« Va-t-il y aller ? »
Notre hôte, dont bien sûr pour l’heure je tairais le nom afin de ne pas compromettre notre mission, se contenta d’écouter sans participer à nos échanges ce qui frustra quelque peu mes troupiers. Daburon, furibard, ruminait son coup d’éclat en sirotant son marc de Bourgogne. Il attendait son heure. Elle vint, lorsque je m’apprêtais à me lever pour faire mon petit speech de fin de repas, sous la forme de cette brutale interrogation. Notre interlocuteur ne cilla même pas se contentant d’afficher un petit sourire qui en disait plus long qu’un long discours. Daburon en resta coi. Mes troupiers, eux aussi, restèrent interloqués face au mutisme de notre invité qui semblait plus intéressé par les beaux yeux d’Émilie que par nos interrogations sur les intentions du locataire du château. Pour reprendre la main sur mon équipe il fallait que je frappe un grand coup, quitte à mettre mon invité en situation difficile. Après tout c’est lui qui avait souhaité se joindre à nous.
J’attaquai sec : « La Seule question qui vaille à gauche : grand ou petit désastre?
Où en est l’offre officielle de la gauche pour la prochaine présidentielle ?
Je laisse de côté les seconds couteaux de la Primaire de la gauche, la ridicule Belle Alliance Populaire de Cambadélis le porteur d’eau gominé, Montebourg et Hamon, les autres sont là pour faire de la figuration, pour constater que François Hollande veut être candidat coûte que coûte. Il en a encore les moyens, même s’il n’est plus loin du seuil de rupture. Ses amis les soutiennent comme la corde le pendu. Son intérêt personnel serait de se retirer. Il ne le fera pas sans passer par la case primaire, ce n’est que mon opinion.
Emmanuel Macron, est tout sauf con, il veut être candidat pour gagner mais il en a de moins en moins les moyens. Son intérêt personnel serait de négocier son retrait en bon ordre avec contrepartie à la clé. Mais il ne peut le faire sans décevoir ceux qui le portent, sans hérisser ceux qui le combattent et sans faire rire ceux qui l’observent. La logique veut donc qu’il aille jusqu’au bout même si cela doit le conduire droit dans un mur.
Jean-Luc Mélenchon veut être candidat. Il a la stratégie de son ambition. Il joue une partie qui n’est pas celle du scrutin où il compte de présenter. C’est là précisément sa force. Mais comme les écolos qui eux comptent pour du beurre, il peut être empêché.
Cette incertitude est, a priori, la seule qui demeure. Après le naufrage de Duflot, les Verts comptent encore plus pour du beurre car Jadot ou Rivasi ne sont là que pour le témoignage pas pour une réelle entrée en compétition.
Qu’est-ce que ça change?
Si la question est de savoir quelles chances a encore la gauche d’échapper au désastre, au fond, pas grand-chose. Et c’est bien là le problème. Grand désastre ou petit désastre, quelle importance d’ailleurs? Comme on dit aux échecs, au mieux, la gauche est pat.
Comme l’écrit ce vieux renard de Bazin :
« Toute autre candidature que celle de François Hollande provoquerait l’éclatement d’un parti dont le dernier trésor est un semblant d’unité, au bord du gouffre. Le Président est tellement faible, tellement promis à l’humiliation d’une défaire cuisante qu’il en est presque devenu pratique. C’est un non choix qui au fond arrange tous ceux qui craignent la clarification. En bonne logique, François Hollande devrait d’ailleurs être le seul à craindre de se représenter. Les autres, ceux qui bon gré mal gré finiront par le pousser en avant, peuvent déjà se préparer à expliquer, au lendemain du désastre, qu’il en a été le seul et unique responsable à force de trahisons et d’obstinations coupables.
Le choix de Manuel Valls ou d’Arnaud Montebourg, outre qu’il n’est pas guère plus performant, provoquerait en effet dans les rangs socialistes une dispersion qui ne ferait qu’ajouter la confusion à la crise et compliquerait d’autant plus, au lendemain de la présidentielle, les procès qui se profilent à l’horizon. Vu du PS et des intérêts bien compris de son réseau d’élus, un non choix restera toujours préférable à un non-sens.
