Dans son livre « libérez le goût », Carlo Petrini, révèle dans son premier chapitre : Au commencement, il y eut le vin :
« Je revois très précisément l’image de Beppe Colla, alors président du « Consorzio Barolo Barbaresco », pleurant devant les caméras de télévision après le scandale du vin au méthanol. Des larmes difficilement contenues par un homme désespéré, mais fier. En ce début du mois d’avril 1986, la totalité de la filière vinicole italienne semblait ruinée. Le blocage aux douanes et le déclin firent les exportations de 37%, si bien qu’à la fin de l’année le secteur avait perdu le quart de sa valeur. Je garde une impression forte de cette période vécue aux côtés de mes amis producteurs des Langhe. Les larmes publiques de Beppe Colla n’exprimaient pas seulement le simple désespoir d’une honte intolérable et la perspective de pertes économiques énormes : c’était beaucoup plus que ça.
Ce désastre, qui a définitivement changé le monde du vin italien et causé la mort de vingt-trois personnes, révéla des liens de cause à effet restés invisibles jusqu’ici. Les vies de milliers de bons producteurs étaient impliquées, des gens qui faisaient du vin parce qu’ils faisaient du vin parce qu’ils y avaient investi toute leur vie. »
[…] Le scandale du vin au méthanol avait révélé à l’Italie que l’œnologie était non seulement reliée à un important secteur économique, avec toutes les retombées potentielles dans les autres domaines, mais surtout qu’elle était intimement liées à ces vies jetées sur le pavé à cause d’une spéculation de malfrats, de ceux qui travestissaient le vin à coup d’alcool méthylique, justement détaxé depuis peu. Et la vie de ces gens, qui cultivaient et transformaient, c’était aussi la vie des territoires, leur fertilité, leur tissu social, leur culture, leur écosystème. »
Ce fut la naissance d’Arcigola la première version de Slow Food qui fut officialisée en ce même été 1986.
Mi-86 j’arrivais au siège de la SVF et cette vieille maison venait de bloquer in-extrémis à Modène des wagons de vins italiens frelatés au méthanol (alcool de bois). Le vent du boulet était passé très près et notre actionnaire majoritaire, les dirigeants du groupe Pernod-Ricard appréciaient que très modérément cette prise de risque. En effet, en Lombardie, la consommation de vin de table mis en bouteille par la société Ciravegna de Narzole (père&fils), province de Cuneo, avait provoqué des dizaines d’empoisonnement et des lésions graves (cécité, dommages neurologiques). 23 personnes étaient décédées. Cette société avait ajouté des doses élevées de méthanol pour augmenter le degré du vin à des coûts plus bas que le sucre sans vraiment mesurer les conséquences de cette fraude. Celle-ci, beaucoup plus large, mettait en cause 60 entreprises et entre mi-décembre 85 et mars 86, 2,5 T de méthanol avaient été adjoints au vin.
Ce scandale fera chuter les exportations de l’Italie de 37% en volume et de 25% en valeur, et provoquera un électrochoc tant dans ce pays qu’en France où les fameux VDPCE (vin de différents pays de la Communauté Européenne) en avaient pris un sérieux coup sur la casquette.
Du côté français il est intéressant de lire les questions posées au gouvernement et les réponses données.
Question écrite n° 00557 de M. Louis Virapoullé (La Réunion - UC) publiée dans le JO Sénat du 01/05/1986 - page 652
M. Louis Virapoullé attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du commerce, de l'artisanat et des services, sur le fait que des vins en provenance d'Italie, et contenant une dose de méthanol supérieure aux normes admises, ont pénétré sur le territoire français. Il est établi que ces vins, dénommés sous le nom de vins frelatés, ont provoqué plusieurs morts en Italie. Il lui demande : 1° de bien vouloir lui préciser si ces vins ont été livrés aux consommateurs et dans quelle proportion ; 2° les dispositions que le Gouvernement entend prendre pour qu'un contrôle rigoureux et sans faille soit exercé en France en ce qui concerne les vins dont il s'agit. - Question transmise à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation.
Réponse du ministère : Économie publiée dans le JO Sénat du 07/08/1986 - page 1129
-1 Dès l'annonce de l'existence de cas d'empoisonnement en Italie par absorption de vin frelaté au méthanol, les services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et de la direction générale des douanes et des droits indirects ont procédé au blocage, ainsi qu'à un échantillonnage, à des fins analytiques, des différents types de vins italiens détenus aussi bien par les importateurs français (notamment à Sète et à Marseille) qu'à tous les stades de la commercialisation.
