J’élague !
La lucidité de George Sand « Il ne faut jamais avoir honte de ses lettres d’amour, mais parfois de l’adresse. »
Ma propension à hiberner atteignait des sommets. Claquemuré je tentais colmater les brèches qui s’ouvraient de partout. Cette fois-ci je ne pouvais fuir, m’échapper. Le piège s’était refermé. Mes journées s’étiraient, se diluaient en une attente insupportable. Confronté pour la première fois de ma vie avec un manque profond je me laissais aller, me consumais. Il m’arrivait d’en rire. Rire seul, se moquer de soi-même, cruelle ironie de la complaisance, je ne touchais que la monnaie de ma pièce, le retour en boomerang de mon insondable égoïsme. Émilie ma volute, s’était échappée, même si elle ne savait pas où la menait le nouveau chemin qu’elle empruntait. Qu’importait ! S’apitoyer sur soi : intolérable orgueil, il me fallait me soumettre et rien que ce mot me glaçait. Toute ma vie j’avais forcé le cours des choses, plié les autres à ma volonté, à mes rêves et mes désirs, le temps était venu de faire mon deuil, de tourner la page : je ne pouvais l’aimer avec un quelconque espoir de retour. Alors je l’aimerais tout court car je l’aimais comme un dingue, de cette folie planquée sous mes grands airs, ma soi-disant distance. Allais-je abdiquer, lâcher prise ? Non j’allais grappiller, laisser de côté mon amour-propre, me foutre comme de ma première chemise de mes échecs, me contenter de peu. Ne rien concéder, prendre le risque de me faire jeter, c’était si neuf que ça me perfusait une rage indestructible. Somme toute la vie était belle, j’allais l’aimer sans me soucier, léger, me fondre dans son paysage, lire et écrire enfin sans me préoccuper du lendemain.
« Les rêves sont les seuls réceptacles de l’intime ».
Inscrire en exergue du Mauriac pur sucre « Il y a une manière d'être long, qui consiste à ne pas élaguer, à ne pas choisir et qui n'est en rien un signe de richesse. »
Étrange sensation tout autour de mon bunker, de mon balcon je contemple les bataillons de manifestants montant vers Denfert, pancartes, banderoles, équipement suranné, un autre monde, le passé, dépassé, mélange étrange de vieux briscards des défilés syndicaux, jeunes qui s’enivrent d’une improbable révolution, l’inatteignable rêve du peuple de la rue embastillé par les briseurs de rêve des appareils. Beaucoup livrent bataille sur les réseaux sociaux en évoquant la Grèce des généraux : Z de Costa-Gavras avec le petit juge Trintignant, Montand le politique et les barbouzes aux lunettes noires en oubliant l’Aveu avec le même Montand et ses lunettes de soudeur face à ses tortionnaires et ses juges aux ordres du socialisme réel. Ils raillent les social-traîtres mais où seront-ils dans 10 ans ?
Et puis, lorsque je m’extirpe de mon isolement, à vélo je croise des hordes de supporters beuglant, pack ou pinte de bière à la main, mais pourquoi dit-on qu’ils sont avinés ? Le foot, le foot, le nouveau jeu du cirque médiatique, mais n’est-ce pas aussi ce peuple dont se gargarisent ceux qui se parent facilement des oripeaux des Brigades Rouges ou de la Fraction Armée Rouge de ma jeunesse. Jeu de rôles insupportables entre un pouvoir en état de désintégration et des appareils obsolètes : n’est-ce pas là un prurit d’un pays qui ne sait plus se parler, s’entendre, brassant à souhait, à l’infini, son incapacité à affronter la réalité d’un monde où le non de ceux qui excluent et celui de ceux qui veulent accueillir toute la misère du monde se mélangent. Les éclatements, les césures, mènent à l’exacerbation des nationalismes, des guerres, du sang.
« On a appelé le XXe « le siècle de Sarajevo ». les cycles de l’histoire se moquent des chiffres ronds et de la façon dont, depuis toujours, l’humanité les arrête. Une époque s’épuise quand le temps est venu, elle ne tient pas compte des dates. On dit par convention que le XXe s’ouvre le 28 juin 1914 avec l’assassinat de l’archiduc par Gavrilo Princip. Pour les livres d’histoire le rapport de cause à effet ne pose pas de problème. Gavrilo appuie sur la détente et la Première Guerre mondiale éclate, on perd quasi dix millions de soldats et six millions de civils, sans compter les morts des « dommages collatéraux », épidémies, pénuries, famines. Autre convention : le siècle se termine à Sarajevo, emblème de toutes mes guerres des Balkans dans les années 90.
