Je dois vous avouer que j’ai peu de goût pour le tourisme en charroi organisé avec guide incorporé très prisé par mes consœurs et confrères retraités. Certes vous me direz que c’est bon pour le commerce local, car les vieux ça mange, ça boit encore, ça dort, ça achète des souvenirs. Dans les vignes et les chais on a baptisé ça œnotourisme. Fort bien j’en conviens mais je n’en suis pas.
Mon truc à moi fils de couturière, c’est le cousu main, la petite virée hors les sentiers battus, sur les chemins de traverse, dans les plis et les replis du vaste patchwork qu’est notre pays, arpenter la mosaïque de nos pays, les découvrir avec celles et ceux capables de vous faire partager l’esprit du lieu. Éveiller notre curiosité, prendre le temps pour une leçon de choses qui ravive nos cœurs d’enfant.
Alors, lorsque mon amie Magalie, l’exilée de Barcelone, m’a écrit « pour mon anniversaire je veux retourner en Champagne » mon choix fut vite fait : cap sur les Riceys !
Elle en fut fort étonnée : « C’est où les Riceys ? »
- Aux confins de la Champagne et de la Basse-Bourgogne lui répondis-je en lui précisant, rappelle-toi notre déjeuner chez Alice et Olivier de Moor à Courgis dans la mer de vignes de Chablis.
- Oui, bien sûr que je m’en souviens, même qu’en quittant Courgis nous nous étions goinfrés de cerises dans la cerisaie de la vallée de l'Yonne mais tu nous amènes chez qui ?
- Chez Olivier Horiot !
- Qui c’est ?
- Demande à Claire elle est fan !
Le sésame de Claire suffisait à Magalie et c’est ainsi que nous sommes partis, un beau jeudi, dans une auto rouge cerise, en direction des Riceys.
Nous avions prévus de pique-niquer. Ce fut Émilie qui, sur la carte, pointa le doigt sur le lac d’Orient, faisant ensuite le GPS bien vivant jusqu’à la plage. Radis rouges, œufs durs, sandwiches jambon-beurre-cornichons bas-bourguignons, fromages affinés, abricots et cerises, nous goûtions la paix et la sérénité du lieu. Nous avions le temps, nous prenions le temps.
Café puis cap sur les Riceys sous un soleil ardent.
Tout comme Jean-Paul Kaufmann les trois grâces que j’accompagnais pouvait s’extasier.
« Apercevant pour la première fois les Riceys il y a une quinzaine d’années, je n’en croyais pas mes yeux. De vieilles maisons vigneronnes bien tenues, ornées de ferronneries, d’admirables façades ne laissant rien deviner du dedans, un vignoble intensément travaillé, un air de superbe et de secret.
Comment un tel village à la beauté intacte pouvait-il encore exister en France ?
Un village ou plus exactement trois villages en un seul. Je faisais connaissance avec la redoutable complexité ricetonne, presque aussi difficile à concevoir que le mystère de la Sainte Trinité. Trois bourgs distincts et consubstantiels formant une entité unique et indissoluble.
Trois appellations d’origine contrôlée aussi (Champagne, Rosé des Riceys, Coteaux Champenois), aucune autre commune champenoise ne peut se prévaloir d’une telle originalité. La complexité qui partout ailleurs est l’indice d’un échec ou d’un désagrément est historiquement aux Riceys un avantage et même un privilège, en tout cas un défi. La singularité de ce lieu et de ce vignoble qui l’incarne tient dans cette complexité fièrement acceptée. Une difficulté - mais non un embarras - qu’on lui envie secrètement.
Les Riceys aiment jouer sur les deux tableaux. C’est la nature profonde de ce village. La place a appartenu tantôt à la Bourgogne, tantôt à la Champagne. Il y a dans la mentalité de cette terre une espièglerie, une gaieté libre et truculente, presque rabelaisienne, qui a beau se dissimuler sous un certain quant-à-soi mais n’en est pas moins heureuse et conviviale comme il sied à un pays où l’on cultive la vigne. »
Nous étions dans la place, la leçon de choses pouvait commencer sous la houlette de l’ami Olivier.
Les vignes d’abord ! Elles se planquent sur les croupes aux Riceys, nous les découvrons, leur histoire, l’histoire familiale des Horiot, les choix d’Olivier, la biodynamie pour retrouver les gestes, redonner à la vigne sa vigueur, la géologie, la crise phylloxérique, la prospérité champenoise, les 5 cépages Pinot Noir, Pinot meunier, Pinot Blanc, Arbanne, Chardonnay, les 3 appellations… Les filles sont aux anges et c’est dans une cadole que nous en appelons aux dieux du lieu.
La fraîcheur du chai, goûter les vins clairs, nouvelle religiosité non cérémonieuse, la pipette, Magalie la mercanti veut tout acheter ou presque. Olivier explique mais il écoute aussi, les certitudes ne font pas parties de son ADN, il cherche, il doute, toujours en quête de l’expression de son terroir, de ses parcelles. Que du bonheur partagé !
Nouvelle station chez la sœur d’Olivier qui tient Le caveau des Riceys face à la magnifique halle. L’air est tendre, la jeune équipe de palissage d’Olivier a pris ses quartiers sur la terrasse. Nous nous joignons à eux. Les filles font leurs emplettes. Marie, l’épouse d’Olivier, nous rejoint. Ardoise de fromages du cru, chaource en tête. J’avoue ma faiblesse pour le Soumaintrain. Nous buvons bien sûr, du champagne évidemment, le jour décline mais il nous restait encore du temps pour aller goûter tous les vins d’Olivier et de Marie Horiot.
Comme je suis accompagné d’oiseaux de nuit, sur qui l’heure n’a pas de prise, sans cérémonie, les belles quilles défilèrent, les mots s’envolèrent, nous survolèrent, nous étions gais comme des pinsons, tout devenait possible, même qu’Émilie lançait à la volée, sitôt suivie de Claire, qu’elle était partante pour se lever à 5 heures afin de se joindre à l’équipe de palissage.
Nous marchions dans Riceys-le-bas endormi. Un petit clebs aboyait à gorge déployée. Nous étions très gais. Il était 2 heures.
Et elles se sont levées à 5 heures et elles ont palissé…
Je les ai rejointes à 9 heures pour prendre le café avec Marie. Elles ont bien mangé. Olivier, sur son drôle d’engin plein de tuyaux est venu lui aussi nous rejoindre. Émilie se voyait déjà aux commandes de cet oiseau bleu. Magalie toute pimpante arrivait. Nous n’avions pas très envie de repartir mais comme les bonnes choses ont toujours une fin, lestés de nos beaux souvenirs et de belles quilles achetées, nous embrassions et remercions Marie et Olivier pour ce beau jour de partage, de convivialité et d’amitié.
À bientôt les Riceys pour de nouvelles aventures !