« La solitude est un cercueil de verre »
« … dans le vieux tramway rouge, grinçant, le jeune narrateur tête brûlée, romancier en devenir, seul avec un poivrot ivre qui lui souffle « Oh ! La solitude est un cercueil de verre. », avant de disparaître alors qu’en contrebas, dans le canal, un vieil homme se balance, mort, dans une ancienne cage à lion. L’inspecteur Crumley n’a pas d’épaisseur, il flotte tout autant que le narrateur dans un Vénice du bout du bout du monde plein de nostalgie. »
« Venice, Californie, avait autrefois de quoi plaire à ceux qui aiment être tristes : du brouillard à peu près tous les soirs, et le grondement des installations de forage au long de la côte, et le clapotis de l’eau noire dans les canaux, et le crissement du sable contre les fenêtres quand le vent se levait et chantait sur les aires dégagées et les promenades désertes. »
Alors, lundi matin à la première heure, rompant mon bel isolement j’ai invité, par SMS ma fine équipe de l’opération Chartrons, à dîner aux Climats rue de Lille pour le lendemain 21 heures. À ma grande surprise, dans l’heure qui suivit, je recevais un accord unanime, même que certains se lâchaient, tel Daburon qui émettait un souhait, accompagné d’un smiley hilare, « la présence d’Émilie est plébiscitée par tous… » signé le délégué syndical aux bonnes œuvres.
J’avais privatisé la partie du restaurant donnant sur le jardin, mes troupiers étaient tous arrivés pile poil à l’heure, ils étaient dans leurs petits souliers, endimanchés, s’extasiant sur le lieu comme des gamins. L’apéritif, du Crémant de Bourgogne et gougères, leur fut servi au bar, Carole, la maîtresse de maison, orchestrant l’opération avec maestria. À mon signal la petite bande se mit en branle, sous la houlette de Carlos, pour gagner notre table dressée sous la verrière. Eux, pourtant si fort en gueule, ne pipaient mots, bras ballants ils attendaient poliment que je les place. Occupant l’extrémité la plus éloignée de la table, j’avais tenu compte des affinités, ou des inimitiés, réservant une chaise vide à ma droite. Nul ne s’était risqué à me poser la question, même si elle leur brûlait les lèvres, de savoir qui occuperait cette place. Seul Daburon affichait un large sourire. Nous nous assîmes. Lorsque je me relevai le silence se fit sans que j’eusse besoin de le demander.
« Il n’y a pas de 3e gauche… »
Après mon incise, tous s’attendaient à ce que je leur livre une de mes brillantes analyses sur l’état de la gauche au terme du quinquennat et, quelle ne fut leur surprise lorsque je leur livrai une lecture politique des lettres de l'ancien président à son « Animour » sa « chère grande-duchesse »
… « Mitterrand tel qu’en lui-même, hautain, méprisant, l’homme dans ses lettres d’amour enflammées, imprimées sous couverture blanche chez Gallimard, s'y révèle sous un jour peu reluisant. Il ne brûle pas particulièrement d’une passion ardente pour la chose publique :
« Je n'ai qu'un goût modéré pour ces échanges avec le public, toujours inconnu, qu'il faut convaincre avec les discours et des idées, tâche absurde quand on sait que seuls l'amour, les actes et l'exemple ont une force conquérante. »
Nevers, « des magasins prétentieux (...) des enseignes et des vitrines, phares du mauvais goût ; des maisons qui sentent le style notaire » déjeuner en ville qui offre «peu de débouchés aux palais délicats». Au-dedans de la ville, dans sa circonscription, « les viscères l'emportent sur les organes nobles ». Cruel : « Quelle peine d'avoir à vivre en retenant le souffle de peur de respirer la contagion de la petitesse, de l'avarice, de la jalousie, du cœur sec ! » Définitif : « La laideur de Boulogne-Billancourt offense moins, puisqu'elle se sait laide. »
Cet homme n’aime que lui-même, il exècre les autres, même ses serviteurs les plus serviles. Ne parlons pas de l’auberge espagnole de la rue de Solférino où règne «le verbalisme ésotérique» «le sectarisme verbal» empreint de «terminologie marxiste» « Si vous n'employez pas avec eux et au moment voulu des formules comme celles-ci : pôles de domination économique, dimension européenne, planification socialiste, nouveaux centres de décision, mutation des pouvoirs, notion de contre-plan..., la « famille » socialiste fronce les sourcils soit avec méfiance soit avec dédain ! (...) Je me désole de tant d'élans sincères vers la justice rongés par l'acide du sectarisme verbal. »
Belle lucidité me direz-vous, sauf que la Florentin pour flatter sa gauche, celle qui aujourd’hui se baptise la gauche de la gauche, les frondeurs, usait et abusait de cette logorrhée marxisante. N’oubliant pas le Fabius du Congrès de Metz qui, pour dézinguer Rocard, plastronnait « entre le plan et le marché, il y a le socialisme » dévoiement, ambiguïté, Mitterrand ne pouvait qu’accoucher d’un François Hollande incapable de trancher, de dire, d’expliquer, d’agir et d’accoucher une gauche décomplexée.