Du 26 mars au 11 mai 1986, 2 944 prélèvements ont été ainsi réalisés portant sur un volume de 422 000 hectolitres. Trente-six analyses seulement se sont révélées non conformes pour un volume de 28 000 hectolitres. Cette présence de méthanol à des doses anormales a été mise en évidence essentiellement sur des vins détenus en vrac au stade de l'importation. La rapidité et la multiplication des prélèvements d'une part, le blocage des vins suspects d'autre part, ont permis d'éviter la livraison de vins italiens au méthanol aux consommateurs français. Il faut également souligner la liaison étroite qui s'est établie, dès le début de ces opérations, entre l'administration et la profession.
- 2 Depuis le 29 mars 1986, l'exportation des vins italiens est subordonnée à la production d'un certificat d'analyse délivré par les laboratoires agréés par le ministère de l'agriculture italien précisant le taux de méthanol, par millilitre d'alcool, et attestant que la quantité de méthanol relevée ne dépasse pas les doses admises. De plus, les services douaniers français continuent à procéder à des analyses sur tous les produits à base de vin ou d'alcool en provenance de ce pays.
Question écrite n° 02483 de M. Roland Courteau (Aude - SOC) publiée dans le JO Sénat du 14/08/1986 - page 1149
M. Roland Courteau expose à M. le ministre de l'agriculture que « l'affaire du méthanol » a des conséquences très importantes : dans l'immédiat, la chute de la consommation et des exportations de vins italiens permet aux Italiens d'avoir un stock supérieur à celui de l'année dernière, de l'ordre de 6 millions d'hectolitres. Dès lors, et selon certaines informations, il semblerait que les Italiens se précipiteraient à l'exportation, à un prix très inférieur au niveau des prix français. Les professionnels français de viticulture s'inquiètent de ces pratiques et demandent au ministre de l'agriculture de contribuer à mettre fin à ces opérations de dumping contre lesquelles aucun groupement de commercialisation, aucun viticulteur français ne peut résister. Il lui indique qu'il ne s'agit pas de faire le procès de la viticulture italienne mais bien de la filière d'importations qui conduirait à la ruine aussi bien les viticulteurs français qu'italiens. Il souhaite donc que lui soient précisées les mesures qu'il compte prendre.
Réponse du ministère Agriculture publiée dans le JO Sénat du 01/01/1987 - page 9
Le scandale des fraudes découvertes sur des vins italiens coupés au méthanol qui se sont, de plus, avérés responsables de la mort en Italie de plusieurs dizaines de personnes, démontre de nouveau à quel point des malversations commises par certains opérateurs peu scrupuleux peuvent avoir des conséquences désastreuses et dramatiques. Face à une telle situation, le Gouvernement français, qui a toujours veillé à ce que ses services de contrôle, tant de la répression des fraudes que de la direction générale des impôts ou de la direction générale des douanes, s'assurent du respect des dispositions réglementaires prises dans le secteur viti-vinicole, juge indispensable que les autres pays producteurs et notamment ses partenaires de la Communauté économique européenne prennent également les mesures nécessaires pour garantir la qualité de leur production. Malheureusement, des événements aussi pénibles, mettant en jeu des vies humaines, discréditent sérieusement l'image d'un produit consommé traditionnellement depuis des millénaires, et portent gravement préjudice à l'ensemble de la profession viticole.
Dans ces circonstances, une mesure visant à interdire le coupage entre les vins français et les vins des autres Etats membres de la C.E.E. ne constituerait qu'un palliatif insuffisant pour juguler la crise : il faut obtenir au niveau communautaire un renforcement du dispositif de contrôle de la production viticole. Dans ce cadre, s'inscrit d'ailleurs le règlement relatif à la mise en oeuvre et au financement d'un casier viticole communautaire qui a été adopté par le conseil des ministres de la Communauté au cours de sa réunion des 14 et 15 juillet 1986.
Néanmoins, ces événements ont permis d'établir que la réglementation actuelle en matière d'étiquetage des vins ne permet pas toujours au consommateur de choisir ses produits en connaissance de cause. A ce sujet, le Gouvernement français a demandé que, lorsque le vin résulte d'un coupage entre produits originaires de différents Etats membres, la mention obligatoire « mélange de vins de différents pays de la Communauté européenne » figure désormais en caractères lisibles afin qu'aucune confusion sur l'origine de ces produits ne soit permise. C'est de l'adoption rapide de ces mesures, tant en ce qui concerne le renforcement des contrôles à la production que la clarté de l'information des consommateurs que dépend le redressement de l'image de ce produit. Face à de tels scandales, on peut toutefois affirmer sans crainte que la diversité, la richesse de nos vins français ainsi que le sérieux de l'ensemble de notre profession viticole, constituent les meilleurs ambassadeurs pour promouvoir ces produits à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Le Gouvernement français est pleinement convaincu que tous les partenaires de cette filière qui se sont toujours engagés dans une politique de qualité seront les mieux à même d'assurer la notoriété de notre production.