petits enfants ont réussi à le lui faire trouver joli. C'était une fille Gravouil, l'aînée de six enfants, qui aurait bien aimée, elle qui avait "l'orthographe naturelle", être institutrice. Elle fera son apprentissage de couturière. Et puis, elle rencontrera un beau gars de St Georges de Pointindoux, Arsène Berthomeau. A dix-huit ans un mariage d'amour : ils étaient beaux et avaient fière allure sur leur photo de mariés. » La suite ICI
Alors cher Julien, je suis sûr que tu comprendras que j’associe aujourd’hui ceux qui ont fait l’homme que je suis à ta cuisine que j’apprécie et qu’ils auraient sans aucun doute adoré, même si chez moi nous étions avare de compliments.
Maman tout d’abord aurait beaucoup aimé le cadre, elle aurait félicité Carole pour son goût pendant que mon rêveur de père se serait arrêté au niveau de la cave bourguignonne et pris langue avec Denis.
Le Bourg-Pailler, si je puis dire, est situé entre terre et mer, le jardin potager et fruitier mais aussi les ports des Sables d’Olonne et de Saint-Gilles- Croix-de-Vie nous offraient que des produits frais. Alors, cher Julien, ils se seraient extasiés devant le beau balancement de ta carte entre terre et mer. Pour la commande, auprès d'un Carlos dans ses petits souliers, maman aurait penchée pour :
LANGOUSTINES EN DECLINAISON,
En tartare à la coriandre, rafraichi d’un consommé de têtes aux feuilles de kéfir. En salpicon grillé minute, sauce aux fruits de la passion et miel de la vallée du Lot. En raviole au galanga, bouillon émulsionné au foie gras et Sherry.
BAR SAUVAGE DES COTES BRETONNES,
En croute de pain de mie ; fricassée de girolles au Viré – Clessé Vendange Levroutée, noix fraîche, Comté et arroche rouge.
Du côté du père, un peu d’hésitation entre :
TOURTEAU DE CASIER,
Relevé de fins aromates et de truite fumée de Banka ; guacamole avocats/pamplemousse/fruits de la passion.
Et
VEAU ROSE BASQUE ET TRUFFES DE LA SAINT-JEAN,
En tartare assaisonné d’une sauce à la truffe d’été et navets daikon ; Crème glacée burrata du parc naturel de Cilento et Croc truffe.
Il aurait choisi le tourteau mais tu lui aurais fait goûter le veau.
Pour le plat aucune hésitation, même si le cochon… :
JEUNE GROUSE D'ECOSSE,
Suprêmes rôtis aux raisins Chasselas, ventrèche de porc noir de Bigorre et jus tourbé. Fricassée de champignons sauvages, blettes, endives et fine purée de céleri rave.
Là encore, papa ayant bon appétit, tu lui aurais servi une légère portion, en dépit des protestations de maman, de cochon Iberico.
Pour le dessert :
BABA AUX AGRUMES, pour maman,
Biscuit Baba imbibé au jus d’orange épicé, chantilly au chocolat blanc, méli mélo d’agrumes frais et confits, sorbet pomelos/anis/orgeat.
SOUFFLE MARRON ET WHISKY, pour papa,
Biscuit soufflé chaud au marron parfumé au single malt de Michel Couvreur. Crème glacée butternut/noix de coco.
Papa aurait gentiment taquiné maman sur ton soufflé, je te dirai dans l’oreille pourquoi.
Du côté vin Franck-Emmanuel aurait, avec sa maestria habituelle, emberlificoté papa et il lui aurait même servi pour finir, en dépit des protestations de maman, un Marc de Bourgogne de derrière les fagots.
À la fin du repas, tu serais passé à notre table, maman t’aurait dit, en mots choisis, tout le bien qu’elle pensait de ta cuisine, et même, fait exceptionnel chez elle, que c’était le meilleur repas de sa vie. Du côté du père, il t’aurait branché politique, car tu aimes bien discuter politique Julien, c’était sa manière à lui d’exprimer son contentement.
Voilà Julien, ça faisait un bail que je voulais te consacrer une chronique mais je suis un peu comme mon cher père je ne suis pas très friand d’étaler mes compliments.
Pour une simple raison Julien, qui suis-je ?
Un simple pékin qui a appris à faire la cuisine avec les yeux, qui sait manier la queue d’une poêle, faire du riz au lait et des pappardelle au ragù. Alors, il me fallait trouver un angle pour te dire que tu es de la graine d’avenir, un chef qui aime les produits qu’il choisit et cuisine, un garçon de talent qui doute, c’est bon de douter ça fait avancer, mais qui fait une cuisine précise, inventive, charnelle, sensuelle. Une cuisine que j’aime à faire partager.
Sensuel, le mot est lâché. La sensualité est l’antichambre du plaisir. De ma jeunesse j’ai gardé le goût des belles étoffes, les anglaises, le coton d’Egypte, des textures fines et structurées, des fragrances affirmées. Je n’aime ni l’eau tiède, ni le patchouli, mais les saveurs respectées, magnifiées. Il faut savoir me pousser dans les retranchements de mon petit jardin d’intérieur bien barricadé pour que j’atteigne une belle satiété. C’est pour ce tas de raisons que ta cuisine Julien me va comme un gant.
J’ai toujours respecté et admiré l’intelligence de la main Julien et puisque tu es Aveyronnais je te propose de lire la chronique que j’avais écrite lors de mon dernier voyage du côté de Laguiole : Les mains de René Pastissier pêcheur à la mouche vivante : elles ont l’habileté d’une brodeuse
« Les mains que je vous présente ce matin sont celles de René Pastissier pêcheur à la mouche vivante du côté de Laguiole en Aveyron. Elles m’ont fasciné car elles semblent lourdes, pataudes, malhabiles alors que leurs doigts tout abimés vont se saisir délicatement, à la sortie du piège à mouches, d’une mouche vivante pour l’embrocher entre les deux ailes sur l’hameçon (je sens que les défenseurs de bêtes vont soit défaillir, soit me haïr). Les mains de René Pastissier sont la démonstration vivante que ce que fait la main, son habileté, sa précision, sa concision, résulte du contrôle de la tête : notre René sa passion c’est la pêche à la mouche vivante alors toute son intelligence pratique est tendue vers l’excellence. »
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