Tu fais ta tête de lard !
« Répète-le voir un peu qu'je suis un voleur, eh ! tête-de-lard ! » 1911. Les Pieds Nickelés voyagent, dans La bande des Pieds Nickelés (1908-1912)
L’art pour lard, je vous jure que je ne ferai pas ma tête de cochon : c’est le sujet de fond de cette chronique.
Tout d’abord la première question : que fait-on avec une tête de cochon ?
- Du fromage de tête !
Historiquement, le fromage de tête était confectionné avec une tête entière de porc saumurée cuite toute une nuit, puis désossée, mais sans utiliser les oreilles, les yeux et toutes les parties cartilagineuses.
Allez, ne faites pas cette tête !
De nos jours cette charcuterie traditionnelle est constituée de petits morceaux de viande de porc, plus particulièrement issue de la tête (joues, groin, langue …), généralement cuite avec des morceaux de carottes, de cornichons, d’échalote ou d’oignon, et moulée en gelée, sans oublier persil, ail et épices fines au choix (poivre, thym, genièvre, clou de girofle…).
Dégustation !
Ha ! Les porcs ce sont vraiment des cochons…
« Des porcs grognent de joie dans un bain de fange, et sourient tout en reniflant dans leurs rêves. Ils rêvent d’un univers d’eaux grasses et de glandées, de fouilles dans des gisements de truffes, des trayons cornemuses de maman-truie, de renâclements et reniflements consentants de dames gores en rut. Vautrés dans un bain de boue et de soleil ami des porcs, leurs queues frisent, ils batifolent et bavent et ronflent dans un béat sopor d’après-purin. »
Au bois lacté, de Dylan Thomas traduction de Jacques B Brunins.
Mais là n’est pas vraiment la question, la seule qui vaille mais où est le cochon dans l’art ?
Ce sont deux peintres anglais : George Morland et James Ward, par ailleurs beaux-frères, qui ont mis leur talent au service de la glorification du cochon.
Morland était le nom de résistant de Mitterrand.
George Morland donc, né à Londres en 1763, fils et petit-fils d’artistes de renom, à une œuvre aussi féconde que sa vie était débauchée.
Grand buveur, il appréciait particulièrement la compagnie des jockeys et des boxeurs professionnels ; joueur invétéré, ayant même évité de peu la prison pour dettes en raison de ses pertes au jeu. Il dû aussi fréquenter, à son grand dam, nombre de prêteurs à gages. Malgré cette vie agitée et dissolue, il laissa plus de mille toiles et dessins à sa mort, survenue à l’âge de 39 ans.
Sa tombe porte l’épitaphe suivante, qu’il a lui-même composé :
« Here lies a druken dog »
Ici repose un chien ivre.
Il fut l’un des premiers peintres de scène de la vie rurale à avoir axé son œuvre sur les porcs.
Un critique – cette profession à souvent le mot juste, à côté de la plaque – « Morland est très proche de l’âme des choses vulgaires… notamment en ce qui concerne « la cochonnerie de ses porcs. »
Ça me rappelle un bouquin « Vivre et penser comme des porcs » de Gilles Châtelet
« Gilles Châtelet propose un diagnostic de la société contemporaine, en prenant position, en un sens quasi militaire, contre toute espèce de compromis avec «la force des choses». Vivre et penser comme des porcs ressemble à une photographie du monde d'aujourd'hui. On y rencontre des économistes, sociologues et autres intellectuels, qui fabriquent l'époque à coups de concepts: société tertiaire de services, ère postindustrielle, démocratie-marché, monde communicationnel, fluidité des échanges, autorégulation" On y reconnaît des profils types, cyniquement dénommés Turbo Bécassine et Cyber Gédéon: des gens heureux, libres dans leur tête, «anonymes et précaires comme des gouttes d'eau ou des bulles de savon»: Gilles Châtelet tourne en dérision les effets de manches de la bonne conscience humaniste qui met plus souvent la main sur le coeur qu'au porte-monnaie pour rendre hommage aux charniers en tout genre, couvre de sarcasmes les attitudes niaises du bon genre réaliste qui juge «informatif» le zapping, «communicationnel» le surf sur l'Internet. «L'ordre cyber-mercantile» a réussi à plonger ce monde dans la «fluidité», autrement dit la circulation des biens et des personnes avec une réduction maximale de tous frottements. «C'est l'image photonique du monde rêvé par le financier spéculateur d'un monde où tout bouge absolument sans que rien ne bouge.»