[…]
« Le temps écrase les perspectives, comprime les faits, érige des symboles, fait confiance à la vulgate. Homère raconte la guerre de Troie des siècles après qu’elle a eu lieu et il la sort de son contexte : la lutte pour le contrôle des Dardanelles et du Bosphore, passage essentiels pour le commerce. Il s’arrête aux personnages. »
[…]
Là, à l’endroit où l’Europe annonce l’Asie, une femme fatale. Ici, à l’endroit où l’Europe annonce l’Orient, un pénalty fatal lire ou relire ma chronique de dimanche dernier Un nouvel Homère des Balkans pourrait gloser ainsi : il existait un jeu assez répandu et suivi qu’on appelait le football. Faruk devait sauver l’existence d’une nation avec un pénalty. Il le rata. Ce fut la guerre dans toute la région. Il pourrait gloser ainsi en vertu d’une aptitude toute yougoslave à chercher un bouc émissaire, à privilégier la narration épique aux dépens de la complexité d’analyse. Ce fut le cas avec l’irrédentiste yougoslaviste Gavrilo Princip, c’est encore le cas – bien que la distance rende les comparaisons un peu boiteuses – pour le yougoslaviste Faruk Hadzibegic.
Par crainte d’attiser les frictions entre grandes puissances, trop graves pour qu’on leur trouve un remède, on choisit clairement et immédiatement de mettre sur le dos de Princip et de ses complices une responsabilité qui les dépassait, bien trop grande pour eux. On s’absout soi-même en focalisant sur l’acte f=criminel d’un étudiant de 19 ans.
« Je pensais que l’attentat contre l’archiduc n’aurait pas de conséquences graves, mise à part ma condamnation…J’aimerais dire que j’avais des remords. Mais mon acte a eu des conséquences qu’on ne pouvait en aucune façon évaluer ni prévoir. Si j’avais pu imaginer la dérive qui a suivi, je me serais assis moi-même sur ma bombe pour me faire exploser. » déclarera lors de son procès Nedeljo Cabrinovic, qui avait raté le précédent attentat. »
Gavrilo Princip, en dernier. Jamais repenti, avec cette seule note de contrariété : « je ne prévoyais pas qu’après l’attentat il y aurait la guerre. Je croyais que l’attentat aurait agi sur la jeunesse, l’aurait incitée à propager les idées nationalistes. »
Ivic Osim le Bosniaque, le dernier sélectionneur de l’équipe de Yougoslavie, s’interroge :
« Je me demande ce qui serait arrivé si nous avions battu l’Argentine. Peut-être suis-je trop optimiste, mais dans mes rêves secrets je me demande ce qui serait arrivé si nous avions joué la demi-finale, ou la finale. Je veux dire : ce qui serait arrivé dans le pays. Peut-être que nous n’aurions pas eu la guerre, si nous avions gagné la Coupe du monde. Peut-être pas, mais je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer. Et donc, quand je suis allongé sur mon lit et que je ne dors pas, je me dis que les choses auraient pu s’arranger, si nous avions gagné la Coupe du Monde. »
Signé Gigi Riva
Le foot, le foot, illustration dans le Télégramme de Zagreb
« La Fédération croate de football est gangrenée par la politique et la corruption, ce qui rejaillit sur la sélection nationale, s’insurge ce quotidien de Zagreb. Ecœurés, de nombreux Croates ont décidé de ne pas encourager les Ardents pour l’Euro, au risque d’être accusés d’antipatriotisme.
« Les sportifs sont les meilleurs ambassadeurs de notre pays », disait le premier président croate [de 1990 à 1999], Franjo Tudjman. Au début des années 1990, presque tout le monde partageait ce point de vue : la Croatie était une jeune nation, encore en guerre à l’époque, et sa reconnaissance était à construire.
Soutenir l’équipe nationale de la Croatie, est-ce toujours faire preuve de patriotisme ? Est-ce le signe distinctif qui sépare les Croates loyaux de ceux qui ne le sont pas ? La réussite des Ardents [les joueurs de la sélection croate] est-elle une question d’intérêt national ? Autrement dit, est-ce un acte antipatriotique de ne pas supporter l’équipe nationale de football ?
La Croatie, nouveau favori de l’Euro ?
Dans les sociétés démocratiques, il est tout à fait normal et légitime de se moquer royalement du parcours de sa sélection nationale lors d’une grande compétition. Quand on est amateur de football, il est logique de soutenir son club, mais une éventuelle absence de soutien à l’équipe de son pays ne saurait être qualifiée d’antipatriotique. Car le patriotisme peut s’exprimer de diverses façons : en payant ses impôts et en respectant les lois nationales, par de belles performances dans le monde de l’économie ou de la culture, ou par un engagement visant au développement de la communauté locale ou de la société en général. Le patriotisme ne se mesure pas obligatoirement par le soutien à l’équipe nationale de football ou au représentant du pays à l’Eurovision.
