Celles et ceux qui me connaissent intimement savent que j’ai l’âme d’un moine cistercien, un défricheur de la Toile qui, inlassablement poursuit sa mission d’éducation populaire auprès des jeunes pousses comme des vieilles branches scotchées à leur écran.
Dimanche dernier, en une enclave de la Bourgogne à Paris, le restaurant Les Climats, sis rue de Lille, à l’ombre de la Caisse des Dépôts et Consignations, le chef Julien Boscus nous avait préparé en entrée pour la Paulée : une Terrine que j’ai baptisée sauvagine.
*« Ensemble des oiseaux sauvages qui ont le goût sauvagin (Se dit du goût ou de l'odeur particulière de certains oiseaux sauvages.)» dit le Larousse.
Qu’est-ce donc une terrine ?
Permettez-moi un petit saut dans l’Histoire :
- On lit dans le Dictionnaire général de la cuisine française d’Alexandre Dumas :
Terrine : « Entrée, qui tire son nom de l'usage où l'on était autrefois de servir la viande dans la terrine même où elle avait été cuite, sans aucune autre sauce que le mouillement qu'elle avait produit. Aujourd'hui la terrine est composée de plusieurs sortes de viandes cuites à la braise, qu'on sert dans un vase appelé terrine, soit d'argent ou de porcelaine, avec telle sauce, coulis, ragoût ou purée qu'on trouve bien d'y ajouter.
Les terrines de foies de canards de Toulouse et celles de Nérac, qui sont garnies de perdreaux aux truffes, ont une juste réputation ; mais tout cela doit céder à l'ancienne terrine du Louvre, ainsi qu'elle est formulée par Leclerq. »
Terrine à l'ancienne mode.
Faites cuire avec du bouillon un poulet gras, une perdrix, le râble d'un lièvre, une noix de veau et une noix de mouton, le tout piqué de lard moyen bien assaisonné de fines herbes et d'épices. Laissez tout cela bouillir ensemble. Pelez ensuite des marrons grillés, nettoyez-les convenablement et mettez-les à cuire avec les viandes. Fermez bien la terrine et lutez-la de pâte ferme, afin que tout cela cuise en son jus. Dégraissez la sauce avant de la servir, et ajoutez-y pour lors un gobelet de vin des Canaries.
Terrines d'ortolans.
Hachez en portions égales la chair d'un ou deux perdreaux et de la panne de porc ; ne vous contentez pas de hacher, mais assaisonnez et pilez jusqu'à ce que la pâte soit bien lisse, coupez les cous et les pattes des ortolans, étendez une couche de farce dans la terrine, semez dessus de la truffe.
Rangez sur votre farce un lit d'ortolans que vous assaisonnez de sel épicé ; mettez une seconde couche de farce sur laquelle vous semez de nouveau des truffes ; couchez une autre rangée d'ortolans que vous assaisonnez comme la première. Finissez par une couche de farce et de truffes, couvrez de bardes de lard, mettez une feuille de laurier dessus, couvrez la terrine et faites cuire.
Mais la terrine est aussi un contenant
- « De forme ovale, la terrine est un récipient en général posé sur un plateau, doté d'une doublure et accompagné d'une grande cuillère ovale ainsi que d'une fourchette à servir. L'origine de la terrine est quelque peu mystérieuse ; il est probable que ce type de récipient soit une imitation luxueuse des récipients de terre modestes, sans pied ni anse, utilisés dans les cuisines pour la cuisson des pâtés. Néanmoins il semblerait que l'on servait dans les terrines d'argent des recettes se rapprochant plutôt du ragoût. Accompagnées de pots à oille, de forme ronde, les terrines faisaient partie des éléments les plus importants des services de table. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, un nombre constant et égal de terrines et de pots à oille est intégré aux services, mais cet équilibre ne dure pas. »
- « Tians et terrines ont une étymologie commune : le tian est un mot provençal ancien, issu du grec tegamon qui signifie poêle à frire, qui désigne un plat en terre cuite ; et terrine est issu du vieux français terrin, attesté dès le XIVe siècle et qui désigne un pot de terre.
C'est donc le même plat en langue d'Oïl - la terrine – ou en langue d'Oc - le tian -. La principale différence entre ces deux plats en terre est que le tian est un plat en terre vernissé le plus souvent rectangulaire et découvert, alors que la terrine, vernissée ou non, est toujours recouverte d'un couvercle.
