Étrange semaine où, sortant de mon indolence résignée, je me suis révolté, une révolte froide, sourde, intérieure, dont j’ai le secret. Je ne me laisserais pas faire. Je ne le laisserais pas faire. J’allais à nouveau me battre sur les deux fronts sans rien lâcher. Il y en allait de ma survie. Pour autant, il n’était pas question pour moi, sur le premier front d’avancer sabre au clair, je savais que nul ne peut lutter contre l’ironie du sort et, quoi que je pense, quoi que je fasse, le sable du temps, un jour, me séparerait d’elle sans que je puisse mettre mes pas dans une vie commune, l’aimer au jour le jour. Et pourtant, c’eut été possible si… je n’en démordais pas… conforté en cela par ce François de Jarnac.
Ariane Chemin, fine plume, fait le récit de cet amour fou« Ce n'était pas le schéma qui était prévu. C'est une affaire qui m'a (…) dépassée », confie Anne. C’est ainsi que pour nous ce serait arrivé, tout aurait été balayé et… croyez-moi je ne rêve pas… Mais, si vous savez lire entre lignes, revenons à François :
« Jean Lacouture, le voisin de Gordes, a raconté que c'est à Anne Pingeot, et à elle seule, que le président avait confié le secret de son cancer, en décembre 1981. La scène s'est jouée rue Jacob. À la mort du président, la Mitterrandie s'était offusquée de la photo de l'homme politique volée sur son lit de mort. Pas Anne Pingeot. »
« Ma mère est l'héroïne d'un film que personne ne verra jamais » écrivait il y a dix ans encore Mazarine Pingeot. »
« Par délicatesse, le grand amour de François Mitterrand a attendu la mort de l'épouse, Danielle Mitterrand, pour la mise à nu de ses secrets d'alcôves. Les lettres sont publiées brutes, comme un marbre du Musée d'Orsay, sans préambule ni introduction de la conservatrice. Anne Pingeot reste l'absente-présente de ces deux livres, comme elle l'a été tout au long de la geste mitterrandienne.
« Ce n'est qu'à la mort de François Mitterrand, en janvier 1996, que le nom et le visage de cette femme brune à la peau claire s'étaient dévoilés au public au cimetière de Jarnac. Mal protégée par une voilette de dentelle noire, comme une héroïne de François Truffaut, la conservatrice avait offert ce maintien un peu bourgeois et raide que François Mitterrand appréciait tant et ses yeux rougis aux Français émus. Près de dix ans plus tard, Mazarine Pingeot avait brisé un second tabou. Les Français venaient d'apprendre, en suivant la chronique du procès des écoutes clandestines de l'Elysée, que François Mitterrand n'avait reculé devant rien pour préserver sa « seconde famille » ! La jeune agrégée de philosophie racontait dans Bouche cousue (Julliard) « l'autre vie » du président socialiste de la République, et on comprenait que c'était… la vraie.
Adieu les histoires et géographies officielles, place à d'autres, officieuses. La légende a longtemps raconté que le 10 mai 1981 de François Mitterrand s'était achevé rue de Bièvre devant une tasse de camomille ; en fait, le vainqueur était aussi passé à " Saint-Germain-des-Prés "– le nom de code utilisé pour désigner l'appartement d'Anne et de Mazarine Pingeot, rue Jacob, dans le 6e arrondissement de Paris, avant leur déménagement quai Branly, dans un appartement de fonction, juste au-dessous de celui de François de Grossouvre, un homme de confiance du nouveau président. Après Latché, la bergerie familiale des Landes si médiatisée lors de l'élection présidentielle de 1974, on découvre qu'un autre refuge à Gordes, dans le Luberon, abritait la maison du couple illégitime. Sans oublier, dès l'automne 1982, Souzy-la-Briche, près de Paris, une résidence de la présidence de la République dénichée par André Rousselet, que les paparazzis n'ont pas l'idée d'aller espionner et que « l'autre famille » occupe le week-end.
C'est à la fin des années 1950 que François Mitterrand a croisé au club-house du golf d'Hossegor, dans les Landes, la fille de son ami Pierre Pingeot, un industriel auvergnat, proche des Michelin, catholique et conservateur, qui préside l'Automobile Club et le Rotary de Clermont-Ferrand. Anne Pingeot a été élevée entre les cours à l'école privée et la messe à l'église catholique. L'hiver, en Auvergne, la jeune fille à la jupe plissée bleu marine semble comme échappée de Ma nuit chez Maud, le film d'Eric Rohmer. L'été, à Hossegor, elle abrite souvent ses robes longues d'une ombrelle. « Anne ressemble à ce qu'elle étudie », disait François Mitterrand en songeant sans doute aux figures impressionnistes de Caillebotte ou Monet. Il l'aperçoit quand elle a 14 ans, la remarque quand elle en a 18. Elle a 20 ans quand ils s'aiment, lui, 47.