Pour s’en convaincre, il suffit d’observer Martine Aubry, incarnation parfaite du socialisme de la résignation. Tant que la maire de Lille continuera à se taire et donc à soutenir de facto la candidature de François Hollande, ce dernier pourra poursuivre son chemin de croix jusqu’au bout. Aux dernières nouvelles, rien n’indique qu’elle ait l’intention de changer de stratégie et de se mettre ainsi en situation soit d’y aller elle-même, soit de devoir choisir entre trois supplétifs – Manuel Valls, Arnaud Montebourg ou Emmanuel Macron – qu’elle déteste avec une égale férocité pour des raisons qui, pour une fois, sont aussi de fond. »
La gauche cumule donc tous les handicaps. Que pèse-t-elle aujourd’hui ? Compactée environ 35% du corps électoral. Elle a vue pire me direz-vous, mais ce niveau reste celui de ses anciennes défaites. Mais le fait nouveau, par rapport au passé, c’est qu’elle est fragmentée par des courants rivaux qui ne se parlent plus et vivent dans l’espoir de se liquider les uns les autres tant ils sont devenus «irréconciliables». Enfin – et c’est sans doute le principal handicap – aucun de ses courants ne bénéficie aujourd’hui d’une dynamique suffisante pour imposer une forme de domination dans son camp.
Dans les sondages, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron font à peu près jeu égal. Tous les trois naviguent entre 10 et 15% au premier tour. C’est cette égalité dans la médiocrité qui les rend durablement impuissants. Au cours de la Cinquième République, la gauche a été éliminée à deux reprises du tour décisif de la présidentielle. Faut-il toutefois rappeler qu’en 1969, le communiste Jacques Duclos (21%) distançait largement le socialiste Gaston Defferre (5%) et que le 21 avril 2002, il y avait dix points d’écart entre Lionel Jospin et Noël Mamère, alors premier de ses concurrents. Sur de telles bases, la gauche avait pourtant mordu la poussière. Comment croire qu’il puisse en être autrement, en 2017, si aucun de ses prétendus champions ne parvient à imposer rapidement une forme de leadership, ne serait-ce que dans son propre camp?
Voilà l’état des lieux, il valide notre stratégie, et un autre vieux renard du marigot politique renforce ma détermination :
FOG - Le prochain président français sera élu le 27 novembre !
Quoi qu'en pensent certains, même si Alain Juppé a une confortable avance dans les sondages, Nicolas Sarkozy peut encore réussir à s'imposer.
« À moins de sept semaines du second tour, les jeux ne sont pas faits, loin de là, même si M. Juppé a plusieurs longueurs d'avance sur ses concurrents, notamment M. Sarkozy. Le maire de Bordeaux a déjà une tête, une démarche et une rhétorique de président. Pour parfaire le tout, il ne lui reste plus qu'à obtenir l'onction des bulletins de vote.
Son succès dans les études d'opinion en dit long sur l'état d'esprit des Français, angoissés par leur avenir et en semi-dépression nerveuse. En se tournant vers M. Juppé, ils semblent choisir l'expérience, le sérieux, le calme contre l'outrance, l'agitation, l'anathémisation. Plus M. Sarkozy se comporte comme un candidat dans un concours de farces et attrapes, plus il contribue à édifier la statue d'homme d'État au-dessus des partis du maire de Bordeaux.
La messe est-elle dite ? La politique est une science à peu près exacte qui s'apparente à celle de la tectonique des plaques : sous la surface des choses, il y a des mouvements de fond. Déçus par la droite puis par la gauche, les Français ne savent plus vers qui ni vers quoi se tourner. En se posant en rassembleur, M. Juppé s'est installé au coeur du courant porteur. S'il gagnait la primaire, on ne voit pas comment il pourrait perdre la présidentielle.