Corruption et fascisme à tous les étages
Il faut rappeler que le foot reste, malgré ses implications sociales, juste un jeu. Mais en Croatie, les enjeux dépassent le jeu. Nous avons une Fédération nationale antidémocratique contrôlée par un seul homme, Zdravko Mamić, poursuivi par la justice pour des actes criminels et une fraude de plusieurs millions d’euros. Il existe un grand mépris à l’égard de la deuxième ville du pays (Split), de son équipe (Hajduk) et de son stade, au profit du Dinamo de Zagreb. Nous avons un président de la Fédération nationale de football, Davor Šuker, qui se fait photographier à Madrid sur la tombe d’un chef fasciste [Ante Pavelić, président de l’Etat indépendant de Croatie, fondé en 1941 avec le soutien de la puissance occupante allemande], qui reçoit des conseils de paris d’un roi des matchs truqués condamné par la justice allemande. Et qui ose affirmer que l’Etat, c’est-à-dire les contribuables, doit lui verser plus d’argent.
Nous avons un sélectionneur national, Ante Čačić, nommé à ce poste malgré un manque chronique d’autorité, de notoriété, d’expérience et probablement du savoir indispensable pour diriger une équipe à fort potentiel. Mais cela ne compte pas. Ce qui compte, c’est qu’il soit un produit maison, ouvert à toutes sortes de suggestions. Son assistant [Josip Simunić] n’a même pas le brevet d’entraîneur, mais il a excellé en hurlant le salut nazi dans les tribunes du stade de Zagreb.
De quoi vous dégoûter du maillot à damier
Nous avons des joueurs qui se taisent et approuvent tout cela tacitement. Nous avons un ministre des Sports qui fait tout son possible, y compris en recourant au mensonge, pour empêcher l’application de la loi censée introduire un peu d’ordre dans le football croate, car cela ne convient pas au big boss Zdravko Mamić. Sont-ils les meilleurs ambassadeurs de notre pays ?
Il y a là matière à vous dégoûter et à vous passer l’envie d’enfiler le maillot à damier pour l’Euro. Au risque d’être qualifié d’antipatriotique par ceux qui gouvernent notre football et la politique. Toutefois, soutenir une équipe relève de l’intime et n’a rien à voir avec l’Etat ou la Fédération, encore moins avec le patriotisme.
De plus en plus de gens ne reconnaissent plus leur équipe dans les Ardents. Ils se rendent compte que le patriotisme affiché ne sert qu’à cacher les intérêts crapuleux d’un groupe de personnes qui monopolisent les sentiments intimes, au nom d’un nationalisme dur, voire de sympathies pour le régime oustachi de la Seconde Guerre mondiale. »
François Hollande parie gros avec l'Euro
L’attente est forte, l’ambition est élevée. Toutes les conditions ont été réunies pour que vous puissiez être concentrés dans la compétition et engagés vers votre objectif. » Dimanche soir, avant de passer à la table des Bleus à Clairefontaine, François Hollande s’est voulu rassurant : rien ne peut détourner la bande de Didier Deschamps de son objectif, la victoire. Comme si le chef de l’Etat en quête de bonnes nouvelles voulait chasser les menaces qui planent au-dessus de cet Euro si capital. Pour le pays... et pour lui.
« L’Euro c’est la COP21 du football », résume d’un trait l’un de ses collaborateurs, en référence à la grand-messe diplomatique et climatique qui, en décembre dernier, avait réuni au Bourget plus de 170 chefs d’Etat et de gouvernement. Or, comme si la grogne sociale et le danger terroriste ne suffisaient pas, les inondations sont venues s’ajouter au climat anxiogène à quelques jours du match d’ouverture.
« Le président est inquiet, c’est vrai, même si nous sommes mobilisés », reconnaît un ministre de poids. Hier, au micro de France Inter, la priorité était donc de déminer, notamment sur le front social : « La compétition n’a rien à craindre », assure le président qui, toutefois, est à la limite d’adresser un carton jaune aux grévistes. « Personne ne comprendrait que la grève des trains ou des avions puisse empêcher le déplacement des spectateurs. » Les inondations ? « Aucune conséquence. » Ce qui le préoccupe le plus, c’est la sécurité. « Il y a très clairement une menace terroriste. [...] Mais nous avons mis tous les moyens. » Dans l’équipe type de François Hollande pour diriger l’Euro, Bernard Cazeneuve (Intérieur) se trouve ainsi propulsé en pointe, éclipsant le ministre des Sports. A cheval sur le maintien de l’ordre, Manuel Valls lui est à la baguette au milieu du terrain...
