Vendre des glaces italiennes à vélo, en triporteur, dans les rues de Paris tel est le projet d’une amie…
« Les Italiens sont les champions du monde de la glace. Qui n’a pas parcouru les paysages de Toscane ou d’Ombrie pour découvrir sur une jolie place d’un petit village, un fabricant de fabuleuses glaces aux fruits ou au chocolat ne sait pas ce que la douceur de vivre signifie. »
Serge Guérin Éloge politique du chocolat lemieux éditeur
Comme nous partageons le même goût pour la petite reine et pour Palerme, alors je me suis dit que j’allais lui offrir une belle tranche d’Andrea Camilleri, l’écrivain sicilien qui sait si bien donner vie aux gens de peu, ceux qui n’occupent aucune place dans les livres d’Histoire, les Cecè Caruana le brassier de Vigàta qui épousa « une jolie rate de dix-huit printemps, toujours mistifrisée et élégante » la Sisina Pillitri.
« Tout Vigàta blêmit d’envie quand Sisina accepta Cecè sans catoller (…)
Étrange, non ?
Pourquoi une beline aussi agriffante, qui pouvait à coup sûr prétendre aux garçons les plus moyennés du canton s’allait-elle marier, et à la galope, avec un meurt-de-faim ?
Mystère et boule de gomme.
(…) Dès lors les batillons allaient bon train.
On disait que Sisina avait voulu se marier à toute étreinte parce que la grange était déjà pleine, mais d’un autre homme. »
(…) et certaines limes douces glissaient même le nom de cet homme, le médecin communal Arcangilo Foti. »
« Ces piapias eurent tôt fait d’arriver aux oreilles de Cecè, qui refusa d’en croire le premier mot. Au contraire, pour mieux dorloter sa Sisina et lui acheter ce qu’elle voulait, il s’inventa ce deuxième métier de vendeur de glaces »
« … du premier juillet au trente et un août, c’est-à-dire pendant la saison balnéaire, Cecè remisait ses outils pour se convertir en vendeur de glaces. Il se gaunait d’un long tablier blanc, se coiffait d’une toque assortie et partait en tournée, proposant des glaces de sa production à quatre parfums, pas un de plus : crème, chocolat, granités de café ou de citron. »
« Au bout d’un an de mariage, Sisina se plaignit d’être toujours déclavetée. Non, ce n’était pas de la fièvre ni un manque d’appétit : elle souffrait de migraines, qui la prenaient le soir après dîner et duraient la nuit ni peu ni trop.
Ainsi comme ainsi, ce n’était pas faute d’en avoir envie, pauvre beline, mais elle ne pouvait pas laisser son mari la pratiquer. Alors Cecè, qui aimait Sisina comme ses petits boyaux, la convainquit de consulter le docteur Foti. »
Et puis, un soir, arriva ce qui devait arriver, appelé pour rabistoquer le toit de la caserne, il passa avertir Sisina « de ne pas se démarcourer si elle ne le trouvait pas à la maison au retour de sa consultation. »
Dans la salle d’attente « Cecè entendit sa femme qui couélait. »
« Inquiet, il se pencha pour apincher par le trou de la serrure.
Sa femme nue comme une jument était allongée sur le lit de consultation et le docteur nu comme un cierge était allongé sur sa femme.
Difficile de soutenir qu’il lui appliquait un cataplasme. »
Cecè, « avalant le gorgeon en silence » pour ne pas se voir traité de cocu battit en retraite, s’en alla « rataconner le toit des carabiniers » et rentra chez lui le lendemain. « Il alla dans leur chambre, accuchonna ses affaires et les fourra dans une vieille valise.
- Tu pars ? lui demanda Sisina ébaffée.
- Oui. Je retourne chez moi et je ne veux plus te voir. »
« Au bout d’un an, Cecè rencontra une jeune veuve sans enfants, qui s’appelait Assunta Cusumano. Ils se trouvèrent comme jambe et genou, l’amour fit le reste et Cecè l’emmena chez lui.
Voilà pourquoi il quinchait qu’il avait double charge de mari, même si aucune de ses deux femmes n’était son épouse pour de bon »
« Au bout de six mois, on vit Sisina se bambaner dans Vigàta au bras d’un jeune gars peu recommandable, un traîne-gaine qui s’appelait Micheli Filipello. »
« Le 3 juillet 1939, alors que comme d’habitude Cecè avait repris sa vente de glaces depuis deux jours, un évènement mit Vigàta tout en dare.
Sur la plage apparut une seconde carriole de glaces. Elle était plus moderne que celle de Cecè, plus grande aussi, puisque sa capacité était de trois bacs. Et pour finir le plat, ce n’était pas un véhicule à bras, mais un tricycle. Le vendeur se déplaçait en pédalant, assis tout benaise sur sa selle. »
Et bien sûr ce concurrent n’était rien d’autre que Micheli Filipello.
Ainsi commença à Vigàta un duel homérique entre les deux marchands de glaces ambulants.
Un bijou que cette nouvelle LE DUEL !
Pour la découvrir allez donc acheter La reine de Poméranie d’Andrea Camilleri publié chez Fayard.
Sur le macadam parisien, la concurrence sera sans doute d’une toute autre nature mais je ne doute pas que mon amie saura conquérir les amateurs de glaces à l’italienne en allant au-devant d’eux avec son savoir-faire acquis en Italie.
Affaire à suivre même si dans notre vieux pays il n’est pas simple d’entreprendre, les obstacles sont si nombreux qu’il faut beaucoup de persévérance et de pugnacité pour les surmonter.