Chronique qui va fortement déplaire au milieu du concert de louanges joué sur Face de Bouc par les grands amateurs...
« Au fond, l’important, c’est que le vin soit honnête avec son terroir ou avec son vigneron, et qu’il raconte l’histoire qu’on a voulu lui faire raconter. Qu’on ne l’ait pas chargé en bois et en vanille pour faire illusion… »
C’est beau comme l’antique ne trouvez-vous pas mais si je suis ce Proust là, pas le Marcel bien sûr, il existe-donc des vins malhonnêtes et dans la foulée je me pose la question : à quoi reconnait-on l’honnêteté d’un vin ?
À la gueule de celui qui le fait ou de ceux qui le font ? À ce qu’ils disent, écrivent, sur l’art et la manière de conduire leurs vignes et de faire leur vin ? Au storytelling véhiculé par de bons communicants ?
Je ne sais !
Et vous qu’en savez-vous monsieur Proust ?
Êtes-vous si bien informé, ou mieux informé, que nous ? Faites-vous parti du cercle des initiés, ceux qui savent ce qui se passe dans le secret des chais et entre les rangs de la vigne ?
Dites-nous ?
L’honnêteté n’est pas une mention obligatoire sur l’étiquette.
Alors, si l’important est selon vous est l’honnêteté du vin, avec son terroir ou avec le vigneron qui le fait il va falloir que vous nous donniez la clé de votre méthode avec laquelle vous attribuez ce certificat d’honnêteté.
Ce que vous dites dans l’interview n’éclaire guère notre lanterne, sans vous offenser je crois que vous vous payez de mots en vous attribuant le pouvoir de juger qui de ce qui est honnête ou qui de ce ne l’est pas. Ou alors êtes-vous si bon public ce qui, après tout, ne serait que le paradoxe du comédien qui place dans sa bouche les mots des autres ?
Mais les mots à force de les galvauder, de mal nommer les choses, forment la trame de discours ronflants, qui brassent toujours le même air, enfument le bon peuple déjà terrorisé par son « ignorance crasse. »
Laure Gasparotto, dans le chapeau de son interview, dit que, lorsque vous lui répondez, « le ton est moins acide, plus tendre, que lorsqu’il vous êtes sur scène. »
J’eusse préféré que vous conserviez cette pointe d’acidité, celle qui tient la trame d’un vin, lui permet de s’exprimer, car vos réponses sont bien convenues. Ça sent le buveur d’étiquettes ripolinant son discours sous de belles phrases « Dans une bouteille, je cherche aussi la complexité et la pureté. Hélas, la complexité est rare. Et souvent chère. Encore qu’il existe des vins très chers ne racontant pas grand-chose d’autre que la spéculation qui existe sur leur nom.»
Et pourtant toutes vos références sont, et c’est votre droit, dans l’univers des vins qui tiennent le haut du pavé de la notoriété et des prix. Les grands vins dit-on.
« Château Larcis Ducasse, grand cru classé de saint-émilion 1971… »
« J’adorerais avoir dans ma cave uniquement des Mission 49, des Lafite 47, des Yquem 67, des Chapelle 61, des romanée-conti 69, des Richebourg 90, des vieilles «Cathelin» de Chave, des vieux Rayas, etc. »
Et les autres, où sont-ils placés dans votre univers ?
Bien sûr tout n’est pas bon à jeter dans vos réponses Gaspard Proust, vous savez vous faire lyrique, sensible :
«J’aime beaucoup le vignoble en terrasses des côtes-du-rhône. Je me demande toujours comment font les gens pour les travailler. Avec ce fleuve qui traverse le paysage, c’est spectaculaire. Quand je passe devant Château Rayas, je sais qu’il y a du sable. Quand je continue, voilà une forêt. Microclimat frais sur cette dalle à canicule qu’est le vignoble de Châteauneuf… Tout cela m’émeut »
Vous savez manier les mots, jouer à merveille des codes, séduire, il y a chez vous une forme de désinvolture élégante qui ne peut que plaire à un certain public, mes amis de la LPV.
« Un vin vieux, débarrassé des artifices et des oripeaux de l’élevage, est dans une forme de vérité. J’ai eu la chance de goûter … un 1929, qui s’était évaporé et dont le niveau était assez bas. C’était un Ausone. On a mis vingt minutes pour enlever le bouchon. Ce vin était émouvant au possible !