Malgré les risques, François Hollande a voulu « le maintien de la compétition ». Selon une étude du Centre de droit et d’économie du sport (CDES), « l’Euro 2016 apportera un surcroît d’activité économique de 1,2 Md€ ». Et la création de 26 000 emplois. De quoi contribuer à inverser la courbe du chômage et à donner un peu plus de contenu à la ritournelle présidentielle du « ça va mieux ». Même Karim Benzema est renvoyé aux vestiaires. « Il ne doit pas y avoir de polémique », balaie Hollande, réfutant que l’équipe de France soit « raciste ».
A tous les niveaux, c’est l’image de la France qui est en jeu, notamment dans l’optique de la candidature de Paris aux JO de 2024. Le 5 août, le chef de l’Etat est attendu à Rio. « S’il arrive avec un Euro plombé, c’est foutu », glisse le député PS Régis Juanico, qui dirige le groupe parlementaire de soutien à la candidature.
Sans compter l’enjeu présidentiel. A un an de l’élection de 2017, rater l’Euro, c’est se mettre définitivement hors-jeu. Même si l’inverse ne garantit pas une embellie à la façon d’un Jacques Chirac surfant, en 1998, sur l’effet Coupe du monde. Selon un sondage Yougov pour i>télé, une victoire des Bleus « n’aura pas d’impact sur la popularité de François Hollande » pour 47 % des Français, contre 36 % qui pensent le contraire. Il n’empêche : outre les prestations de l’équipe de France, le président assistera avec la chancelière Merkel au match Allemagne - Pologne en ayant bien l’intention de mouiller le maillot. Ça tombe bien : hier, juste après avoir mangé un plat de pâtes à Clairefontaine à la table de Didier Deschamps et du capitaine Hugo Lloris, les Bleus lui ont offert un maillot dédicacé et floqué du no 24. Comme le 24e homme...
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Hollande présent (et démonstratif) à tous les matches des Bleus : en fait-il trop ?
ASSIDU - L'image François Hollande jouant les supporters enflammés mercredi soir lors du France-Albanie amuse les réseaux sociaux. Le président de la République compte bien enchaîner les matches durant le mois qui vient. Est-ce bien raisonnable ?
François Hollande n'en loupera pas un. Le chef de l'Etat, qui a déjà assisté aux deux premiers matches de la France, contre la Roumanie le 10 juin et contre l'Albanie mercredi soir, va se livrer à un véritable marathon footballistique durant l'Euro 2016. Dimanche, il se rendra, en bon supporter, à la rencontre France-Suisse au stade Pierre-Mauroy, à Villeneuve d'Ascq.
Diplomatie sportive
Avant même le départ de la compétition, l'Elysée avait clairement balisé le terrain : le Président sera de tous les matches des Bleus et se rendra à la finale, quelles que soient les équipes. Il fera même des à-côtés à dimension diplomatique : il est ainsi attendu samedi au Portugal-Autriche avec les dirigeants de ces pays. Ce qui fait, pour cette seule semaine, quatre matches. Ce n'est pas fini : pour tous les autres matches, le protocole prévoit la présence d'un membre du gouvernement. Faut-il en faire autant ?
Que François Hollande soit un véritable fan de football, nul n'en doute. Qu'il veuille faire de l'Euro 2016, en pleine agitation sociale et sous la menace de nouveaux attentats, une occasion de "remettre le pays de bonne humeur", il l'assume lui-même.
De là à en faire de la récupération politique… A droite, on se souvient de l'assiduité de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy lorsqu'ils étaient en fonction et on se garde bien de se moquer.
Certains s'affichent même avec François Hollande, comme le président de la région Paca, Christian Estrosi, qui a publié une photo du petit gueuleton "protocolaire" avec le président albanais à la mi-temps. Image qui fait beaucoup ricaner sur Twitter.
Mais dans le climat actuel, certains s'interrogent sur l'opportunité d'en faire autant sur l'Euro 2016. "Le fait qu'il aille aux matches, ça ne me choque pas", explique le sénateur LR Roger Karoutchi, proche de Nicolas Sarkozy, à metronews. "Mais que François Hollande soit aussi démonstratif à chaque but pour gagner 0,1 point de popularité, c'est démago en diable. Du reste, en période d'état d'urgence, peut-être qu'un peu moins de ministres dans les tribunes et un peu plus dans les bureaux serait plus rassurant."
Les Français, en tout cas, ne devraient pas mettre cela au passif de François Hollande. Selon un sondage Odoxa pour i-Télé à l'ouverture de l'Euro 2016, 62% d'entre eux estimaient que le président n'en fait pas trop pour soutenir les Bleus, et 53% qu'il est dans son rôle lorsqu'il supporte l'équipe nationale. Des scores auxquels le chef de l'Etat n'est pas vraiment habitué.