En 1980, j’ai fait visiter le château Palmer à un groupe d’énarques, en ce temps-là Thomas Duroux était encore en culottes courtes, si tant est qu’il en eut portées. J’ai dîné, il y a un petit paquet d’années, avec Thomas chez des amis communs. Ce jeune homme, avec sa « tête d’énarque » décontracté – qualificatif antinomique avec ce que sont devenus les élèves de l’ENA – m’a séduit par son ouverture d’esprit, sa curiosité intellectuelle, sa dynamique positive. Et puis, un amoureux de la musique ne saurait être mauvais.
Et puis la vie s’écoula jusqu’au jour où en 2014 je découvre que Thomas déclarait «Ne plus exploiter Palmer, mais le vivre»
Thomas Duroux : Fin 2007 nous avons pensé avec Sabrina Pernet, qui me seconde, qu’il fallait éviter tous les produits de traitement de la pétrochimie, et au-delà, comprendre les tenants et les aboutissements d’une agriculture alternative.
Nous nous sommes lancés dans une expérimentation, la mise en œuvre de certains principes de Rudolf Steiner, ceux que nous comprenions. Nous hésitions entre la culture biologique et la culture biodynamique. Mais qui peut le plus peut le moins, et nous avons décidé de passer 1 ha en biodynamie. Puis 3 ha en 2009, en lisant et relisant le Cours aux Agriculteurs de Rudolf Steiner, nous être entourés des conseils de Matthieu Bouchet, le fils de François Bouchet, avoir rencontré Paul Barre (Château La Grave), Alain Moueix (Château Fonroque) et Jean-Michel Florin (Mouvement de l’Agriculture Biodynamique).
Petit à petit nous nous sommes mis à vivre la biodynamie d’une manière différente. En 2010 nous étions convaincus que c’était la bonne direction. Et en août de cette même année, nous avons décidé de convertir les 55 ha de Palmer. Et convaincu les propriétaires du Château que c’était la bonne décision. Qu’il n’y avait là rien de sorcier ou de magique. Il s’agissait juste de quelques grands principes, comme regarder l’endroit où nous nous trouvions de manière différente, considérer que Palmer était un tout une entité, et qu’il ne fallait plus exploiter Palmer mais le vivre. Un retour aux principes anciens. »
Et puis, je viens de recevoir L’œil de Palmer tout de bleu vêtu, le fameux bleu de l’étiquette de Palmer. Le vieil amoureux du bleu d’Yves Klein que je suis a bien sûr été séduit mais ce qui a attiré mon œil c’est le portrait de Jacques Dupin le chef de culture du château.
Beau portrait d’un homme né dans l’une de ces grandes familles d’autrefois, onze enfants, sur une petite exploitation familiale de 15 ha dont 4 en vignes. Je me sens en proximité avec cet homme qui se définit ainsi sans fard « Le vin est monde de la sensualité. Je suis formaté sur l’efficacité, la pratique. Ça me demande beaucoup d’effort de m’arrêter, de contempler… »
Alors, avant le changement opéré par Thomas, avec les méthodes traditionnelles des « 4 façons » et les « prix-faiteurs », des gens payés à la tâche, souvent en couple, avec une répartition des taches immuables : à l’homme la taille, le palissage, les chausserons ; à la femme, l’acanage, le pliage, le levage… ce système lui convenait bien « J’étais à l’aise avec cette méthode. L’enfance continuait… »
Il reconnaît « qu’il a mis du temps à adhérer… Je reconnais que j’ai résisté un peu… Le changement n’est évident pour personne… Mais toute cette herbe dans les vignes… C’est vrai que j’aimais que ce soit « propre », les pieds. Je suis traditionnaliste, mes parents ne remettaient rien en cause. Ils appartenaient à une génération qui a passé son temps à se battre contre les mauvaises herbes. Peut-être se sont-ils trompés. Mon père, les premiers désherbants qu’il a utilisé, en avait-il envie ? Lui a-t-on fait croire à des intérêts qui n’étaient pas les siens ? »
Franchise simple qui me fait penser aux débats entre mon père et le pépé Louis son père « on a toujours eu fait comme ça… »
« En tant qu’être humain, il est important de moins se considérer comme des vedettes de cette planète. D’être humble face à la nature, de ne plus la voir comme un ennemi mais comme un partenaire, de tolérer quelques bestioles, de l’herbe… »
Alors, aujourd’hui, Jacques Dupin est même allé à une conférence de Pierre Rabhi à Pessac… Je m’intéresse de plus en plus aux questions environnementales. Même si j’ai le sentiment que ce n’est pas moi et mon travail qui vont changer le monde. »
Merci Thomas pour cette approche sensible et intelligente, dont devrait s’inspirer le CIVB au lieu de se braquer contre les « khmers verts ». Comme quoi il est possible de bien communiquer même lorsque l’on fait partie du gotha des GCC…