« … il s’était souvenu du mot que lui avait un jour soufflé un grand vigneron de Champagne… » note Sébastien Lapaque dans son livre Théorie d’Alger.
«L’industrie moderne est caractérisée par un souci toujours plus grand de l’exactitude ; au fur et à mesure que l’outillage devient plus scientifique, on exige que le produit présente moins de défauts cachés et que sa qualité réponde ainsi parfaitement, durant l'usage, aux apparences». — (Georges Sorel, Réflexions sur la violence, Chap. VII, La morale des producteurs, 1908, p.356)
Le monde du vin est entré, avec l’intrusion de l’œnologie moderne, dans une phase industrielle qui touche via les conseils, les prescripteurs de produits œnologiques, les faiseurs de vin, aussi bien les structures collectives, telles les coopératives, que beaucoup de vignerons qui affichent un statut d’artisan.
Qui s’en plaindra me rétorquera-t-on, il n’y a presque plus de mauvais vin sur le marché. Je n’en disconviens pas, c’est une réalité, une normalité.
Mon propos ne vise pas la masse des vins destinés à un marché de masse mais ceux qui s’affichent ou se veulent remarquables de par leur origine ou leur notoriété ancienne.
Sur ce front qu’en est-il ?
Sans tomber dans le « je les mets tous dans le même sac » je suis en droit de me poser la question de savoir si l'uniformité est aujourd'hui la règle face aux politiques menées par les ODG qui pratiquent le « je ne veux voir qu’une seule tête » et « l’air de famille » en faisant la chasse aux défauts.
J’entends déjà les ricaneurs ricaner et les videurs de vin à l’évier persifler.
Libre à eux, ils ont le droit, et je ne le conteste pas, d’aimer ce type de vins lisses, bien fabriqués, sans aspérités, fruit du savoir-faire universel des winemakers globe-trotter.
Ce qui me fait sourire c’est que cette élite autoproclamée du vin, de manière consciente ou par paresse intellectuelle, tombe dans ce qu’un de mes amis, grand amateur d’art, nommait la production pour salle d’attente des professions friquées. La reproduction, certes limitée pour des raisons économiques, du même modèle qui plaît.
Là encore je ne jette pas la pierre à ceux qui me rétorqueront que c’est le marché qui appelle ce type de produit, même dans le luxe. C’est de la Louis Vuittonisation, le sac de « luxe » dupliqué à des millions d’exemplaire.
Avec la communication de masse, tous les millésimes reçoivent des qualificatifs ronflants, nous ne nageons plus que dans de l’extraordinaire alors, qu’en fait, nous sommes dans « le tout est sous contrôle », dans les chais bien sûr, car malheureusement la nature est aussi bien cruelle pour certains.
Tout cela est de bonne guerre, nous vivons dans un monde de produits normalisés, répondant à des cahiers des charges drastiques, formatés pour entrer, via le marketing, dans le bon créneau de prix qui séduira la cible visée.
Que le monde du vin se vivant comme un marché de luxe, et je ne vise pas là que les GCC hors de prix mais le luxe à portée de portefeuilles bien pourvus, joue cette carte ne me dérange absolument pas. Libre à chacun de choisir entre le paraître et le vrai luxe qui ne se niche pas dans les images des publicitaires.
Ce que je conteste c’est le combat d’arrière-garde des maîtres à déguster contre ceux qui restent, envers et contre-tout, de réels artisans du vin que je ne réduis pas au petit noyau des seuls vignerons nature.
« Un vin parfait, ça n’existe pas ! Je prends toujours l’exemple des grands tisserands iraniens. Quand ils font un tapis, ils décalent la symétrie pour être sûr de ne pas toucher à la perfection. On ne peut pas faire des vins parfaits, la perfection c’est chiant. C’est quoi la perfection ? Ça suppose qu’il existe un modèle préconçu et que ça rentre parfaitement dans ce modèle. La quête exclusive, c’est stérilisant. Il y a un moment parfois où on peut de rapprocher d’un équilibre qui tend vers l’idéal, mais ce n’est pas la perfection. D’ailleurs un grand vin en tant que te, ça n’a pas de définition. Le vin, c’est une circonstance. »
Jean-Yves Bizot in « Entre les vignes »
Mon ami Claire Deville, la Taulière du Lapin Blanc après avoir bu le Vosne-Romanée 2011 de Jean-Yves Bizot m’a déclaré : « Ma plus belle émotion avec le vin…»
Oui mais c’est cher va rouscailler le grand-prêtre de la LPV.
Comme un Chiraz ou un Kashan persans M’sieur Perez car ça le vaut bien !
L’avis de VÉRONIQUE RIVEST La Presse Canada via Marc André Gagnon @vinquebec
LE COURRIER DE LA SOMMELIÈRE
ÉLOGE DES DÉFAUTS
« Bien sûr, les développements qui permettent aux vignerons de bien vivre de leurs récoltes, et aux consommateurs de boire de meilleurs vins, sont les bienvenus. Mais lorsque tout devient trop parfait, voire aseptisé, on perd aussi toutes ces petites nuances qui donnent au vin sa personnalité, distincte de celle des autres.
À force de rechercher la perfection, on a poussé un peu trop loin. Un taux d’alcool excessif dans un vin lui fait perdre son équilibre, mais il masque aussi son caractère. C’est une route vers l’homogénéisation.
Je me plais souvent à dire que la perfection est ennuyeuse ; la beauté, dans le vin comme chez les gens, réside souvent dans les défauts. »