L’échec de Hollande n’est pas que dans ses résultats, par ailleurs bien moins désastreux qu’on ne l’affirme, mais dans sa méthode cafouilleuse due à son impréparation et à son incapacité à s’entourer de collaborateurs de valeurs. La solitude, peuplée de longs apartés journalistiques, le goût du verbe, des discours en justification, vont faire imploser le Parti Socialiste qui court vers la plus grosse déculottée de son histoire. Il l’anticipe d’ailleurs en pronostiquant que si des électeurs de gauche votent à la Primaire de la Droite et du centre pour Juppé, il n’y aura plus de gauche.
Ben oui, c’est l’arroseur arrosé !
Et pourtant, il ne lâchera pas prise, tout comme son rival « … le petit de Gaulle. On a eu Napoléon le petit, eh bien là, ce serait de Gaulle le petit. » Ce « lapin Duracell, toujours en train de s'agiter ». Intarissable, il abhorre son goût de l'argent, « sa grossièreté, sa méchanceté, son cynisme ». Même la salle de bains de l'Elysée, refaite par le couple Sarkozy, le révulse : « Quel mauvais goût ! »
Ils ne savent rien faire d’autre !
Anne Pingeot qui s'inquiétait de voir son unique grand amour s'investir autant dans la politique le François épistolier répondait :
« Je me suis rappelé ta réflexion sur mon activité, mes déplacements incessants – et ta question « Peut-être ne pourrais-tu pas vivre autrement ? » Et il est vrai que le mouvement, l'action, c'est une manière de se fuir. Mais je ne me comporte ainsi que lorsque j'y suis contraint. » La politique, ou cette épreuve physique : « Au dîner d'hier comme au banquet d'aujourd'hui, j'ai dû haranguer quelques centaines de convives. J'y ai mis (...) beaucoup d'énergie pour convaincre et emporter l'adhésion. Résultat, je suis exténué et ma main crispée sur le volant, lassée par la fatigue, tient mon stylo en dépit du bon sens. » Activité qui l'oblige à montrer « des qualités qui ne me sont guère habituelles : patience et complaisance ! J'ai écouté des tas de discours et de balivernes avec une angélique attention. »
À la contemplation d’eux-mêmes ils consacrent beaucoup de temps, la solitude quelle richesse, avec tout de même le beau miroir tendu par l’être aimé.
« Je déjeune chez Lipp, seul. Une solitude comme celle-là, quelle richesse ! Je ne l'échangerais contre rien – sauf contre vous, évidemment. »
Hollande préfère d’autres plaisirs, d’autres exercices, mais il a tout appris du maître, croit en son étoile, et veut nous amener dans un corner au risque de nous retrouver dans la désagréable position d’avoir à choisir au 2e tour entre la peste et le choléra.
Les vieux schémas de la gauche voleront en éclat au premier tour où Mélanchon raflera la mise sans pour autant se qualifier pour le duel final et nous serons gros Jean comme devant. C’est hors de question !
Mon choix du vieux Juppé à la Primaire est celui de la raison, rien ne me fera dévier de cette position ! Dans la dernière ligne droite j’ai décidé de donner encore un coup de collier pour rejeter dans les ténèbres extérieures le zébulon.
En êtes-vous ?
Un lourd silence s’ensuivit. Ce fut, comme d’habitude Daburon qui le rompit : « Et si nous attaquions l’entrée avant de vous répondre chef ! Avec le vin les langues se délieront… » J’approuvai.
Je laissai le soin à Carlos de faire l’état des jouissances terrestres, ce qu’il fait avec beaucoup de classe et de précision
En amuse-bouche : Bulots de la baie du Mont Saint Michel, Cuit au naturel, pomme de terre ratte, légère sauce hollandaise marine et copeaux de bonite.
Terrine de Grouse, En terrine traditionnelle parfumé au scotch whisky; moutarde de Crémone, cornichons de la maison Marc et pain de seigle toasté.
Plat : Colvert, Filet rôti aux raisins muscat et garniture forestière. Bourse de chou aux cuisses braisées et sauce rouennaise.
Poire Belle "Carole", Poire Williams pochée à la fève de Tonka, cacahuètes caramélisées, sauce chocolat Guanaja 70% et crème glacée à la vanille Bourbon.
Nous attaquâmes l’amuse-bouche pendant que Franck-Emmanuel le sommelier star nous livrait le détail liquide de nos réjouissances.
