C’est Giovanni Passerini qui met les pieds dans le plat et il n’y va pas avec le dos de la cuillère : « J'aime le côté "victuailles". Je n'en pouvais plus du morceau de viande avec son trait de sauce, une purée, un légume cuit, un autre cru. Ici, les clients font leur assiette. Cela permet de désacraliser les plats »
Ouille, ouille, Jacquouille ça va jaser, des dents vont grincer, des haines recuites pour se raviver, dans le petit marigot des faiseurs d’assiette pour bobos (c’est pour faire genre tout rond bas de plafond), des gâte-sauces post-moderne en mal de notoriété, suceurs de roue ou ouvriers de la 25e heure. Moi ce n’est pas pour me déplaire dans la mesure où ça remet le client au centre des préoccupations des chefs. Pour autant je ne renie pas le service à l’assiette lorsqu’il permet à chacun d’atteindre la satiété : nous n’avons pas tous le même appétit ou les mêmes besoins énergétiques.
Le partage c’est bien et, pour l’avoir expérimenté à deux, chez Giovanni avec sa Grouse et son homard bleu ça fonctionne bien. C’est un peu comme à la maison à la différence près que le choix initial repose sur le consentement mutuel. De plus, le partage est facile alors qu’à la maison lorsque l’on présente, par exemple, un poulet entier découpé, certains sont frustrés en voyant leur passer sous leur nez les pilons adorés, « c’est pour les enfants a déclaré la mamie » et les voilà obligés de se taper avec le sourire le blanc qu’ils exècrent.
En effet, avant le partage il y a un droit que certains chefs ont totalement occulté : celui de choisir ce que l’on souhaite manger.
Je n’ai jamais beaucoup apprécié les fameux menus dégustation où tu dois subir le génie du chef et ingurgiter que des mets de son choix. Ça gâche souvent le plaisir ces figures imposées. Ce que je conteste ce n’est pas le menu dégustation en soi mais lorsqu’il n’y aucune autre alternative : c’est à prendre ou laisser ou ne pas fréquenter ces crèmeries.
En toute chose deux tendances sont exécrables : le systématisme et le panurgisme. De l’audace, rien que de l’audace, toujours de l’audace et non le confort du « je me love dans la douillette tendance encensée par une critique gastronomique lécheuse de plats et cireuse de godasses. »
Mais l’audace ne signifie pas forcément une recherche effrénée de la nouveauté, très souvent elle consiste à revisiter la simplicité d’une table conviviale ou l’enjeu n’est pas que de goûter des mets aux saveurs raffinées, artistiquement présentés, mais de se restaurer, de prendre du plaisir en mangeant.
Permettez-moi de sourire lorsque le maître de l’Arpège, Alain Passard, ex-grand rôtisseur converti aux rutabagas « propose une recette " Frankenstein " pour quatre personnes. Mi-canard, mi-poulet, l'animal est présenté entier avant d'être servi. Le cuisinier a fait le choix de la communion gastronomique pour rendre justice aux saveurs : « Un poulet cuit entier a plus de parfum et de texture que portionné, escalopé. C'est tellement plus beau, plus convivial. J'ai envie de servir une cuisine qui fume ! »
Sans être un grand chef de haute-cuisine ça fait un bail que j’ai fait ce constat, ça date des poulets de mémé Marie, gavés de grains et finis au petit lait, simplement rôtis à la broche. Sans offenser le génie de ce grand chef je me permets de lui dire qu’il faut arrêter de prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages ! Un peu d’humilité ne saurait nuire à la notoriété.
Le sommet du « je fais tout pour me faire remarquer » est atteint par « Le futur Clover Grill - nouvelle adresse de cinquante couverts de Jean-François et Elodie Piège – qui dépoussiérera la très kitsch fondue bourguignonne. Elle y sera proposée dans sa version " vigneronne ", les convives étant invités à cuire leurs morceaux de viande rouge dans un même bouillon au vin. Pour rendre plus élégant le cérémonial de la cuisson, dont le protagoniste a longtemps été le caquelon en fonte orange, les Piège ont choisi un objet conçu par les designers Cristiano Benzoni et Sophie Thuillier pour la marque Mauviel, qui transpose l'idée du foyer sur la table. »
À mon sens il ne manque au cérémonial que le service soit assuré par des vignerons bourguignons en bourgeron aux faces rubicondes et aux mains calleuses et des luronnes bourguignonnes aux appâts généreux. Pour ponctuer la dégustation je propose aussi un ban bourguignon pour réchauffer plus encore l’ambiance.
Je plaisante à peine, mais comme le disait fort justement Pierre Dac « lorsque les bornes sont dépassées y’a plus de limites. »
Redescendez de votre petit nuage autour duquel flotte l’encens d’une critique stipendiée, revenez sur terre, retrouvez les fondamentaux d’une cuisine qui respecte ceux à qui elle est destinée. Nous ne sommes pas à table rien que pour nous extasier sur votre génie mais pour partager le plaisir d’être ensemble. Que votre talent soit célébré, par les convives que nous avons invité à ce partage, vous honore d’abord et nous honore aussi car alors nous avons le sentiment d’avoir fait le bon choix.
Et sans contestation possible pour que le client puisse vraiment choisir il faut ouvrir le champ des possibles : « Je veux une offre de restauration variée » souhaite Giovanni Passerini, je suis en plein accord avec lui.
Les citations sont extraites de M le Monde du 15 octobre 2016