Thomas Snégaroff, le mardi 29 septembre 2015, sur France-Info, racontait « Dans les années 1950, l’État s'attaque fortement à l'alcoolisme infantile qui sévit dans les foyers mais aussi dans les écoles! Certains parents s'y opposent...
Retour en février 1956. Et il y a près de soixante ans en France, l’enjeu n’était pas encore la présence ou non de menus de substitution dans les cantines. Non, à l’époque certains parents exigeaient autre chose pour leurs enfants le midi à l’école :
« Un certain nombre de parents mettent dans le panier de l'enfant la boisson de leur choix et qui est souvent 1/2 litre de vin, ou de cidre, ou de bière suivant la région. J'ai eu vent récemment, dans la région parisienne, d'un petit drame: les parents insistant pour que la boisson soit donnée aux enfants, le discours s'y refusant, les parents ont décidé que les enfants boiraient leur vin avant d'aller à l'école. Les enfants arrivent à l'école rouges, suant et dorment à moitié toute la matinée... »
Cette voix est celle du docteur Suzanne Serin, chef de clinique en hôpital psychiatrique, qui évoque à la radio le problème de l’alcoolisme infantile.
Rappelons-nous, dans le film-culte d’Yves Robert, La guerre des boutons, la réplique du Petit Gibus : « C’est bon la goutte ! » Jacques Dufilho claironnant « Le Calva ça n’a jamais fait de mal à personne !»
À la Mothe-Achard, dans mes jeunes années, je n’ai pas fréquenté la cantine pour la bonne et simple raison qu’il n’y en avait pas. De toute façon je n’ serais pas allé car j’habitais à deux pas de l’école. J’étais un gars du bourg (sans jeu de mots car le lieu-dit de la maison familiale était le Bourg-Pailler). Ceux des fermes mangeaient à la gamelle sous le préau de l’école.
Je n’ai aucun souvenir de mes petits camarades biberonnant du rouge. Et pourtant, en ce temps-là en Vendée presque tout le monde possédait des bouts de vigne. 10ième département viticole et 2d pour l’alcoolisme juste derrière le Calvados. Régulièrement, nous voyions partir, « aux fous » disait-on, à l’hôpital psychiatrique départemental de la Grimaudière, les poivrots qui allaient se faire désintoxiquer. Chez-moi, en dehors de légèrement colorer de temps en temps l’eau du puits il était hors de question de s’enfiler un verre. Quant à la goutte, la gnôle, que mon père « bouilleur ambulant » fabriquait avec son alambic pour tous les récoltants, « le droit des bouilleurs de crus » dont PMF supprimera la transmission, les parents n’en mettaient pas dans les biberons et les mères veillaient à notre tempérance.
Pierre Mendès-France fut baptisé Mendès-lolo pour sa distribution de lait dans les écoles en 1954, une décision radicale afin d’éradiquer la présence de l’alcool à l’école. Il s’est aliéné ainsi le vote de ceux qui lui reprochait sa croisade contre les bouilleurs de cru et a été vilipendé dans les campagnes. Pour autant, était-ce un mauvais dirigeant politique ? Il était l’élu d’un département normand, l’Eure, où l’on ne suçait pas que de la glace et son combat était respectable.
Alors, tous ceux qui se lamentent sur le « C’était mieux avant » oublient que le vin, la bière et le cidre ont fait des ravages dans nos campagnes et dans ce qu’on appelle aujourd’hui les banlieues alors peuplées par la vague de l’exode rural. Les ligues antialcooliques se font fondées sur ce terreau et, si aujourd’hui, on peut pendre le parti d’en rire, elles participaient au mouvement d’émancipation populaire très ancré à gauche.
Le RP Denis Saverot, jamais en reste de monter sur ses grands chevaux, avec son gros marteau établissait dans un édito en 2011 un lien de cause à effet entre la lutte contre l’alcoolisme, la chute de la consommation de vin et l’explosion de celle des tranquillisants. Je le cite :
« Officiellement, il s’agit de lutte contre l’alcoolisme. Le résultat, c’est l’explosion des ventes d’anxiolytiques et d’antidépresseurs, dont notre pays est devenu le premier client européen. »
« Depuis 1960, la consommation de vin a été divisée par plus de deux dans notre pays. Or, au cours de la même période, les ventes de tranquillisants ont bondi de zéro à plus de 60 millions de boîtes par an. C’est un fait, la France officielle a tourné le dos à son vin, le plus subtil, le plus civilisé des anxiolytiques, celui que le monde entier nous envie, pour gorger son peuple d’antidépresseurs. Avec quel succès ! Plus, ils en ingurgitent, plus nos concitoyens sombrent dans la morosité et le pessimisme, comme l’a souligné un récent sondage international. »
Je lui avais répondu ICI :
Mais de quel vin parlez-vous Denis Saverot ?
