La semaine passée deux textes m’ont « fasciné » tellement ils sont à l’image de notre temps où dans le maquis des produits de consommation emballés, sur-emballés, issus de mélanges de plus en plus indéterminés, l’heure est à la traçabilité, à la certification extérieure, il faut rassurer le consommateur qui a perdu tout lien avec la terre et les saisons.
Face à cette débauche de « rassurez-vous bonnes gens nous veillons sur vous, n’ayez pas peur mangez en toute confiance les produits de l’agro-industrie normés, formatés… » Madame et monsieur tout le monde aurait pu penser que le vin « jus fermenté du raisin » échappait aux trucs et aux machins ajoutés par les gens qui nous veulent que du bien.
D’ailleurs, pour l’attester, nos chercheurs de l’INRA, y’en a même qui font de l’économie expérimentale, c’est dire la profondeur où se nichent leurs neurones, qui n’aiment pas leur nouveau directeur qu’est pas docteur, nous sorti de derrière les tonneaux : la typicité.
Et comme de bien entendu, ils communiquent, ils savent eux, faut les croire.
Les AOC, un air de famille
« “Colorés”, “concentrés“, “longs en bouche”, “gras et ronds”, avec des arômes de fruits noirs et rouges : tel est le style des vins de l’AOC Anjou-Villages-Brissac (Vallée de la Loire). Cet air de famille - ou typicité - est un mélange d’originalité, d’authenticité et de qualité qui est lié au terroir. C’est précisément ce lien qui relie le vin au terroir que des chercheurs de l’Inra décortiquent depuis plusieurs années. Difficile à mesurer, ce lien est pourtant un enjeu majeur de la viticulture française, au cœur du système de production des vins d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). »
Je dois dire que ce concept de typicité m’a toujours fait gondoler. La preuve ICI dans une chronique de février 2006.
« Au temps de mes culottes courtes, dans mon bourg, seuls les commerçants partaient en vacances, les plus aventureux passaient même les frontières. Dans le lot il y avait madame Ginette, la coiffeuse de ma mère, qui avec son Francis de mari, entrepreneur en bâtiment, voyageait beaucoup. J'adorais madame Ginette, elle avait un côté star américaine des années 30, avec sa permanente impeccable, son blond oxygéné et ses ongles carminés. Bon, elle n'avait pas inventé l'eau chaude, elle minaudait un peu, mais après chacun de ses périples elle rapportait un petit souvenir et, comme pour s'excuser du côté babiole de la chose, elle croyait bon de dire " vous savez c'est très typique..."
Donc ce fut le premier texte : Quand le vin a soif de recherches ICI que j’ai adoré, façon de parler.
À peine revenu de mes émotions voilà qu’Internet me met sous le nez l’autopromotion d’un des rois de la certification : le bureau Veritas qui s’est déjà brillamment illustré pour son incompétence dans le dossier du classement de Saint-Émilion.
Ils sont contents d’eux, ils roulent des mécaniques, vous ne trouverez pas meilleurs qu’eux sur le marché. Le baron Le Roy doit se retourner dans sa tombe : « ils sont devenus fous ! »
La preuve :
Les testeurs testés
Avant de déguster le vin, le testeur est évalué. Bureau Veritas Certification le fait en vérifiant la cohérence de leurs notations, et en les évaluant eux-mêmes à l’aveugle. « L’an dernier, j’ai fait déguster un « leurre » à l’un de mes jurys : un vin présenté comme un « Corbières » mais avec un cépage non autorisé et un défaut d’acidité, raconte Sandra Rongieras. Test réussi ».
Dégustation à l’aveugle
Une fois tous les autres « examens de passage » réussis pour le vin, il reste encore l’épreuve ultime : les dégustations à l’aveugle ! Attention, les dégustations se font dans un ordre bien précis ! D’abord le blanc, puis le rosé et enfin le rouge, de plus, ils commencent par les millésimes les plus anciens.
Pour que le jury ait le palais « frais », les dégustations ont généralement lieu le matin, et au printemps afin que les vins rosés aient suffisamment maturés en bouteille ou en cuve.
Les vins sont présentés dans des bouteilles neutres et numérotées pour ne pas être reconnus par les jurés, qui ont quelques minutes pour évaluer la qualité du vin à l’œil, au nez et au palais.
Les jurés sélectionnés, généralement au nombre de cinq, sont réunis dans une salle à température régulée, répartis dans des box individuels, avec interdiction formelle de se parler. Ils peuvent goûter jusqu’à 30 vins différents en une matinée, divisée en deux séances.
Leur rôle est de repérer les différents défauts du vin. Des problèmes de couleur, de nez ou de palais peuvent leur interdire le bénéfice de l’appellation.
Ces défauts, les jurés les repèrent en utilisant les 91 défauts de la liste officielle de l’INAO (l’Institut National des Appellations et de l’Origine). Par exemple : sec, terreux, goût de bouchon, d’amande amère, de papier, de géranium, de ciment, de gouache, d’hydrocarbure, de serpillère, de souris, de sueur de cheval, d’entrailles de lapin…
En fin de dégustation, le jury se rassemble pour attribuer une note définitive : si c’est A, B, C1, l’appellation est accordée. C2, le vin doit être retravaillé. D1 ou D2, le vin est déclassé en « Vin de France »
L’intégrale ICI
91 défauts… le vin doit être retravaillé (avec quoi dites-moi ?)… le vin est déclassé…
Hé oui, nous voilà sur la bonne voie, celle de l’air de famille à coup de Photoshop, de l’œnologie corrective, des vendeurs de produits qui guérissent, des béquilles qui aident à marcher droit…
Alors il ne faut pas s’étonner que certains aillent chercher l’authenticité d’un vin hors la doxa des fameux cahiers des charges. Les naturistes ou leurs frères sont sans doute bardés de défauts mais, à leur manière parfois, un peu excessive, ils mettent le doigt là où ça fait mal.
Allez lisez-donc un grand classique du Taulier : Le CAC 51 : le croskill de la qualité des vins AOC
- Dis-nous pourquoi t’intéresses-tu soudain au Conseil Agrément et Contrôles, le fameux CAC 51 ?
Bon Prince, je leur répondais, qu’à la suite de mon coup de sang contre les PAJ de « Que Choisir ? » à propos de la labellisation foireuse des AOC, une source bien informée m’a confiée que le CAC, une invention de l’Administration, jamais en reste de la création d’un Comité Théodule supplémentaire, c’était quasiment le croskill des vins d’AOC.
Mes compères éberlués face à la profondeur de ma culture se récrièrent : « Qu’est-ce que c’est qu’un croskill ? » Je les toisais goguenard. D’une traite je leur balançais :
« Mes petits pères ignorants le croskill est un rouleau qui sert à briser les mottes et tasser le sol. Il est composé d'une succession de disques denticulés qui travaillent indépendamment et qui sont généralement en fonte et pèsent entre 25 et 35 kilogrammes pour un diamètre de 30 à 50 centimètres. Certains ont un centre évidé pour permettre des mouvements saccadés. »
Face à la beauté de ma métaphore ils tombaient en pamoison. Sans faire preuve de beaucoup d’imagination ils voyaient tous les Marcel Richaud de notre terroir martyrisé, écrasés, nivelés, réduits à n’être plus qu’un seul et même bloc compact, une morne plaine normalisée : la Brie, la Beauce, le triomphe de l’uniformité au nom de la typicité. Le triomphe du CAC 51 : « au nom du Q on ne veut voir qu’une seule tête dans les rangs ! »
L’intégrale ICI