Derrière, les autres candidats rament. Dommage pour des personnalités aussi remarquables que François Fillon, la rockstar de la droite qui fait des cartons dans ses meetings et vient de publier un excellent livre sur le terrorisme (1). Sans oublier Bruno Le Maire ou Nathalie Kosciusko-Morizet. Tous contribuent à élever le niveau. Mais, à l'évidence, les Français ont une envie de Juppé (2).
Nicolas Sarkozy parviendra-t-il néanmoins à s'imposer ?
Même s'il dévisse, ce n'est pas encore impossible. D'abord, il tient l'appareil, ce qui permit naguère à M. Copé, son prédécesseur, de truquer honteusement, avec sa bénédiction, les élections internes du parti de droite pour éliminer M. Fillon : s'ils ne sont pas débordés par le flot des électeurs, les apparatchiks des Républicains ne seront-ils pas en mesure de contrôler les résultats ? Ensuite, ne reculant devant rien, M. Sarkozy propose un référendum par jour, voire une loi par seconde, et surfe sur la vague populiste délaissée par Marine Le Pen. Invitant les électeurs du Front national à voter à la primaire, il se « jean-marise », comme dit le père fondateur du FN, ce qui lui donne de l'air en lui ouvrant de nouvelles terres de conquête.
Enfin, même si son disque est quelque peu rayé, M. Sarkozy reste un excellent orateur quand on aime ce genre-là, celui de la fulmination. Devenu une sorte de Trump à la française, il rappelle ces chanteurs yéyé des années 1960 qui, tel Richard Anthony, adaptaient les tubes américains.
N'en déplaise à la bien-pensance, la nouvelle stratégie de M. Sarkozy peut gonfler ses voiles, qui, ces temps-ci, manquent cruellement de vent. Mais n'est-elle pas dangereuse à long terme ? Paradoxalement, plus elle le renforcera pour la primaire, si c'est le cas, plus elle attisera l'anti-sarkozysme pour la présidentielle, ruinant ses espérances pour 2017 dans l'hypothèse de moins en moins probable (mais toujours possible) où il serait désigné candidat de la droite et du centre le 27 novembre. MM. Bayrou ou Hollande retrouveraient alors toutes leurs chances.
L'ancien président vient sans doute d'inventer un nouveau jeu qui a quelque chose de pathétique : le « qui gagne-perd ».
Voilà, chers amis le meilleur carburant pour les mois qui viennent. Vous m’avez renouvelé votre confiance à l’unanimité même si je soupçonne Daburon d’une ferveur qui trouve sa source loin des enjeux politiques. Je vais lui offrir un vieux CD de Joe Dassin pour le récompenser. Nous pourrons ainsi reprendre en chœur … je vous laisse deviner.
Avant de nous séparer j’ai, avec l’accord de la patronne ici présente, décidé de vous offrir une coupe de son champagne préféré : Minéral 2009 de Pascal Agrapart. Pour ceux qui ont la permission de minuit, la nuit est à nous pour refaire le monde, du moins ce qu’il en reste.
Les fumeurs fumèrent dans le fumoir et moi j’attisai les ardeurs des encore lucides par une question provocatrice :
- - Pourquoi un homme aussi brillant et ambitieux que François Mitterrand s'est-il entouré, après la Libération, de personnages sulfureux, mouillés dans la collaboration, au risque de compromettre définitivement sa carrière ?
Oui le futur président socialiste de la Ve République a même continué à fréquenter d'anciens responsables de la Cagoule, cette organisation criminelle et fascisante démantelée en 1938. François Gerber, auteur de Mitterrand, entre Cagoule et Francisque, peine à répondre à cette question (*).
Est-ce, tout simplement, parce que François Mitterrand éprouvait une réelle fascination pour René Bousquet, l'ancien secrétaire général de la police sous Vichy, impliqué dans la traque des juifs et des résistants, notamment dans la rafle du Vel' d'Hiv' ?
