Grande première dimanche passé, dans un grand chai néo-art déco de la rue de Lille qui bute sur la rue de Beaune, les tauliers Carole Colin et Denis Jamet, organisaient au lieu-dit Les Climats la première paulée parisienne.
C’est quoi une paulée ?
Dans son Dictionnaire du Monde Rural Les Mots du passé Marcel Lachiver explique c’est qu’est une paulée : « En Bourgogne, repas et réjouissances qui suivent la fenaison, moisson et vendange, et qu’à Dijon on appelait tue-chien. On trouve aussi pêlée, poêlée, dans certaines régions on écrit aussi pôlée. En Bourgogne, la tradition de la paulée des vignerons a repris en 1923. »
Comme toujours, poursuivant inlassablement mon œuvre d’éducation populaire, je vous offre, avant d’aborder le versant moderne de la paulée, un morceau de choix tiré du livre d’André Lagrange « Moi je suis vigneron » publié en 1960.
Pendant que le vin « travaille » y’a beaucoup de monde devant le cuvage de Jean-Marie
- Y a-t-y une paulée comme d’habitude, oui ou non ?
- Bien sûr, demain. Le Louis vous a donc pas fait la commission ?
- Si, mais, comme t’avais rien dit hier au soir…
- Je savais pas exactement, le régisseur est venu seulement ce matin. Le Môssieu est à Paris. Il arrive à Chalon, au rapide, cette nuit.
[…]
« Tout le monde discute de choses et d’autres, quand survient Monsieur de la Vernaye. Les hommes se découvrent. Aimablement, le propriétaire va serrer la main de chacun. Un grand avocat, ça sait être poli…
Petit discours du plus vieux vigneron, le Toine, juché sur l’échelle appuyée au linteau du magasin :
« Tout ce que j’ai à dire, c’est que depuis soixante ans que je me rappelle, j’ai encore pas vu un vin si fort en alcool, ni si bouqueté… Y me reste qu’une chose à souhaiter, c’est que dans soixante ans, on se retrouve tous ici, et qu’on puisse dire : c’est la deuxième fois qu’on goûte une cuvée pareille. »
Monsieur de la Vernaye donne le signal des applaudissements.
« Le Toine cède la place au Jean-Marie, qui cloue, au-dessus du portail une croix rudimentaire, faite de deux troncs de paisseaux, habillée de lierre, et garnie de raisins rouges et blancs. Puis s’emparant d’une bouteille de vin nouveau, que lui tend la Madeleine, sa femme, il asperge l’ex-voto, des prémices de la récolte. »
Ensuite « Jean-Marie tire, sur une feuillette, un chant de flûte de vin déjà en fermentation, et en emplit la tasse d’argent que son patron a sorti de sa poche…
Celui-ci grume la liqueur, la regrume encore un coup, puis :
- Mes compliments Jean-Marie, et mes remerciements les plus sincères ! Grâce à toi, tous les sucs des plantes de nos coteaux se sont donné rendez-vous dans mon verre pour exhaler un parfum subtil et enivrant.
[…]
Survient le régisseur, le Félicien Chanteau, traînant un petit tombereau empli de bouteilles bouchées…
« Monsieur de la Vernaye donne l’ordre au Félicien de servir un blanc cinquante, premier choix. Il emplit les verres trônant au milieu d’une table de fortune : quelques planches reposant sur des tonneaux…
[…]
« On trinque à la santé du Môssieu si généreux. Lui il se rapproche du Marcel, et pendant que tout le monde déguste avec ferveur, il engage la conversation :
- Où en es-tu de tes études ?
- Je vais me présenter à l’agrégation de philosophie.
- C’est fort bien !... En attendant tu fais la paulée ?
- Comme tout le monde !