« Ce n'était pas le schéma qui était prévu. C'est une affaire qui m'a (…) dépassée », a raconté en 2015 Anne Pingeot à l'ancien correspondant de la BBC à Paris, Philip Short. Ses seules confidences à ce jour. " Je n'ai jamais connu personne d'autre. Ni avant ni après ", aurait-elle dit au journaliste britannique, qui le rapporte dans François Mitterrand, portrait d'un ambigu (Nouveau Monde éditions).
À cette « femme-fille-fleur-fruit-beau soleil », François Mitterrand dit son amour éternel, mais il refuse de divorcer : la morale bourgeoise et catholique de l'époque, a-t-on toujours expliqué. Ce n'est pas la version d'Anne Pingeot. « Il n'abandonnait jamais un choix. Danielle, c'est un choix qu'il avait fait », a confié la conservatrice. Au milieu de la correspondance publiée le 13 octobre chez Gallimard, on lit ce petit mot de Mitterrand, griffonné sur un bout de nappe en papier d'un bistrot, à l'été 1966 : « le péché commence au confort ».
8 avril 1964: «La blessure physique d'un arrachement»
Quand je vous ai prise dans mes bras, au moment de votre départ, c'était encore quelque chose d'autre que ce que ces six mois m'avaient apporté. J'étais si totalement joint à vous, si confondu en vous qu'à l'heure où je trace ces lignes, après une nuit, par un matin léger de Paris, face aux frondaisons du Luxembourg tandis que vous roulez vers l'Auvergne, je ressens encore la blessure physique d'un arrachement, lorsqu'il a fallu éloigner votre visage, se détacher de vous.
Je crois que vous me pardonnerez de vous le dire parce que je crois que vous le savez. (Envoyée le Mercredi 8 avril 1964)
29 avril 1964: Comment concilier vie politique et vie amoureuse
«Anne, à demain. Je serai à 20 heures rue Saint-Placide. D'ici là j'aurai, ce soir, une réunion de travail politique - demain matin, Assemblée ; et l'après-midi je me sentirais heureux de vous savoir toute proche.
Oui à demain donc. (Envoyée le jeudi 9 Avril 1964)
Anne, je pars dans une heure pour Londres et je dois passer auparavant quelques instants chez Defferre. Je ne vous écrirai donc qu'une lettre hâtive et qui exprimera fort mal ce qui me pousse à vous l'envoyer.
Mais voilà: je ne peux pas attendre pour vous dire, vous redire, que triste ou heureux mon cœur est plein de vous. Je m'émerveille du don qui m'a été fait, de ces mois si riches, de votre présence sensible et tendre qui m'a apporté toute la délicatesse du monde.
Mais chaque fois que je vois clairement que ce qui nous unit est pour vous source d'angoisse et de déchirement j'ai mal moi-même. Il me semble que je manque encore du courage qu'il me faudrait pour dominer la violence de la joie ou de la peine qui s'emparent de moi dès qu'il s'agit de vous. Je vous aime et ne puis désaimer et ne puis me défaire du bonheur d'aimer, de l'espoir d'aimer.
J'ai trop vécu pour ignorer la qualité, la vérité rares, oui, mon Anne, tellement rares de notre accord. Oui le vent s'est levé et mon ciel, traversé de vents contraires et de tempêtes, ressemble à celui d'hier quand le soleil du soir l'emporte et nous offre sa pureté poignante et souveraine. Le vent s'est levé sur ma vie.
Et vous êtes là, devant moi, mon île, ma terre, mon bien, mon port, ma paix - et dans le moment même où je trace ces mots je sais et je comprends tout de vous qu'habite une grande exigence. Ah! comment démêler ces contradictions!»
28 mars 1974: Quelques jours avant l'élection présidentielle de 1974
«Anne chérie,
Je t'écris de chez les Destouesse. Cela sent la cire. Le soleil passe en biais par les fenêtres. Un peu de poussière joue dedans. J'entends les oiseaux. Nous avons Michel et moi couru les chemins de sable, longé le courant d'Huchet, dans le silence des arbres et des poissons. Les ajoncs sont fleuris. Jaune d'or comme au temps de nos promenades… pascales. On a roulé un peu au hasard, pour voir des maisons et des clairières. Il est 16h45. Je poserai ma lettre au retour à la poste de Vieux-Boucau.
Si tu viens dans quinze jours nous ferons de belles balades. L'air est eau fraîche. On y boit. Je ferai un peu de bicyclette avant la nuit. Pour me dérouiller les muscles. Et respirer, respirer. J'avance dans Joseph le nourricier de Thomas Mann, dernier des quatre volumes de Joseph et ses frères.
Je pense à demain soir, à toi, à notre voyage du lendemain, aux odeurs qui nous attendent. T'écrire il y a beau temps que j'en avais perdu l'habitude. Je voudrais t'embrasser à petites lapées. Tu es mon oiseau chaud et doux de la nuit.
Je t'aime.»