L'écrivain le dit clairement : contrairement à certaines légendes, François Mitterrand n'a jamais appartenu à la Cagoule. Contrairement à son ami d'enfance Jean-Marie Bouvyer, charentais comme lui, inculpé de complicité dans l'assassinat des frères Rosselli, des antifascistes italiens réfugiés en France. Jean-Marie Bouvyer a été recruté en 1941 par le Commissariat général aux questions juives. « En revanche, il est certain que le futur président, à partir de son retour en France en janvier 1942, évolue dans un milieu totalement infiltré par les cagoulards. » Et cela suppose « qu'il ait bénéficié d'un capital confiance qui n'était jamais spontané de la part de ces hommes rompus à la clandestinité », ajoute François Gerber, avocat pénaliste au barreau de Paris.
« Des fidélités assumées envers et contre tous »
Les connexions de François Mitterrand étudiant avec l'extrême droite avant-guerre sont connues du grand public, depuis l'ouvrage de Pierre Péan, Une jeunesse française, paru en 1994. Tout comme son passage à Vichy, si longtemps occulté. On savait également qu'il avait été embauché, peu après la Libération, par Eugène Schueller, patron de L'Oréal et ancien financier de la Cagoule, en tant que rédacteur en chef du magazine Votre beauté. En revanche, comment imaginer que ce jeune homme, qui aspire aux plus hautes fonctions de l'État, prenne des risques insensés pour s'entourer d'admirateurs du maréchal Pétain et de fanatiques de la collaboration avec l'Allemagne nazie ? Or François Mitterrand « assume des fidélités envers et contre tous ».
À commencer par le si mystérieux Jean-Paul Martin, haut fonctionnaire de Vichy dont le dossier d'épuration a curieusement « été égaré au cours de ces dernières années ». En septembre 1942, Jean-Paul Martin accepte de distribuer aux Allemands de vraies-fausses cartes d'identité françaises « pour dissimuler des espions à la solde du Reich en zone libre et débusquer les émetteurs radio clandestins qui transmettent régulièrement des messages vers Londres ». Directeur de cabinet de Bousquet, Jean-Paul Martin participe à la déportation des juifs étrangers au printemps et à l'été 1942, puis aux arrestations de juifs français, en zone occupée et en zone libre, au cours des années 1942-1943.
Nommé ministre de l'Intérieur par Pierre Mendès France en 1954, François Mitterrand choisit Jean-Paul Martin, pourtant exclu de la fonction publique à la Libération, comme directeur adjoint de cabinet. Il sera même fait officier de la Légion d'honneur et commandeur de l'ordre national du mérite ! Présent lors de son enterrement, le président « veillera personnellement à ce que le drapeau tricolore couvre le cercueil ».
« Affront »
L'embauche de Jean-Paul Martin n'est pas une simple erreur de « casting ». François Mitterrand va aussi recruter Jacques Saunier, appelé par René Bousquet en 1942 à la sous-direction des Renseignements généraux. Ce collaborateur flirte avec les Brigades spéciales, responsables en 1943 de plus de 1 500 arrestations au sein de la résistance juive et communiste. François Mitterrand, sans sourciller, le nomme chargé de mission en qualité de sous-préfet hors classe.
Dans cette liste des proches collaborateurs du futur président de la République, citons encore Yves Cazeaux et Pierre Saury. Ce dernier, nommé commissaire par René Bousquet, était devenu intendant de police (l'équivalent du préfet) fin 1943 à Lyon. Révoqué de la fonction publique à la Libération, il est pourtant récupéré par François Mitterrand ministre. Ce dernier va même en faire son suppléant comme député dans la Nièvre en 1967.
« Le recours à l'équipe Bousquet, dans les années 1950, reste un affront pour la démocratie renaissante, une injure à la mémoire des déportés et des résistants, un pied de nez aux gaullistes.
Pour quelle raison profonde François Mitterrand s'embarrasse-t-il de ces individus ? François Mitterrand avait-il des convictions ? » s'interroge François Gerber, constatant que « François Mitterrand aurait pu choisir Jean Moulin pour modèle, il a préféré René Bousquet ».
(*) L'Archipel, 385 pages.