- Tu as bien raison. Personnellement j’ai toujours tenu à ce que, chez moi, on célébrât la paulée : on me traitera de réactionnaire, un peu plus, un peu moins d’ailleurs. Vois-tu, Marcel, on a considéré la tradition comme un obstacle au progrès. Quelle erreur grossière ! On l’a confondu avec la routine. Au reste, les défenseurs du progrès prennent-ils seulement le soin de définir de terme !
- Généralement pas.
- Ils entendent, sous quelque forme que ce soit, le progrès matériel, c’est-à-dire, en fin de compte, la substitution à l’homme, de la machine, qu’ils voudraient, de plus en plus, modeler à son image, jusqu’à en faire un robot pensant.
- Oui. L’âge d’or de l’humanité, en somme, coïnciderait pour eux, avec l’oisiveté totale et universelle…
[…]
- Au fond, Monsieur de la Vernaye, l’idéal serait d’aboutir à un monde où la machine supprimerait la peine de l’homme, sans le frustrer de ses joies essentielles : la possibilité d’agir à sa guise, ce qui engendre le besoin de créer et la satisfaction de l’œuvre achevée.
- C’est très vrai. Vois-tu, tout à l’heure, quand Jean-Marie plantait sa croix de paulée, il accomplissait un geste millénaire : nos ancêtres gallo-romains offraient en remerciements à Bacchus, une couronne de feuillage. Le christianisme a changé les accessoires. Mais au fond persiste la volonté de s’incliner devant une force supérieure, à qui l’on doit rendre des comptes.
- Sans aucun doute. Et ce sentiment de gratitude, confusément exprimé, honore grandement l’homme : l’humilité assigne des limites à son orgueil de créateur, et lui évite la tentation d’apprenti-sorcier… »
Revenons au temps présent :
C’est la Paulée de Meursault, créée en 1932 par Jules Lafon, aujourd’hui Domaine des Comtes Lafon, alors maire de Meursault, qui redonne de la modernité à la paulée. Il eût l’idée de rétablir la tradition du repas de fin de vendanges. Ce repas, traditionnellement, rassemblait le propriétaire et ses ouvriers. Il invita 35 de ses amis à un petit banquet : la Paulée de Meursault était donc née. Elle clôture les Trois Glorieuses célébrées chaque troisième week-end de novembre en Bourgogne :
- La première glorieuse : le troisième samedi de novembre se déroule au château du Clos de Vougeot la réunion du plus grand chapitre annuel de la Confrérie des Chevaliers du Tastevin avec grand dîner au château.
- La deuxième glorieuse : le dimanche qui suit, a lieu à l’Hôtel-Dieu de Beaune, la vente aux enchères des Hospices de Beaune.
- La troisième glorieuse : le lundi suivant c’est donc la Paulée de Meursault.
Elle se déroule dans l’ancienne salle de vinification du château de Meursault, ex- propriété de la famille Boisseaux, fondatrice du groupe Kriter et de la maison Patriarche qui ont été revendus au groupe bordelais de Pierre Castel.
« 800 convives, les agapes commencent vers 13 h et vont s’étirer tout l’après-midi. Le repas est payant mais chacun apporte son vin, le meilleur si possible (jéroboams, grands crus, millésimes anciens…). En résumé, on assiste à un véritable marathon gastronomique avec force bouteilles (dont la dégustation peut s’étirer jusqu’à l’aube dans la cave de certains vignerons de Meursault), le tout ponctué de discours et de chansons bachiques dont la Bourgogne a le secret. »
Dimanche dernier nous étions moins nombreux à la paulée des Climats mais l’esprit festif de la paulée était là bien présent. Chacun de nous avait apporté dans sa petite musette de beaux flacons qui trônaient en bataillons serrés sur le bar des Climats avant que nous leur fissions un sort.
Le temps était incertain mais j’y suis allé à vélo.
Ensuite, le mieux c’est de vous proposer une brassée de photos :
Tout d’abord hommage à l’assiette et à ceux qui l’ont faite et l'un de mes vins qui allait bien avec :
La suite des évènements :