Je dédie cette chronique à quelqu’un avec qui je partage un attachement profond à Bernard Maris.
C’est simple je ne m’en remets pas, son irremplaçable voix, son bel accent chantant, sa drôlerie, son impertinente sagesse me manquent chaque vendredi matin sur France-Inter.
Mais oncle Bernard, en une prescience dont lui seul avait le secret, le mardi 16 décembre, en fin de journée, au grand étonnement de son éditeur, Grasset, présentait son nouveau livre pas encore achevé. « Comme toujours il s’est montré charmant, rieur, incisif, convaincant »
« Nous nous sommes mis d’accord sur le titre. Et si on aimait la France, sans point d’interrogation, ni d’exclamation – il a insisté. Et sur la date de parution : avril 2015. Puis il est parti dans la nuit.
Le 2 janvier, Bernard nous a mailé les pages qui suivent, dont il était content. Elles nous ont plu. Passionnés.
Puis Bernard a été assassiné à Charlie Hebdo.
En accord avec ses enfants, Gabrielle et Raphaël, nous publions l’ouvrage dans son état originel, inachevé, mais nécessaire. »
Oui nécessaire même si ces quelques pages ne comblent pas le vide laissé par la disparition de notre oncle Bernard.
Pour le plaisir, tout d’abord une saine envolée de sainte colère, lorsque Bernard Maris fustige de sa plume acérée « les salauds qui conchient la France de bretelles, de ronds-points, de promotions immobilières, de supermarchés, de zones industrielles, d’immensités pavillonnaires parsemées de rues aux noms d’arbres, filles de tristesse d’architectes couverts par leurs maquereaux de promoteurs qui la bétonnent et la goudronnent… »
Les Inrocks soulignent à juste raison « De la vieille France qu’il a tant aimée, et toujours épaulée d’une kyrielle de références, Bernard Maris voudrait retrouver la galanterie.
« Chacun son camp : le duc de Nemours courtisant la princesse de Clèves, ou la pauvre Adèle de Pot-de-Bouille besognée sans façon par ses patrons. Et entre les deux les mille et une manières du commerce érotique, de Choderlos de Laclos à Henry Miller. Mais dans tous les cas, la galanterie est sublimation d’une pulsion. Ce qui n’est pas facile : les brames de cerf de Patrick Balkany lorsqu’il vit, à l’Assemblée, Cécile Duflot se présenter en jupe, en témoignent. »
Que je me sens proche du Bernard – qu’il me permette cette familiarité – qui fait l’éloge de l’amour courtois inventé chez lui, dans le Midi, où « le chevalier troubadour était capable de réciter ou de chanter des vers à sa belle pendant des heures, tandis que celle-ci commençait à se déshabiller partiellement ou peut-être totalement ; il ne la touchait pas. Cette magnifique exacerbation du désir et du contrôle de soi, à l’opposé de la scène porno ou du viol évidemment, me paraît appartenir à l’exception française. »
Oui Bernard cette hyper-politesse vis-à-vis des femmes est « une reconnaissance absolue de la supériorité féminine et de l’autorité de son corps, telle que, même dénudé, il impose le respect au mâle sauvage, lequel ayant su se dominer en devient humain… humain comme une femme. »
Oui, comme toi j’aime « faire la cour » car comme tu le soulignes : « qui fait « la cour » sinon les princes ? »
Dans le film de Jean-Paul Lilienfield, La journée de la jupe, Isabelle Adjani, la prof de français, « poussée à bout par la bêtise ricanante des petits mâles de sa classe, prend celle-ci en otage et exige… une journée de la jupe ! »
Pour Bernard, cette journée iconoclaste est tout simplement une journée « où les petits mâles apprendront à calmer leurs ardeurs et à laisser circuler une femme montrant ses jambes ; autrement dit, à voir autre chose dans une femme autre chose qu’un objet sexuel. Une simple beauté par exemple, dotée de belles jambes, ou mieux, une simple femme, dotée de jambes »
Femmes je vous aime ai-je écritet bien sûr une en particulier.
« À l’opposé de la galanterie, se situe le « respect », mot employé à tort et à travers par la racaille et les crétins. Le « respect » est celui de l’ordre. Si une fille se fait violer dans une tournante, c’est qu’elle a manqué de « respect » en faisant la pute. Si une autre se fait brûler vive, c’est pour le même manque de « respect » envers son petit assassin (…)
« La galanterie est une soumission du (présumé) fort au (présumé) faible. Le « respect », c’est la pratique cruelle de l’ordre mafieux. Tous les films sur la Mafia dégoulinent de « respect » pour les parrains, les anciens, les grands frères et le reste. La galanterie est donc, il faut le reconnaître, une des formes de la démocratie. En l’absence de politesse, règne la loi du plus fort. Comme la démocratie, la galanterie est un moment de modestie ; une modestie fine, intelligente, supérieure peut-être, snob souvent… »
« Dans tous les cas, c’est une preuve de civilisation. La civilisation commence avec la politesse, la politesse avec la discrétion, la retenue, le silence et le sourire sur le visage.»
Merci Bernard, sans doute seront nous taxés d’être vieille France mais, puisque je suis encore de ce monde, j’assume et je pratique sans restriction, sans doute à mon détriment au profit de ceux « qui en ont… »
Et puis, comme tu le dis si bien « les français inventèrent massivement, au XVIIIe siècle, la séparation du sexe et de la reproduction. Encore un témoignage de politesse. »