Celui de Roland Barthes dans Mythologies (1957) cette boisson totem qui se chiffrait en millions d’hl ou les vôtres, ceux qu’à juste titre vous défendez, qui se comptent en bouteilles ?
Ce passage du singulier au pluriel est capital car cette consommation dont vous regrettez la chute vertigineuse cachait d’énormes disparités : de très gros buveurs de Vin de Consommation Courante, des ouvriers, des marins-pêcheurs, des mineurs, des travailleurs de force qui gonflaient le chiffre de la consommation moyenne per capita et les buveurs réguliers ou occasionnels dont la dose journalière restait modeste. L’alcoolisme se nichait là Denis Saverot et le combat d’un Mendès-France député de Louviers en Normandie, raillé (Mendès lolo : distribution de lait dans les écoles), était légitime. Je suis natif de la Vendée, classée à l’époque de ma jeunesse second département alcoolisé de France après le Calvados et je puis témoigner du nombre impressionnant de mes compatriotes qui allaient régulièrement se faire désintoxiquer à la Grimaudière (aux fous disait-on en ce temps où le langage ne prenait guère de précaution)
Mon combat constant contre les prohibitionnistes de toute obédience me permet aussi de contester le lien que vous faites entre la chute de la consommation de vin et l’explosion de l’absorption de tranquillisants. Que ça vous plaise ou non, Denis Saverot, les causes de cette surconsommation sont de même nature que celles qui poussent nos compatriotes à boire avec excès, y compris du vin. Je ne vais pas avoir l’outrecuidance de vous rappeler que ces causes sont multiples : médicales, économiques, sociales, sociétales : stress, solitude, monoparentalité, modèles de consommation radicaux... etc. Que les prescripteurs de médicaments aient failli à leur mission je suis le premier à le reconnaître mais n’écartez pas d’un revers de main la forte demande des patients qui s’exercent sur eux : le Médiator a été prescrit comme coupe-faim car l’obsession de la ligne est aussi un fait de société. Que la consommation de vin soit un facteur de sociabilité ce n’est pas à celui qui a tenté, dans l’indifférence de la RVF, d’initier l’Amicale du Bien Vivre, que vous allez faire un dessin.
À trop vouloir prouver Denis Saverot le risque est grand de prendre un beau râteau dans la tronche, d’alimenter le camp d’en face qui s’appuie, comme le disait avec morgue le Pr Got sur une majorité de nos concitoyens. Certes ça fait plaisir à une partie de vos lecteurs, ça les confortent, eux qui ne boivent, que dis-je, ne dégustent, que des hauts nectars, dans leurs idées reçues. Ce type d’affrontement est vain et inutile car c’est celui des extrêmes qui ne débouche que sur de l’incompréhension et de l’immobilisme. Au risque d’être taxé de provocation j’affirme que ces dernières années le vin, les gens du vin, ont marqué des points dans l’opinion publique et qu’il suffirait pour transformer l’essai - les politiques sont des élus et ils sont fort sensibles au poids des bulletins de vote - de laisser au camp d’en face des arguments éculés du même type que ceux qu'ils utilisent pour nous discréditer. »
Ma jeunesse sobre ne m’a en rien empêché d’aimer le vin et j’ignore, pour n’en avoir jamais consommé, ce que sont les antidépresseurs. Alors cessons de véhiculer des images éculées du bon vieux temps où le vin pouvait être servi aux gamins. Autre temps, autres mœurs, je n’en disconviens pas, les gamins touchent aujourd’hui à des substances aussi redoutables, mais ça ne justifie pas des couplets qui méconnaissent ce que fut l’histoire de l’alcoolisme dans notre pays.
Récemment, autour d’un verre, au Lapin Blanc, j’ai rencontré un jeune homme dont le frère avait sombré dans l’alcoolisme. Écouter ses propos aurait fait le plus grand bien à tous les Saverot de chez nous. Drame humain, familial, déchéance sociale et puis, grâce au combat du Dr Olivier Ameisen, la baclofène l’a sauvé…