Après le déjeuner, sur la place des Halles, nous prenions le car Citroën, parti de Nantes, pour aller à la plage des Sables-d’Olonne, il ne s’arrêtait qu’à Saint-Mathurin. Je tenais à la main ma pelle et mon seau. Le long mufle du car, sous lequel le moteur cliquetait, m’impressionnait. En blouse grise et casquette, le chauffeur délivrait, avec une drôle de petite machine à manivelle, les tickets. Nous allions nous asseoir sur la banquette du fond, où, à genoux, le dos tourné au sens de la marche, pendant toute la durée du trajet, notre seule préoccupation consisterait à observer l’impatience des conducteurs qui essayaient de nous doubler. Le double virage de la Cossonnière, marquant le passage à niveau de la ligne de chemin de fer, faisait tanguer la lourde carcasse du car, à la sortie le moteur vrombissait. Le skaï de la banquette collait à nos genoux dénudés. Je portais des va-nu-pieds, un short et sweet-shirt blanc. Afin de ne pas subir l’ire de nos mères nous évitions de crier nous contentant de faire grimaces et gestes pour nous moquer des malheureux qui peinaient à nous doubler. Nous étions en vacances mais nous n’allions pas tous les jours à la plage comme les estivants.
Avant d’arriver à la plage nous passions par la ville où nos mères léchaient les vitrines de mode. Nous étions impatients. Lorsqu’enfin nous débouchions sur le remblai, magnifique arc plein sud, petite promenade des anglais, bordée de belles demeures, j’étais toujours émerveillé par l’harmonie du lieu. Nous nous posions, devant les tentes blanches, tout près de la grande horloge. Tout au bout du remblai, à notre droite, la masse imposante du Grand Casino représentait pour nous un vrai mystère, on y jouait, dansait, buvait, des plaisirs pour nous inconnus. La marée dictait sa loi sur la plage des Sables-d’Olonne, immense territoire de sable fin lorsqu’elle était basse, mince ruban lorsque les eaux clapotaient aux pieds des escaliers.
En attendant l’heure de la baignade, fixée par nos intransigeantes mères à moins 3 heures après la fin de notre déjeuner, nous exercions nos talents de cantonniers, creusant des trous, érigeant des murailles, bâtissant des châteaux de sable… Notre proximité de la pendule nous permettait de contrôler le compte à rebours. Nous ne savions point nager mais nos mères nous laissaient aller au bain sans grande inquiétude, la plage était si plate, la mer si calme, le drapeau était vert et les CRS musclés nous protégeaient. De ces baignades maritimes j’ai gardé le goût de l’eau salée et un grand désintérêt pour celle des piscines.
Mais le bain ça donne faim !
Alors venait notre délice de gourmandise : un beignet à l’abricot constellé de sucre que nos mères achetaient au jeune homme, qui allait et venait sur un territoire imparti, un grand panier suspendu sur son ventre, en huchant : « beignets aux abricots… ils sont beaux mes beignets aux abricots… » Ils les tendaient enveloppés dans du papier soie blanc. Nous les mangions religieusement. La confiture d’abricot nous tapissait la bouche et le sucre nous faisait des moustaches.
Manger un beignet à l’abricot ça donne soif !
Alors, avant de reprendre le car, nos mères nous offraient un Pschitt citron ou orange sur une terrasse, nous nous prenions pour les rois du monde, ce nous étions.
Aussi bizarre que ça puisse paraître en ce temps-là, le milieu des années 50, ne poussant pas dans nos jardins, l’abricot du Roussillon n’était pas encore arrivé jusqu’à nous et comme les confitures étaient faites maison, celle d’abricot pour nous était un must…
L’abricotier : « natif de Chine aussi bien que de l’ouest de l’Asie… Sing, comme on le sait bien, est l’abricot (Prunus Armeniaca)… le Shan-hai-King dit que plusieurs Sing croissent sur les collines. En outre, le nom de l’abricot est représenté par un caractère particulier, ce qui peut démontrer qu’il est indigène à la Chine. »
Le Shan-hai-King est attribué à l’empereur Yü, qui vivait en 2205-2198 avant Jésus-Christ.
L’origine du mot « abricot » est intéressante à plus d’un titre. Les Romains le surnommaient praecocum c’est-à-dire « précoce », sans doute en raison de sa floraison très tôt dans le printemps. Le terme « abricot » s’est ensuite forgé tout au long de ses pérégrinations autour du Bassin Méditerranéen : praikokion pour les grecs, al barq pour les arabes, albaricoque pour les espagnols, puis al-Bercoc en catalan.
Originaire de Chine donc, l’abricotier s’est parfaitement adapté au climat du Bassin Méditerranéen et ce, depuis l’Antiquité. Il faut cependant attendre le XVIIIe pour que sa culture se développe en France. Cultivé depuis 2 000 ans, il se diffuse à travers le Moyen puis le Proche-Orient. On relate ainsi la culture de l’abricotier en Iran et en Arménie (d’où son nom savant) à partir du premier siècle avant notre ère. Il parvient ensuite jusqu’aux Grecs et aux Romains. Cultivé depuis 2 000 ans, il se diffuse à travers le Moyen puis le Proche-Orient. On relate ainsi la culture de l’abricotier en Iran et en Arménie (d’où son nom savant) à partir du premier siècle avant notre ère. Il parvient ensuite jusqu’aux Grecs et aux Romains.
L'abricotier aurait été introduit en France par deux voies :
- d'une part en provenance d'Italie par la vallée de la Loire. Le roi René d'Anjou (1409-1480) qui hérita du royaume de Naples en 1435 ramena d'Italie ce fruitier dans sa région natale, où il prit le nom d'abricotier vers 1560.
- d'autre part en provenance d'Espagne par le Roussillon. On ne sait pas quand l'introduction s'est faite mais probablement entre le moment où Narbonne fut occupée par les Sarrasins (en 715) et celui où le Roussillon fut rattaché à la couronne de France (en 1659).
Mais c’est avec le Roi-Soleil que l’abricot prend réellement son essor en France. Au XVIIe siècle, Jean-Baptiste La Quintinie, jardinier du gourmand Louis XIV, effectue de nombreuses plantations dans le Potager du Roi. Dès le siècle suivant, le développement à grande échelle de la culture des abricots dans l’Hexagone est lancé. Celle-ci ne cessera plus de se développer.