« Mes parents agriculteurs m’avaient mis, tout jeune, au petit séminaire. J’y apprenais le latin et le grec, et j’étais le premier de la classe. On me destinait à la prêtrise, mais je partis au Sénégal enseigner dans un collège… »
Non ce ne sont pas les premières lignes des Mémoires de votre serviteur mais celles puisées dans un texte de Paul Renault consacré au Coucou de Rennes.
Moi j’ai échappé au petit séminaire en déclarant effrontément à ma sainte mère que j’aimais trop les filles…
Belle transition avec mon Coucou de Rennes au verjus concocté avec amour pour mes adorables copines pour un dimanche où c’était officiellement leur jour.
Mais qu’est-ce donc que ce Coucou ?
Pas simple car ce coucou à 7 acceptions :
- Le fameux coucou, drôle d’oiseau de l'Ancien Monde (Cuculinae) qui pond dans le nid des autres pour faire couver et nourrir sa progéniture et dont les premiers coucous sont guettés pour assurer la fortune de ceux qui les entendent à condition d’avoir un sou dans sa poche.
- 1 Pendule, ordinairement de bois, où il y a une figure d’oiseau qui, lorsque les heures sonnent, se montre à une petite porte et imite le chant du coucou.
- 1 Salut amical et familier, très utilisé par les accros de SMS.
- 1 Avion vétuste et n’inspirant pas la confiance.
- Le nom commun de la primevère officinale ou primevère vraie.
- 1 Variété de poules appréciées pour leur chair le coucou de Malines, le coucou de Rennes.
Nous y voili, nous y voilà. Paul Renault nous explique comment il a sauvé cette race de poule :
« J’entendis un jour parler d’un vieux maraîcher qui, trop âgé pour continuer, venait de donner à l’écomusée du Pays de Rennes les derniers spécimens existants d’une race de poulet, le coucou de Rennes, créée en 1914 par un vétérinaire, le docteur Ramé. La race allait s’éteindre, tuée par l’introduction dans l’après-guerre du poulet américain, qui, génétiquement, « poussait » plus vite et donc revenait bien moins cher. Je reçus six coqs que nous fîmes reproduire, et je partis vendre ce « nouveau » poulet au marché des Lices.
Avec les gens de l’écomusée, nous avons recherché dans les archives comment élever le coucou de Rennes selon les règles de l’art, éviter par des croisements malencontreux la dégénérescence de la race, garder son beau plumage gris barré, avec sur le poitrail une sorte d’uniformité comme le coucou, ce qui lui vaut son nom.
Nous avons pu respecter la morphologie et la juste croissance du coucou. Le coq doit peser trois kilos, la poule deux et demie. Nos volatiles sont élevés en liberté dans des lots de cinq cents congénères sur cinq mille mètres carrés, les coucous disposant chacun de dix mètres carrés d’herbage. Ils sont nourris de blé, d’avoine, d’orge, de maïs, et de pois fourrager ainsi que de féverole, tous deux riches en protéines. Le dernier mois de leur vie qui en dure cinq (le poulet industriel vit un mois et dix jours), nous leur donnons du petit-lait, sous forme de lactosérum (c’est ce qui reste une fois qu’ont été produits beurre et lait ribot).
Par kilo de viande, le coucou de Rennes consomme six kilos de céréales (le poulet industriel, deux). Nous sommes aujourd’hui six éleveurs de coucous de Rennes.»
Paul Renault donc, en introduction de son propos marque sa différence « J’ai soixante ans et je pratique une agriculture naturelle, par opposition à l’agriculture industrielle très éloignée de la première, serait-elle désormais baptisée par ses tenants du doux euphémisme d’« agriculture raisonnée ». Difficile, pour l’occasion, de ne pas paraphraser Madame Roland, qui, conduite à l’échafaud révolutionnaire apostrophait amèrement la liberté. « Raison, raison chérie, que de crimes on commet en ton nom ! »
Facilité de langage que d’opposer la nature à l’industrie, la réalité est bien plus complexe que ce raccourci : d’ailleurs la race que défend Paul Renault a été inventée par un vétérinaire. Je préfère de loin l’appellation agriculture traditionnelle, celle qui laisse du temps au temps tout en intégrant les apports des temps modernes.
En revanche, je partage son ironie sur le concept d’agriculture raisonnée qui s’assimile pour moi à la même approche que celle des IAA qui, après avoir bourrée leur produit, pour des raisons économiques, de sel, d’eau, d’additifs, et autres joyeusetés, vantent la politique du « sans ».