Mes gars n’en revenaient pas ; ils se jetaient des regards étonnés et je sentais qu’il allait me falloir les mettre à l’aise pour qu’ils se lâchent. J’allais de nouveau me lever pour leur faire un petit speech lorsque Daburon se leva pour déclarer tout de go : « Nul besoin de concertation à la con, j’exprime ici l’opinion générale, nous en sommes chef. Pour ne rien vous cacher nous commencions à nous emmerder ferme depuis que vous aviez décidé de lever le pied. Si ça vous ne dérange pas on va gentiment s’en mettre plein la lampe et se jeter de beaux godets derrière la cravate avant de remettre le couvert sur l’opération Chartrons. »
Tonnerre d’applaudissements que je modérai d’un signe de la main en ajoutant « On se tient bien les gamins… Nous sommes dans une maison respectable… Bon appétit. »
Nous attaquions la terrine de Grouse lorsque mon téléphone s’agitait dans la poche de ma veste : un sms. Je le consultai. Tout se déroulait comme prévu et j’arborais un large sourire qui n’échappait pas à Daburon. Les conversations roulaient sans dégager trop de décibels et un silence religieux se faisait dès que Franck-Emmanuel, pince-sans-rire, commentait le vin servi. La soirée se présentait sous les meilleurs auspices. Je fis un petit signe de la main à Carlos qui, en bon chef d’orchestre, veillait au bon ordonnancement du dîner. Il opina du chef en souriant. Nous nous comprenions comme deux larrons en foire.
Daburon, toujours lui, en forme olympique, levait son verre et s’adressant à la cantonade portait un toast rigolard « À notre chef bien aimé qui nous prépare, hormis ces magnifiques nectars, la surprise du chef ! Trinquons pour que la belle paraisse ! » Il ne croyait pas si bien dire, façon de parler, car Carole se pointait accompagnée d’un homme vêtu de gris. Je me levai et lui indiquai la chaise vide à mes côtés. Daburon vira à l’écarlate. L’assemblée se figeait dans un silence interrogateur. Je saluai l’arrivant qui s’assit en adressant à la tablée un « bien le bonsoir messieurs. » La fête pouvait commencer mais je me gardai bien d’éclairer la lanterne de mes troupiers. Doucement les conversations reprirent mezzo voce. Mon téléphone s’agitait à nouveau : un sms « Désolée, je suis un peu en retard… ». Je pianotais « Prends tout ton temps, nous n’en sommes qu’aux préliminaires… » Daburon reprenait un peu de prestance. Je lui adressais un clin d’œil qui le comblait d’aise.
Je jouais gros sur deux tableaux mais ce n’était pas pour me déplaire car je n’avais rien à perdre surtout après les étranges confidences de Hollande. Le jeu risquait de s’ouvrir et la donne changerait du tout au tout avec l’irruption d’outsiders. « C'est hallucinant, je manque de mots pour dire sincèrement ce que je pense. » m’avait confié un des vieux briscards de la hollandie. Même Cambadélis, le gardien de Solférino ne trouvait rien de mieux à dire que « Il ne s'est pas facilité la tâche » avec le livre. C'est peu dire, car dans les rangs hollandais, c'est désormais l'incompréhension qui règne. Une situation quasi-apocalyptique « quelque chose entre le coup de massue et la goutte d'eau de trop ». « On était déjà au fond de la mer et je ne pensais pas qu'on pouvait tomber plus bas » une stratégie présidentielle incompréhensible qui vient alimenter la thèse d'un suicide politique. « Depuis son bunker élyséen, François Hollande a choisi de se débarrasser de son enveloppe de président normal. Il a tout dynamité. Exit l'homme tranquille, le jovial, l'empathique, le bon bougre, toujours d'humeur égale. François le bienheureux, le chantre du « tout va bien » a enfin pété les plombs », c’est le scénario d'un véritable « Hara Kiri » présidentiel.
Pour autant je n’enterre pas le vieux renard politique car je le soupçonne de se la jouer à la De Gaulle : moi ou le chaos sans passer par la case humiliante des Primaires. Pensez-donc se confronter à des seconds couteaux qui ont été ses Ministres : impensable. Un beau matin ou un grand soir il va se pointer à la Télé et déclarer au bon peuple qu’enfin libéré de toute entrave, de cette « agrégation de gens intelligents qui peut faire une foule idiote » il va préserver la République, la libérer de ses démons. Face à une posture à la Mitterrand, qui dans son ancienne maison aura le front de se mettre en travers de son chemin ? Stratégie du quitte ou double qui risque d’amener toute la gauche au trou ou de constituer la seule alternative crédible face au triomphe programmé de la droite. Sarkozy son meilleur ennemi éliminé cette politique de la terre brûlée s’avère la seule possible. Je suis sûr qu’il estime que c’est jouable et il va jouer.
C’est ce dont je veux discuter ce soir avec mon invité. Le service desservait l’entrée lorsqu’Émilie est arrivée plus belle que jamais…