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5 juin 2016 7 05 /06 /juin /2016 06:00
Serf d’un grand seigneur impitoyable, le Temps, le vigneron lutte contre les vicissitudes et les infortunes, malgré les découragements et les rancœurs justifiées, tout au long d’une année

Cette chronique a été mise en ligne le 2 août 2011, c'est un extrait du livre d'André Lagrange Moi je suis vigneron.

 

« Le Toine serf d’un grand seigneur impitoyable, le Temps, le vigneron lutte contre les vicissitudes et les infortunes, malgré les découragements et les rancœurs justifiées, tout au long d’une année, c’est-à-dire sans répit d’une récolte jusqu’à l’autre. Fort de l’expérience des aïeux, et de la sienne propre, Le Toine s’enorgueillit de n’être pas un va-t-aux-vignes, mais un vigneron qui œuvre avec sa tête plus encore qu’avec ses bras. »

 

Pour l’auteur, Le Toine se veut la synthèse de tous les vignerons de Bourgogne, et d’ailleurs.

 

La fresque est située dans la Côte chalonnaise.

 

 

Le Toine bricole à son établi, devant la fenêtre du magasin ; il remet des manches à ses pioches. D’un oeil, il regarde son travail, de l’autre, le Mont-Juillet, qui s’empanache de traînées d’un violet sombre. L’inquiétude le ronge : fin juillet, c’est la période la plus redoutable pour les orages, avec les environs du quinze août.

 

- « Pardi ! hier, c’était la Madeleine ; elle a pas fait sa fête ; des fois que nous, on pourrait ben, malgré nous, la faire aujourd’hui ! On a bougrement raison de dire :

 

« La Madeleine

 

Ne passe pas sans son étrenne ! »

 

Hélas ! Elle pourrait donc pas les garder pour elle, ses lugubres cadeaux ? Maudite pécheresse ! Elle sème à tous les vents le malheur de sa honte ; elle fait dégouliner, tout au long du ciel, ses larmes grosses comme des œufs ; un courant d’air, venu on ne sait d’où, les glace, et voici l’étrange couvée de grêlons qui s’abat sur le vignoble, pour le ravager.

 

(...) Il n’a pas le temps d’achever, qu’une espèce de queue rouge, attachée à une boule de feu, fouette tout du long la brume jaune ; ave ça, un craquement, oh ! mais, un de ces craquements ! Comme une charpente qui s’effondre.

 

-« Le tonnerre est tombé à Mercœur ! souffle l’Ugène à mi-voix. Un coup tout seul, comme ça, c’est le signal de ce qu’on sait que trop.

 

- Oui, répond le Toine. Misère de Dieu ! Tout est foutu. Ecoute !... »

 

On entend comme le roulement d’un train lancé à toute vapeur.

 

- « C’est ce que je disais ; c’est plus de la pluie ; v’là la grêle.

 

Les visages se figent ; sur celui de l’Ugène, se creusent les sillons des larmes silencieuses, prélude de la révolte qui gronde intérieurement.

 

Ça a duré au plus dix minutes, une éternité pour les deux hommes. Le bruit s’assourdit, s’estompe, s’éloigne. Le brouillard s’enlève, comme une toile de tente, pour ne rester attaché que d’un côté, là-bas, vers Rosey.

 

A la lumière retrouvée, l’Ugène bondit vers les ceps les plus proches. Le Toine le suit en reniflant et, machinalement, enlève son chapeau, comme on fait devant un mort.

 

-« Regardez-moi ça, hurle l’Ugène, si c’est pas une pitié ! Toutes les grappes par terre, les feuilles aussi ! Hein ! Travaillez donc ! A quoi ça sert ? Vous vous échinez toute une année, et au moment où ça commence à promettre, en cinq minutes, crac ! plus rien ! Ça fait déjà quatre fois que je vois ça, et j’ai guère que trente ans ! Nom de Dieu ! Vous voulez vivre avec ça, vous Toine ?

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