Bien sûr, je suis bien conscient qu’un virage à 180°, radical, n’est pas possible. J’ai eu les mains dans le cambouis et je sais d’expérience que les révolutions par le verbe et l’incantation ça ne fait pas avancer les choses. Ça aurait même tendance à figer les positions les plus extrêmes.
En revanche, informer les consommateurs sur le « confort », la facilité, la nocivité de certaines pratiques qui génèrent des abus, bloquent les avancées nécessaires et impulser des alternatives fait partie du job des décideurs.
Bien sûr, le poids des prescripteurs est tel que le discours dominant sur la nécessité du maintien d’une productivité maximale pour notre agriculture et notre élevage trouve des oreilles bienveillantes. Nourrir la planète ! Être à la hauteur des enjeux mondiaux!
Oui, mais est-ce une approche pertinente sur le moyen terme ?
Courir derrière les géants de la compétitivité, le Brésil par exemple, n’est-ce pas se condamner à terme à un moins disant économique et social ? Nos vrais atouts ne sont-ils pas aussi dans le développement de produits les plus créateurs de valeur : les produits en accord avec notre tradition du bien manger ?
Les ajustements de notre agriculture et de notre élevage à ces nouveaux défis sont en cours et les dégâts sont déjà lourds pour des secteurs tels le hors-sol : volailles et porc. La libéralisation du secteur laitier va induire un vaste déménagement du territoire qui aura aussi des répercutions sur la production de viande bovine via les vaches de réforme. Quant au secteur des grandes cultures : céréales, sucre et oléagineux il ne pourra lui aussi faire l’économie d’une remise en cause de ses modèles. Le secteur des fruits et légumes est largement ouvert aux méfaits de l’hyper-productivité et le bio reste anecdotique. Pour le vin, nous sommes le cul entre deux chaises, le modèle AOC longtemps chanté comme axe de résistance à l’industrialisation par sa dilution ouvre des voies d’eau, si je puis dire, à sa banalisation. Les grands discours n’y pourront rien, la fameuse segmentation du marché qui fut un grand classique de ces dernières années commence dans la vigne et non pas dans les rapports des consultants : refrain connu mais absolument pas démodé.
Ne nous leurrons pas, tant que le système sera dominé par le couple grands groupes alimentaires-grande distribution, et que les consommateurs resteront en grande majorité insoucieux de ce qu’ils consomment, privilégiant, parfois pour des raisons tout à fait valables liées à la faiblesse de leur pouvoir d’achat, le prix à la qualité il est illusoire d’attendre des inflexions radicales de notre agriculture.
Voilà c’est dit mais ça ne nous empêche pas de continuer à semer des petits cailloux dans les belles pompes du système…
Je laisse de côté mon discours bien indigeste pour vous proposer ma recette du coucou de Rennes au verjus et aux pommes.
- 1 coucou de Rennes désossé sauf les pilons
- autres ingrédients : 6 gousses d’ail, 2 tomates mûres, moutarde de Dijon forte, huile d’olive douce, beurre salé et crème fraîche crue.
- Verjus et pommée
- pour l’accompagnement 1kg de pommes type Reinette
Dans une sauteuse Le Creuset faites chauffer l’huile d’olive (2 cuillerées à soupe) et le beurre salé (50g). Y faire dorer les morceaux de poulet que vous aurez au préalable salé et poivré et les gousses d’ail. Versez 1dl de verjus + pommée et laissez-le s’évaporer. Ajoutez 1,5dl de vin blanc type oxydatif et les tomates ébouillantées et épépinées. Rectifiez l’assaisonnement et laissez cuire 45 mn.
Pendant la cuisson mélangez dans un bol une cuillerée à café de moutarde et 150 g de crème fraîche.
Dans une sauteuse faites cuire dans du beurre salé les pommes entières à feu doux pour qu’elles gardent leur structure en ajoutant un peu du jus de cuisson du poulet.
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Filtrez le jus de cuisson avec une passoire fine en écrasant les gousses d’ail.
Faites le réduire sur feu vif pendant environ 5mn.
Ajoutez le mélange crème-moutarde et laissez bouillir encore 2 mn à feu vif jusqu’à l’obtention d’une sauce onctueuse.
Nappez-en les morceaux de poulet et servez-les accompagnés des pommes.
Buvez 1 château Paquita