Il était loin d’être mort, mais il envoyait son dernier souffle, le testament de son année et de son terroir. Alors, soudain en vous quelque chose remonte. Qui étaient ces gens qui se sont penchés sur ces vignes, quel air respiraient-ils ? Pouvaient-ils se douter que ce n’est qu’un siècle plus tard que ce vin allait pousser son premier souffle ? Qu’il allait s’offrir timide, puis prendre peu à peu du corps et nous raconter son histoire ? Dans ces moments-là, tout devient plus lent, plus intense, plus beau. Le vin est une matière vivante. Le boire est une résurrection. Et puis, vient le temps où la bouteille s’achève. La particularité d’un vin qu’on ouvre, c’est que vous êtes convié à la fois à sa naissance et à sa mort. C’est un cadeau inestimable. »
Ce n’est que mon point-de-vue et sans doute ne correspond-il pas à celui des cénacles des grands amateurs. Mais il n’en reste pas moins vrai que la question initiale de l’honnêteté du vin reste en suspens et ça me chagrine car « Mal nommer les choses, jugeait Camus, c'est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité. »
Alors donnons aux choses leur nom :
Soyons tout d'abord terre à terre, au ras des pâquerettes :
Le vin pour circuler doit être sain, loyal et marchand…
Ces termes on les retrouve en permanence dans les textes juridiques, comme par exemple «… provenir de vins présentant les caractéristiques d'un vin sain, loyal et marchand, vinifié conformément aux usages locaux, loyaux et constants, à l'exclusion des vins avariés, de mauvais goût, ou de vins de dépôt en bon état de conservation. Dans tous les cas, les vins mis en oeuvre ne devront pas présenter une acidité volatile, exprimée en acide sulfurique, supérieure à 1,20 gr par litre. » La définition d'un produit liquide sain, loyal et marchand n'existe pas, en tant que telle, dans la réglementation viti-vinicole. Elle résulte, au plan national, d'une construction jurisprudentielle élaborée sur la base du décret du 19 août 1921, modifié, pris pour l'application de la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes.
Lire ICI ma chronique du 17 janvier 2013 sur le sujet
Loyauté : Caractère de ce qui est inspiré par cette fidélité aux engagements pris.
Honnêteté : Conformité (quant à la probité, à la vertu) à une norme morale socialement reconnue.
« Ce naïf compliqué croit dur comme fer qu'un homme de lettres, un journaliste, un député, même de l'espèce bien-pensante, bénéficie d'une sorte d'alibi moral, a droit à un traitement de faveur, ne peut être tenu, avec le commun des êtres raisonnables, d'observer les règles élémentaires de la simple honnêteté. » Bernanos, Imposture, 1927, p. 415.
- Dans le domaine des affaires, du commerce. Qualité de celui qui est fidèle à ses obligations, à ses engagements, qui ne cherche pas à tromper; qualité de ce qui est fait en respectant les engagements pris, sans tromperie.
« Larsonneau s'était si admirablement conduit dans l'affaire de Charonne, que Saccard (...) poussa l'honnêteté jusqu'à lui donner ses dix pour cent et son pot-de-vin de trente mille francs Zola, Curée, 1872, p. 587).
- Dans le domaine de la vie intellectuelle, de la création artistique. Rigueur, franchise.
« Je garde ma foi dans une patrie où chacun s'efforcera de comprendre les raisons des uns et les excuses des autres. Alors se lèveront les jours bénis où il y aura de nouveau assez de place dans les prisons pour les condamnés de droit commun, où écrivains et journalistes, ruisselants de bonne foi et d'honnêteté intellectuelle, auront appris à se méfier du destin redoutable qui peut tenir dans leur stylo, où il ne sera plus nécessaire d'ergoter sur ce que signifie trahison et intelligence avec l'ennemi. Mauriac. 1945, p. 482.
Si vous souhaitez lire l’intégralité de l’interview c’est ICI (peut-être n'y aurez vous pas accès si n'êtes pas abonnés au Monde, je peux vous faire parvenir le texte à la demande ou allez acheter le Monde papier )
Les 6 règles de l’honnêteté intellectuelle ICI