Ce ne sont pas les seuls plats traditionnels de la cuisine qui doivent leur nom au récipient : ainsi le nom de cassoulet provient de la cassole d'Issel, petite cité proche de Castelnaudary, où l'on fabriquait les plats en terre cuits au four où l'on cuisait le cassoulet à four doux pendant plusieurs jours en perçant la croûte au moins six fois. Il en est de même des tajines arabes, qui dénomment à la fois le récipient tronconique et le plat qu'il contient.
Tians et terrines La chronique Histoire et Gastronomie de Jean Vitaux
- « Il ne fut pas dit une parole pendant le court trajet de la jetée de Guérande à l’extrémité du port du Croisic, endroit où se charge le sel que des femmes apportent dans de grandes terrines placées sur leurs têtes, et qu’elles tiennent de façon à ressembler à des cariatides. Ces femmes vont pieds nus et n’ont qu’une jupe assez courte. »
Honoré de Balzac La Comédie Humaine.
D’où vient-elle ?
- « Le maréchal de Contades, commandant militaire d'Alsace, de 1782 à 1788, craignait de se soumettre au régime culinaire de cette province, emmena avec lui son cuisinier, lequel se nommait close et était Normand. Il avait conquis la haute société de l'époque dans la haute société de l'époque la réputation d'un habile opérateur.
Le cuisinier normand avait deviné ce que le foie gras pouvait devenir entre les mains d'artiste. Avec le secours des combinaisons classique empruntées à l'école française , il avait élevé , sous forme de pâté, à la dignité de mets souverain en affermissant et en concentrant la matière première , en l'entourant d'une farce de veau et de lard haché que recouvrait une fine cuirasse de pâte dorée et historié . Tel était le pâté de foie gras à son origine.
En 1788 le maréchal de Contades fut remplacé par le maréchal de Stainvillier. Close entra pendant quelques temps chez l’évêque de Strasbourg, mais ayant assez de la servitude, épousa la veuve d'un pâtissier français nommé Matie, s'établit à Strasbourg et , pour la première fois, on vit vendre ces merveilleux pâtés, qui jusque-là avait fait les délice exclusif de Mgr L'évêque , de M. de Contades et de leurs convives .
La Révolution éclata et les parlements venaient de disparaître avec l'ancien régime ; les monarques licenciaient leurs cuisiniers quand, par hasard, celui du président du parlement de Bordeaux vint chercher fortune à Strasbourg.
Il était jeune, intelligent, ambitieux et se nommait Doyen.
Il débuta d'abord par les plus modestes confections, notamment par les chaussons de pommes, dans lesquels il excellait, puis il trouva les chaussons de veau hachés ; mais le pâté de Close l’intéressait au plus haut point ; il lui manquait quelques choses ; il trouva.
Doyen lui ajouta la truffe parfumée du Périgord et l’œuvre fut complète. »
Histoire de la terrine ou du pâté de foie gras J. FAVRE Dictionnaire universel de la cuisine.1895
Mais revenons à la terrine populaire, dite de campagne servie avec des petits oignons, des cornichons et du vrai pain à la mie serrée et à la croûte croquante qui a été extirpée de l’oubli par les chefs de la bistronomie : Yves Camdeborde, Rodolphe Paquin, Thierry Breton…
Si vous souhaitez faire le tour de la question 2 livres : Terrines de Rodolphe Paquin et Terrine de Stéphane Reynaud.
Pour celle de Julien Boscus la sauvagine il faut :
- Le gibier de chez « Huguenin » le roi du gibier à Paris Colvert, des Perdreaux, des Palombes, du Lièvre et de la Grouse…
- Faire cuire ces charmants et sauvages volatiles…
- Les « épibosser » et les mélanger…
- Préparer les terrines, les chemiser…
- Cuire le tout au bain-marie
- Démouler puis découper
- Servir en assiette…
Déplier sa serviette et se régaler, entre chaque bouchée boire 1 Saint-Aubin 1er Cru 2014 Les Murgers des Dents de Chien de Dominique Derain.
La Terrine de Gibier est au Menu déjeuner des Climats : parfumée au marc de bourgogne, moutarde de Crémone, cornichon de la maison Marc et pain de seigle toasté.