La dernière lettre: Belle-Ile, le 22 septembre 1995
«Ce sera ma dernière lettre de Belle-Ile puisque je pars demain matin pour Paris. Les conditions en sont encore incertaines car il y a une forte brume et le petit avion monomoteur n'est pas sûr de pouvoir décoller à l'heure dite. Je ne sais donc quand j'arriverai. En tout cas je serai à Paris avant l'heure du dîner et mon plus cher désir est de partager ma soirée avec toi. On pourrait aller au restaurant ce que t'éviterait toute cuisine. Sinon on resterait à Le-Play et j'espère que j'aurai obtenu d'ici là une copie de La Rivière Espérance. Tu vois que je raisonne comme si tu avais envie de me retrouver! Moi, j'aimerais tant.
J'ai encore eu Mazarine au téléphone, qui s'escrimait à la machine. Quelle bonne idée! Elle a été charmante comme elle sait l'être. Quel cadeau tu m'as fait.
Ici je suis un peu en veilleuse. Le bras un peu souffrant et les forces qui se baladent je ne sais où mais qui ont délaissé mon corps. On verra bien. L'air est bon, peut-être réparateur. J'ai devant moi la mer qui se confond avec les rochers. Pas de vent. Rien ne bouge.
Ça me rend bizarre de ne pas te téléphoner. J'aime ta voix même quand elle se fait sévère. Tu as dû beaucoup travailler. Comment te retrouverai-je. J'avance tout doucement dans mes corrections. 150 pages. Manquent les idées générales. Il faut que je les insère dans le récit trop factuel en linéaire.
Dans les Pensées j'ai noté celle-là: «Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux de n'y point penser.» Ou: «Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige? Juge de toutes choses, imbéciles, ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitudes et d'erreur, gloire et rebut de l'univers qui démêlera cet embrouillement?» Oui, tout est embrouillement. Je vois dans ma vie une clarté. Hors de toi tout s'obscurcit.
Et voilà que je ne sais plus quoi faire de moi, mon temps fini. Une vraie conjuration! Mais je sortirai de ce bizarre état, ridicule et pittoresque. C'est déjà si difficile de connaître l'usage qu'on doit faire de sa vie! Le reste est plus simple puisqu'il suffit de décider.
Mon bonheur est de penser à toi et de t'aimer.
Tu m'as toujours apporté plus. Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t'aimer davantage?»
Un large et quasi infranchissable fossé me sépare de ce type que je n’ai jamais aimé, que j’ai un temps combattu avant de devoir me mettre à son service, mais, comme lui, j’aime l’amour par-dessus tout.
Du côté du second front, face à l’offensive du revenant et de ses séides pour dissuader les électeurs, ayant plutôt le cœur à gauche, de se déplacer pour aller voter à la Primaire de la droite et du centre, en les accusant de se parjurer, j’ai décidé de réanimer ma cellule opération Chartrons afin de les pilonner sans relâche avec deux arguments canons :
- Nous sommes-nous parjurés en allant un beau dimanche voter pour Jacques Chirac pour faire barrage au père ?
- Nous parjurerons-nous si, par malheur, nous devions à nouveau le faire au profit du « Nain », comme le nomme Chirac, afin de faire barrage à la fille ?
Nous ne prendrons pas ce risque en allant déposer un bulletin dans une urne pour l’éliminer, le jeter une nouvelle et dernière fois dans un oubli à la Giscard. C’est notre droit et nous l’exercerons le front haut car nous ferons œuvre de salubrité publique. Comme ça Nicolas pourra s'occupé de Carla et de Giulia, pas sûr que la première supporte cette situation très longtemps...
« Qu'il raconte une partie de golf, une promenade en forêt ou un rassemblement politique, qu'il associe à son texte une coupure de presse, une reproduction de tableau ou un ticket de cinéma, l'essentiel est toujours ailleurs, dans l'interminable dédicace qui permet de subvertir l'imposture du monde en célébrant la vérité de l'être aimé. Page après page, le réel de l'amant se trouve donc filtré par l'adoration : tout renvoie à Anne, à tel souvenir commun, à telle lecture partagée. Tout est coïncidence. Complicité. Ici, la littérature compte. Incarnation d'une époque où l'homme politique était aussi un homme de lettres, Mitterrand offre à celle qu'il aime un univers peuplé de poèmes et de romans (Aragon, Dostoïevski, Semprun...). Mais l'art importe encore plus, car Mitterrand partage cette passion avec Anne Pingeot, future conservatrice de musée qui jouera un rôle-clé dans le rapport du président socialiste à la -culture – le Musée d'Orsay lui devrait de nombreuses collections et le Louvre sa Pyramide. « Ce Christ d'Holbein je scrute son message, note Mitterrand le 26 juillet 1964, en marge d'une reproduction collée sur le papier. L'amour de toi m'occupe tant que me voici semblable à lui – nu devant une vérité que j'ignore. »